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Les coups successifs avaient quelque peu écarté Thor de l'endroit où je l'avais combattu, et donc de l'endroit où gisait le corps. En m'approchant, couverte de mon bouclier d'invisibilité, je découvris avec horreur que les corps étaient en vérité au nombre de deux, mais qu'un seul bougeait encore un peu. Un frisson de terreur courut le long de mon échine, je rivai mon regard dans les yeux de ma sœur, voilés par le sang et la douleur. Sa respiration était lente et lourde, celle de quelqu'un qui récupérait d'un violent choc.

Mais, plus inquiétant encore peut-être était Levi, étendu face contre terre, totalement inerte. Je serrai les dents, m'accroupis à ses côtés, l'attrapai par l'épaule et le genou pour le retourner sur le dos en ahanant, avant de prendre son pouls à la carotide. J'avais un mauvais pressentiment.

Le pouls, ténu mais présent, me rasséréna quelque peu. Personne ne méritait de mourir sous les coups de Thor, sauf peut-être les Jötnar anthropophages. Et encore.

Après m'être assurée qu'il respirait correctement, je le basculai en position latérale de sécurité – assassin et secouriste allaient de pair d'après Ekrest – puis me déplaçai à côté de Selvigia et redevins visible. En me voyant apparaître, si proche, elle esquissa un sincère sourire heureux, que je lui rendis péniblement.

— Ça va ? m'enquis-je.

Une moue, accompagnée d'un froncement de nez, lui échappa.

— J'ai connu mieux.

La terre trembla en écho, je grinçai des dents. Il fallait qu'on se bouge toutes les deux. Très vite.

— Allez, debout ! la pressai-je.

Elle hésita, un quart de seconde seulement, suffisamment pour ramener à la surface le malaise que j'avais ressenti en voyant leurs deux corps étalés au sol.

— Je ne peux pas...

Mon estomac tomba dans mes talons. Cette appréhension qui avait persisté malgré le fait que Levi soit vivant m'étreignit à nouveau le cœur, je me rappelai le choc violent, les craquements. Son visage était pâle, blanc comme neige, ses yeux cernés, ses lèvres desséchées, déformées par un rictus.

— Comment ça ?

Il y avait un brin de détresse et de déni dans ma voix. En l'entendant, Selv sourit, l'air sincèrement attristée, mais quand elle parla, ses mots étaient durs, violents.

— Colonne vertébrale brisée. Deuxième ou troisième lombaire, je ne sais pas, mais je ne sens plus mes jambes. Et au vu de l'énergie que la magie me demande, je dois avoir une sale hémo interne.

Sous le choc, je tombai à genoux sur les rochers noyés par la pluie. La douleur irradia dans mes jambes, mais je la sentis à peine. Une terreur pure, primitive, s'était mise à pulser dans mes veines. Je ne pouvais pas perdre Selvigia, pas ici, pas maintenant. Je pris sa main étalée sur la pierre, frissonnai au contact de ses doigts glacés.

— J'ai l'impression d'être une cancéreuse en phase terminale, vu ta tête... ricana-t-elle amèrement.

— Dis-moi que tu ne vas pas me faire des confessions terrifiantes qui seront trop commodément interrompues par ta mort soudaine et imprévue... grinçai-je, mi-figue mi-raisin.

Elle pouffa. Un son faible, rauque, qui me donna l'impression que mes entrailles se liquéfiaient.

— Non... je n'en ai plus pour longtemps, mais pas à ce point-là. Mais... j'ai bien des choses à te dire.

Je gardai le silence, la regardai, attendant qu'elle se lance. Je devinais, à ses prunelles troubles et son pouls filant qu'elle n'était plus très loin du chemin qui menait vers Helheim.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now