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Une brise froide souleva mes cheveux, amenant le doux parfum de la forêt à mes narines, caressa ma poitrine dénudée. Le bouclier thermique que j'avais érigé me moulait comme une seconde peau liquide, vibrante, épousant le moindre de mes mouvements. Je pris une profonde inspiration, la retins aussi longtemps que possible dans mes poumons, puis soufflai longuement, et murmurai :

— Värka.

Une partie de mon énergie magique m'échappa, se diffusa dans le pentacle, dont les bordures, puis les runes, s'illuminèrent brièvement de turquoise. L'air autour de moi se mit à vibrer, parcouru de faibles, mais néanmoins perceptibles, décharges magiques. Je me mordillai la langue, percevant la soudaine absence de Mímir dans mon esprit comme une corde tendue qu'on aurait brusquement coupée. Un goût amer envahit ma gorge, je dus me faire violence pour me concentrer à nouveau sur la chronologie de mes actions.

Lentement, comme dans un rêve, je levai ma main gauche, porteuse du couteau que j'avais pris soin de nettoyer pour éviter les infections. La pointe effilée effleura mon sternum, ouvrit l'épiderme sans m'arracher ne serait-ce qu'une grimace, puis s'enfonça un peu plus profondément, jusqu'à ce que le sang jaillisse. Alors seulement, la douleur se manifesta, mais je m'obligeai à poursuivre. Des frissons coururent le long de ma nuque alors que je dessinais un triangle pointant vers le haut au centre de ma poitrine. Le symbole arcanique du feu.

Soudain, le vent s'intensifia, fouettant mon visage, et une première goutte de pluie s'écrasa sur mon front. Je rivai mon regard turquoise dans celui, vert liquide, terne et mort, de Mímir, et soufflai d'une voix rauque, brisée par l'idée même de ce qui allait advenir :

— Jarthen kenomsig ther'verå al ikare keverh.

Le murmure s'échappa de ma gorge enrouée tel une plainte, fut emporté par la brise avant même d'avoir atteint mes oreilles. Le flux magique, que j'avais senti jusque-là pulser harmonieusement dans mon corps sur un rythme presque identique à celui de mes battements de cœur, s'accéléra soudain, se concentra dans ma poitrine, s'y accumula. La sensation, d'abord grisante, devint bien vite douloureuse au fur et à mesure que les os de ma cage thoracique étaient repoussés vers l'extérieur, soumis à la monstrueuse pression de mon énergie magique, que je percevais pour la première fois dans sa totalité. Mes poumons comprimés vers l'intérieur de mon corps frémirent, je pris une inspiration saccadée. Puis une seconde. Puis une troisième, jusqu'à me caler sur un rythme un peu plus rapide, mais qui continuait à alimenter mon corps en oxygène. Et la magie continua à s'accumuler sous ma peau.

La force du vent augmenta encore d'un cran, les rares gouttelettes qui étaient tombées jusque-là se muèrent en une pluie fine et glacée, persistante. Je fus parcourue d'un frisson glacé lorsque l'eau commença à couler en sillons froids sur ma peau. Une première flammèche, incontrôlable, apparut sur mon bras, glissa le long de mon bouclier thermique jusqu'à ma main comme une coulée de lave avant de se vaporiser, noyée par la bruine.

— Jarthen kenomsig ther'verå al ikare keverh.

Par ce sacrifice, je renonce à ma magie de feu.

La simple sensation de puissance dans ma poitrine devint une forte douleur, qui commença d'abord par me brûler au niveau du cœur, avant de commencer à irradier vers mes membres. Un grondement m'échappa, je ployai un genou, appuyai mes phalanges contre le sol humide sans parvenir à étouffer des râles de douleur alors que mes côtes semblaient se craqueler une à une. Des flammes jaillirent de ma peau, sauvages, nombreuses, animées d'une vie qui leur semblait propre. Elles s'écrasèrent en vagues agressives contre les parois du pentacle de protection, refluèrent vers moi en une marée de lumière tumultueuse.

— Lilith ? appela soudain une voix distante, vaguement familière.

La pluie tambourinait contre ma peau. Glacée, transie jusqu'au cœur des os, et pourtant aussi fiévreuse que si j'étais gravement malade, je n'entendis l'appel qu'à travers une brume cotonneuse. Incapable d'y répondre, je me roulai en boule sur moi-même en un vain espoir de comprimer la souffrance qui me déchirait de l'intérieur, geignis.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWo Geschichten leben. Entdecke jetzt