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— Et toi ? demandai-je, désireuse de changer de sujet. Qu'est-ce qui t'est arrivé pour que tu te retrouves ici ?

Ma gorge était sèche à force de parler, mais il fallait que je maintienne mon esprit occupé. D'un côté, entretenir la conversation au mépris de mes cordes vocales douloureuses, de l'autre, me balancer pour garder mon corps en mouvement, stimuler mes sens et mon oreille interne.

— Au début... au début, avec Selvigia, on a mené les battues à Stockholm et aux alentours pour te retrouver. Personne ne te croyait morte... pas après Barcelone, ajouta-t-il avec un ricanement forcé. On pensait tous que tu te terrais pour éviter de te faire capturer par les Heimdall qui patrouillaient aussi. Mais, au bout de trois semaines, Kaiser a stoppé les recherches quand les Thor ont... « admis » ton meurtre.

Salope, grinçai-je. Quel genre de relations diplomatiques entretenait-elle exactement avec les chefs des Thor ? Clairement, au moins entre Björn Hamershot et elle, c'était plus qu'une bonne entente, vu la manière dont ils se rendaient mutuellement service.

— Et puis, je venais d'avoir un présage de Mère, elle m'avait ordonné de venir la libérer. Donc j'ai monté une expédition, et on est partis pour Mímirsbrunn pour connaître la localisation de sa prison.

Tous les chemins menaient à Mímirsbrunn, décidément. Mais je ne m'attardai pas longtemps sur cette pensée, interpellée par la délicate nuance de rancœur dans la voix de Levi. Quelque chose m'échappait, j'en étais certaine, il taisait une information essentielle. Mais il poursuivit avant que je n'aie le temps de lui poser la question.

— Ensuite, on est partis en direction de Stronstall, mais on a croisé un groupe de géants sur la route, et, même si on a réussi à les descendre, ils nous ont salement amochés. On a dû faire un crochet à Thrymheim pour demander de l'aide... mais tu vois comment ça s'est terminé, grommela-t-il, frustré.

— Tu dis « on »... où sont les autres ?

J'entrevoyais déjà la réponse, j'avais même peur qu'il me la donne. Et le bref silence qu'il lui fallut pour formuler le mot m'assura que j'avais raison.

— Bouffés. Je suis le dernier sur la liste. Enfin, toi et moi, maintenant.

Il se mit soudain à tousser. Un son gras, enroué, qui, sans que je ne sache pourquoi, hérissa les poils sur ma nuque. Instinctivement, je me tortillai, nerveuse, et mes pieds ripèrent contre le mur le plus proche.

— Ça va te paraître bizarre... marmonna Levi une fois que sa respiration se fut apaisée, mais je suis content que tu sois vivante.

— Arrête de te foutre de ma gueule, grinçai-je.

— Je suis sérieux.

— Bien sûr. Tu veux qu'on reparle de Barcelone, peut-être ?

Il accusa le coup. Un bref silence succéda à mon commentaire mordant, puis le blond grommela :

— Ça a changé, depuis. J'ai changé.

— Je n'en ai pas l'impression... maugréai-je, blasée. Tu me supportes quand ça t'arrange, et le reste du temps, tu me fais chier.

— Pas toi, peut-être ? releva-t-il d'une voix sceptique, ponctuée par une nouvelle quinte de toux.

J'exhalai un long soupir pour essayer de calmer la colère qui commençait à brûler ma poitrine, et cinglai d'un ton mauvais :

— Contrairement à toi, si tu m'avais foutu la paix, je l'aurais fait aussi. Mais comme tu cherches toujours la merde, sans jamais te rendre compte que tu n'as aucune chance...

Vexé, il la ferma, et ne se manifesta plus pendant vingt bonnes secondes, durant lesquelles nous nous considérâmes avec attention, pensifs. Finalement, un rire rauque, presque blessé, lui échappa, amenant une grimace grincheuse sur mes lèvres. Les vieilles rancœurs étaient tenaces. Il avait essayé de me faire tuer plusieurs fois lorsque je m'étais avérée potentiellement dangereuse, et pour Barcelone, notamment, il s'était même arrangé avec Adam. Il s'était officiellement excusé dès ma nomination, mais je ne l'avais jamais oublié. C'était un miracle que Sam et moi nous en soyons sortis.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant