| 13 † 2 |

14 3 3
                                    

Je ne savais pas combien de temps j'étais restée là, assise sur le sol froid, quand l'une des Nornes les plus proches de la bordure fit un signe à deux de ses compagnes, puis se leva et se dirigea résolument vers moi. Les deux autres levèrent les yeux au ciel, puis tendirent chacune une main pour reprendre le contrôle sur son métier à tisser.

À mesure qu'elle s'approchait, je pus distinguer un peu mieux son visage. Elle avait des traits fins, doux et avenants, un brin chevalins. Son visage était presque imperceptiblement allongé, le menton s'avançait davantage et la face était un peu plus étroite et aplatie que celle d'un humain. Ses oreilles pointues partaient de ses tempes et piquaient vers l'arrière à la manière d'un chat mécontent. Elle avait une peau sombre, couleur écorce, veinée de lignes plus claires comme les rainures d'une feuille. Elle s'immobilisa à quelques pas de la lisière, en face de moi, et je pus constater sa petite taille. Elle paraissait toute fine, légère comme une plume. Même ses longs cheveux blonds tirant sur le vert semblaient peser plus qu'elle.

— Bonjour ? me salua-t-elle en vieux norrois.

Sa voix, basse et claire, me mit instantanément en confiance. Je lui souris, et elle poursuivit :

— Tu sais que vous n'êtes pas autorisés à vadrouiller dans le monde des vivants, toi et tes semblables ?

Je haussai les sourcils.

— Comment ça ?

— Oh, tu ne l'as pas encore compris ? Ou alors tu t'es égarée en chemin... ajouta-t-elle plus pour elle même. Tant pis, viens, je vais t'expliquer.

Curieuse de comprendre ce qu'elle voulait dire, mais aussi stupéfaite qu'elle m'invite à entrer dans un domaine aussi sacré qu'Urdarbrunn, je me redressai et la suivis, l'esprit embrouillé de questions. Je franchis la lisière d'obscurité, avec la sensation diffuse d'être une étrangère, une clandestine en territoire interdit. La source d'Urd était le domaine des Nornes, qui dictaient leurs lois à tout être vivant, même aux plus puissants. Les trois principales, Urd, Verdani et Skuld, étaient des géantes qui avaient mis fin à l'âge d'or des dieux en emprisonnant leurs destins dans leurs trames. Personne n'était censé être autorisé près de la source.

Mais à l'intérieur de la clairière, l'air était chaud et doux, d'un calme apaisant après les rugissements de la tempête au-dehors. Une clarté irréelle nimbait les lieux. Il n'y avait pas de vent, mais j'avais malgré tout la sensation qu'un léger courant d'air agitait mes cheveux et amenait à mes narines un parfum de fleurs sauvages que je n'avais jusque là senti nulle part ailleurs, léger, un peu sucré, enivrant.

— Je m'appelle Verania, ajouta l'elfe à mon intention en me guidant vers son métier à tisser.

— Et elle aime ramener les oisillons blessés, ajouta une naine brune et trapue assise à ses côtés, caustique. Mais bienvenue pour l'instant, je suppose. Ça aurait été dommage de te laisser geler dehors par cette tempête.

— Hræsvelgr est vraiment agité... Je me demande ce qui l'a poussé à venir jusqu'ici.

Celle qui venait de renchérir était courtaude, un peu enveloppée, mais avait des proportions et un visage humains.

— Verania, tu sais qu'Iza va te faire des remontrances au sujet des esprits que tu ramènes ? ajouta-t-elle après m'avoir longuement considérée.

— Un esprit ? rebondis-je pour la seconde fois.

— Ah, elle n'a pas encore réalisé ? pouffa la naine. Écoute-moi alors : quand un être vivant meurt, nous coupons la trame de sa vie. Toi, on te l'a coupée, puisque nous ne la voyons plus au-dessus de toi.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now