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Il me fallut un long – trop long – moment pour assimiler ce qu'il était en train de sous-entendre. Mais avant que je ne puisse enchaîner sur une autre question, il ajouta :

— Également, je t'arracherais en principe mes gantelets de force, mais je respecte ta prise de butin. C'est pourquoi je te propose un échange. Ma ceinture contre mes gantelets.

L'esprit toujours en vrac, je pris néanmoins le temps de considérer la proposition. Les gantelets de Thor étaient l'origine de sa force, la raison pour laquelle il pouvait soulever son marteau magique. C'était pour cela que, dans un élan un peu désespéré, je les lui avais arrachés. C'était à peu près le seul objet avec lequel j'aurais pu marchander nos vies.

— Je n'ai pas le choix ? relevai-je avec un rictus amer, en écho à la seringue.

— Je ne peux pas te les reprendre si tu ne les portes pas, admit-il, l'air irrité. Mais je te demanderai de prendre en considération le fait que tu laisseras Asgard vulnérable. J'ai besoin de Mjöllnir, donc des gantelets, contre les Jötnar.

Instinctivement, j'interprétai sa sincérité trop évidente comme une forme de mensonge, mais un second regard m'incita à me raviser. Il paraissait réellement inquiet et, plus convaincant encore, il semblait se sentir coupable de ce qu'il venait d'avouer. Certes, à l'échelle des Neuf Mondes, ce n'était pas réellement un secret puisque les mythes avaient depuis longtemps établi ce que Thor était ou n'était pas capable de faire, mais il y avait quelque chose dans son attitude, un brin de malaise peut-être, qui finit par me convaincre d'acquiescer.

Il défit avec précaution la large ceinture de cuir ornée de boucles de bronze, la tendit devant lui en guise d'offrande de paix, de preuve de sa bonne foi. Méfiante, je fis apparaître les gantelets, que j'avais jusque-là soigneusement conservés dans mon inventaire magique, hors de sa portée. Les accessoires passèrent d'une main à l'autre comme un banal échange, mais un frisson d'anxiété parcourut mon échine lorsque je considérai l'objet mythique, offert de bonne grâce par un dieu, que j'avais désormais en ma possession.

La ceinture me paraissait bien trop large pour moi. Lourde, épaisse, détrempée par la pluie, elle pesait dans mes bras et je me demandai un instant avec un rictus presque amusé si la passer en bandoulière ne conviendrait pas davantage. Mais, à l'instant où je la glissai autour de ma taille, par-dessus mes vêtements thermiques moulants, sa longueur et son poids semblèrent s'ajuster. Elle se resserra à la perfection autour de mes hanches, s'affina, s'allégea, et je sentis une puissance nouvelle, inconnue et effrayante, se déverser dans mes veines. Je pivotai vers Thor, médusée, et en retour, il m'adressa une ombre de sourire narquois.

— J'espère que c'est le bon choix.

Il continua à me fixer, et ses traits faussement cordiaux se tendirent d'une sévérité teintée de peine, comme si les siècles passés avaient érodé sa haine et sa rancœur envers mon père et les miens. Ce qui, au vu de la confrontation qui avait eu lieu, me paraissait désormais presque plausible.

— Tu portes une lourde charge, petite fille.

Je me hérissai à l'appellation, mais déjà, il poursuivait :

— Si je peux me permettre de te faire une recommandation, quand tu seras à Stronstall, demande à quelqu'un de te forger l'enchantement des Järngreipr sur l'un de tes bijoux. Quand ton père sera libéré... les frontières du possible te paraîtront illusoires... mais ça te mettra en danger. Ta magie atteindra une puissance que tu ne peux même pas t'imaginer.

Il me passa doucement l'un desdits gantelets au poignet, fit glisser son doigt le long de sa surface. L'absurde puissance que j'avais ressentie décrut progressivement dans mes veines, mon cœur ralentit. Puis, il remonta dans l'autre sens le long du cuir, et le flux magique sembla revenir, brûlant de son potentiel destructeur.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant