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En toute honnêteté, je ne savais pas comment les fils de Sleipnir parvenaient à courir aussi vite sans jamais se prendre ne serait-ce qu'un obstacle. Je ne pouvais que supposer que, même s'ils distordaient l'espace-temps, ils gardaient une sorte de vision adaptée à la vitesse à laquelle ils couraient... ce qui n'était clairement pas mon cas. Même si je tentais de rester droite sur ma selle, de garder mon regard loin devant, l'univers autour de moi s'était réduit à un flou de couleurs brouillées, gris, bleu et noir, rien de plus des taches de peinture sur ma rétine. Je n'arrivais pas à capter ne serait-ce qu'un élément de paysage, tout défilait bien trop vite. Le sifflement de l'air était l'unique son que je percevais au travers des épaisses parois de mon casque tactique.

De temps en temps, je jetais un bref coup d'œil à ma boussole pour vérifier que nous foncions bien dans la bonne direction – c'est à dire plein est. Mais en-dehors de ces brèves vérifications, je n'avais pas la moindre idée de l'endroit où je pouvais être. Le pire était que je ne savais même pas d'où j'étais partie. Urdarbrunn, la source des Nornes, n'était répertoriée sur aucune carte, aucun plan. Je ne savais même pas si quelqu'un avait un jour découvert son emplacement, ou s'il était mort avec cette information.

Après une longue réflexion, essayant en vain de calculer combien de distance j'avais pu couvrir à cette allure, je me décidai à tirer très doucement sur les rênes. Ma monture ralentit progressivement, repassa d'abord au trot, puis au pas, puis finit par s'immobiliser. Et même si je sentais qu'il l'avait fait aussi délicatement que possible, le changement d'allure faillit bien me projeter hors de ma selle. Je vacillai, me raccrochai d'extrême justesse au pommeau et à la crinière, sentis mon estomac remonter dans ma gorge, et me laissai glisser à terre, nauséeuse. Il me fallut bien cinq minutes, accroupie au ras du sol, les yeux fixés sur une touffe d'épais brins d'herbe, pour faire refluer la sensation que j'allais vomir.

Je n'étais décidément pas habituée aux voyages entre les mondes. Pourquoi l'univers nordique était-il si étendu, si bordélique ?

Une fois que mon estomac revint à sa place initiale et que je réussis à capter les détails de mon environnement sans avoir la tête qui tournait, je me redressai. Le cheval, apparemment habitué à ce genre de réaction de la part de ses cavaliers, me fixait depuis l'endroit où il s'était immobilisé. Ses oreilles pointues étaient franchement dressées sur son crâne, son regard marron clair intelligent me sondait en silence. Finalement, il s'avança de quelques pas, pressa son nez contre mon épaule, et je crus même discerner une pointe de malice dans son attitude. Je posai ma paume sur son encolure, sa peau chaude et douce palpitant contre la mienne.

Je n'avais jamais eu d'animal. Pas le temps, pas les moyens de m'en occuper, pas de réel intérêt pour moi. Mais je devais admettre que la sensation d'une présence à mes côtés était agréable. Je souris silencieusement, appuyai mon front contre le sien, puis me hissai en selle à nouveau. Nous n'avions cavalé que quelques minutes, et même si j'avais déjà mis suffisamment de distance entre Max et moi, je voulais en mettre davantage avant de prendre un peu de repos. Et puis, il fallait que je comprenne où j'étais. Si je continuais à l'aveuglette vers l'est sans jamais m'arrêter, je parviendrais au bord de la mer infinie, et ça ne m'avancerait pas à grand-chose.

Mais cette fois-ci, au lieu de pousser l'animal à bondir directement dans la vitesse supersonique et à pousser ses capacités magiques à prendre le relais, je laissai l'accélération se faire progressivement. D'abord, j'eus l'impression d'être dans un TGV, accélérant foulée après foulée presque sans que je ne le remarque. Puis, passée une certaine vitesse, les arbres se muèrent en une masse informe, sombre et menaçante, même si la distorsion de l'espace fut moins agressive que la première fois, et que les couleurs s'emmêlèrent un peu moins.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now