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Je repris connaissance dans une obscurité totale et oppressante. L'air humide sentait la pierre, le sang, la pourriture et les espaces exigus, et, dans mon esprit encore cotonneux, j'assimilai tout d'abord cette puanteur au mitard des Thor. Je relevai la tête en papillonnant des paupières, finis par décider de les garder closes pour éviter d'épuiser mes yeux qui cherchaient une lueur inexistante. J'avais mal partout, et plus particulièrement au cou, étiré par les heures que j'avais passées avec la tête pendouillant vers l'avant. Mes bras et mes épaules me lancinaient aussi, douloureux, tordus en un angle improbable à cause de la chaîne par laquelle j'étais suspendue au plafond. Les maillons d'acier m'enserraient les poignets au point que je ne sentais quasiment plus le bout de mes doigts et, en bougeant un peu pour essayer de réactiver ma circulation sanguine, je sentis des croûtes sur le bas de mes paumes qui se craquelaient. Un filet de sang chaud, poisseux, coula le long de mon avant-bras, la chaîne grinça, et je gémis doucement.

— Ah, la princesse a fini sa sieste ! s'exclama une voix traînante, éraillée par la soif.

J'esquissai une grimace en reconnaissant le ton désagréablement familier, levai la tête en triangulant la position de mon interlocuteur en fonction des échos de sa voix sur la roche. Ma gorge enrouée refusait de laisser passer un son, mais en ouvrant les yeux sur mes iris lumineux, qui brillaient de leur propre éclat malgré l'obscurité, l'autre put deviner que je roulais des yeux, et il pouffa. Son rire sec, cassant et désabusé, provoqua un frisson glacé qui descendit mon échine. Au vu des crissements métalliques que je percevais, lui aussi était suspendu au plafond, comme moi, enchaîné. Mais il ne semblait y avoir personne d'autre que nous ici.

Mes commissures s'étirèrent en un léger rictus narquois, j'inclinai doucement la tête d'avant en arrière pour chasser la brume qui engourdissait mon corps et ralentissait mon esprit.

— Levi... parvins-je à ahaner avec mes cordes vocales desséchées. Salut.

— Salut.

Un silence.

— Je te croyais morte à Stockholm... souffla-t-il, soudain hésitant.

À ces mots, une sourde colère se mit à pulser dans mes veines, chassant les derniers effluves d'inconscience de mon système, éclaircissant mes pensées. Je grinçai des dents, me tortillai pour répartir différemment le poids de mon corps entre mes épaules tordues. Les ligaments entre les articulations de mes membres supérieurs étaient si distendus que j'aurais pu m'improviser contorsionniste si j'avais été libre de mes mouvements.

— Où est-ce qu'on est ? croassai-je péniblement en réponse à la question précédente.

— Les cachots de Skadi. Impossible de s'échapper. D'ailleurs comment ça se fait que tu sois vivante ?

Je ricanai, aigre. Les cachots de Skadi. Elle avait découvert que j'étais une fille de Loki... mais certainement par l'intermédiaire de quelqu'un. Je n'avais rien fait qui aurait pu dévoiler mon identité, ce qui ne signifiait qu'une chose : quelqu'un m'avait vendue. Et, au sein de la maisonnée, il n'y avait que Kalyan qui connaissait mon ascendance... et Thalia. Mais Thalia dormait encore quand j'étais partie, et je refusais de croire que Kal m'aurait trahie.

— En massacrant beaucoup de Thor dans les prisons, et avec un peu d'aide extérieure.

— Les prisons ? sourcilla-t-il.

L'incompréhension dans sa voix traînante me parût sincère, mais je ne laissai pas mes perceptions actuelles, encore brumeuses, influencer mes conclusions préétablies. Qu'il ait participé ou non n'importait pas, il demeurait un salaud qui avait toujours tenté de me causer du tort par tous les moyens.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now