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— Arrête de gigoter, abrutie, soupirai-je.

La couleur avait totalement déserté son visage, la laissant livide, tremblante. Elle battit des paupières, eut un bref moment d'absence que j'interprétai comme un malaise momentané, puis elle revint à la réalité, le regard trouble.

— Je vais bien, grimaça-t-elle en écartant mon bras.

Son geste manquait néanmoins de conviction, et même Kalyan, assis quelques pas plus loin, le vit. Il se leva à son tour, s'approcha, s'accroupit à côté de moi et sourit, l'air sceptique :

— Mmhm. À peu près aussi bien que la dernière fois que je t'ai vue.

— Ta gueule.

— Tu as forcé ?

Elle grinça des dents, détourna les yeux.

— Avec quelles plantes j'aurais pu le faire ? finit-elle par grincer.

Je hochai la tête sans rien dire. Thalia avait une forte affinité avec les arbres, encore plus que la plupart des enfants de Freyr. Mais il y en avait peu, dans la région. Nous approchions du domaine de Skadi, un vaste plateau montagneux, gris et aride, où rien ne poussait ou ne vivait. Je n'aimais déjà guère les lieux, mais pour Thalia, dont les pouvoirs dépendaient de la flore locale, c'était le pire endroit possible.

Une fois qu'elle eut retrouvé un semblant de teinte de peau normale, elle nous tendit les bras, et nous l'aidâmes à se redresser.

— Bon, soupira Kalyan, il faut qu'elle se repose.

— Eh, je suis là, gronda-t-elle. Et ouais, ceci dit, j'ai probablement une côte pétée. Aiche, non, deux. Ou même trois.

— Thrymheim est le plus proche et le plus sécurisé, compléta-t-il sans prendre garde à l'interruption.

À son expression fermée, je vis qu'il n'avait pas encore totalement digéré ce que je lui avais dit, mais qu'il était en train de mouliner dessus. Le chemin lui permettrait de décider s'il acceptait ou non de m'aider. En tout cas, il avait fait un pas vers moi, j'en étais conscience. À moi d'amenuiser l'écart. Je lui adressai un sourire reconnaissant, passai le bras de Thalia par-dessus mon épaule malgré ses protestations véhémentes. Et je fis bien. Après quelques pas seulement, tandis que Kalyan marquait et faisait disparaître la peau de vanköfr dans son inventaire magique, la Freyr vacilla, ses genoux flanchèrent. Je la retins sans mal, au mépris de sa colère apparente de se trouver dans une telle situation de faiblesse, avançai encore un peu, puis me tournai pour murmurer à son oreille :

— Qu'on se mette bien d'accord, miss, je t'épargne, là. Tu m'en dois une belle.

— Salope... siffla-t-elle en retour avec un rictus corrosif.

— Ravie qu'on s'entende. Toi aussi tu m'avais manqué.

La froide menace dans mon ton, mêlée d'arrogance et d'une discrète pointe de mépris, ramena en moi des souvenirs lointains de négociations, de combats et d'alliances temporaires. Il n'en avait pas fallu beaucoup pour ramener les vieux instincts à la surface. Kalyan semblait traiter Thalia avec une distance précautionneuse mais cordiale, preuve que leur association s'était certainement mieux déroulée que la nôtre. Après notre mission en commun, Thalia et moi avions réussi à préserver une sorte d'amitié chien-chat, à coups de crocs, de provocations et d'intimidations plus ou moins évocatrices. Ceci dit, cela n'entravait en rien notre capacité à sortir ensemble dans le premier bar venu et à descendre des verres jusqu'à ce qu'aucune de nous ne soit capable d'aligner une pensée cohérente.

Comme pour me le prouver, elle releva :

— Pareillement. Mais je te préfère avec trois grammes dans le sang.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant