| 19 † 1 |

13 3 2
                                    

Installée en tailleur au bord de ma tente, je rabattis à nouveau la couverture sur mes épaules, et Kal sourcilla en me voyant faire :

— Pas de magie de feu ? Pas de thermorégulation ?

Je haussai les épaules.

— On ne t'a jamais dit qu'il faut réduire ta consommation énergétique ?

Il pouffa, et je complétai :

— On a fait quelques rencontres désagréables, on va dire...

— Ah.

Il s'installa sur une chaise de camp qu'il avait fait apparaître, à distance respectable, et sourit :

— J'ai aussi croisé quelques bandits. Apparemment, tu es une personne très recherchée...

Un long soupir m'échappa.

— Tu vois pourquoi je ne voulais pas qu'on se retrouve sur Midgard ?

Kalyan acquiesça lentement.

— Je me doutais que tu n'aurais pas la vie facile en sortant, mais à ce point...

Je n'y répondis rien, parce qu'il n'y avait rien à répondre. Je savais ce que je risquais en m'échappant. J'avais même hésité à rester, tant ça m'aurait simplifié la vie.

— Je ne veux pas que tu t'imagines que...

Il hésita, et je souris, décidant de plonger la tête la première dans le sujet qui l'amenait :

— Je ne m'imagine rien, Kal. Tu avais besoin d'un coup de main, je suis là. Dis-moi comment je peux t'aider.

Il poussa un long soupir de soulagement, et le masque d'assurance qu'il s'était forcé à porter se fendilla. Ses épaules tressaillirent, il se voûta comme un vieil homme, sa tristesse affleura à la surface, clairement visible. Je sentis sa peine, son esseulement, sa colère sous-jacente, comme un écho de mes propres émotions, un miroir dans lequel je me reconnus immédiatement. Et, d'une certaine manière, cela me rassura. Cela me rappela la nuit que j'avais passée avec lui, la simplicité et la sincérité de notre échange, la facilité avec laquelle nous avions réussi à faire tomber les barrières pour communiquer.

— Quand je suis parti de chez moi, marmonna-t-il enfin, les yeux fichés sur le sol, j'étais en paix avec moi-même et avec ce que j'avais fait. J'ai assumé la responsabilité de ce que j'avais fait, j'ai accepté la peine qu'on m'infligeait. Mais...

Il s'interrompit, ne sachant probablement pas comment formuler sa peur, ses doutes, ses hésitations, mais je compris. J'étais passée par la même chose que lui, j'avais dû affronter les mêmes démons. Les visages de ceux qui étaient morts, la peur de l'inconnu, la culpabilité de la trahison. J'étais certaine d'avoir agi pour le mieux, d'avoir fait la seule chose honnête et cohérente avec mes valeurs. Mais j'avais libéré des monstres assoiffés de sang, des psychopathes cruels, avides de souffrances. Åke en était l'exemple extrême, mais je doutais que Tyko ou Kirstin soient plus rationnels et avisés que lui. Ensemble, ils avaient tué une trentaine des nôtres, probablement, sans aucun regret ou état d'âme. Kirstin nous aurait certainement tous brûlés si nous n'avions pas réussi à maîtriser sa folie. Et Ekrest... Ekrest, je doutais que la frontière morale qui le transforme en l'un de ces fous furieux soit épaisse... s'il n'avait pas déjà franchi le pas, dévoré par l'envie de vengeance.

Kalyan n'avait peut-être pas toutes les informations, il était certainement parti avant le massacre du Bifröst puisqu'il avait été banni deux jours plus tôt, mais il était suffisamment lucide pour savoir qui il avait libéré. Il les avait vus, dans les prisons, raides et stoïques, encaissant tous les coups sans faillir, aiguisant leur rage et leur haine. Il savait ce qu'ils étaient devenus.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now