𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟐𝟔

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   Adossée sur les immenses baies vitrées qui recouvrent l'un des murs de mon bureau, je laissais mon regard divaguer entre les différents buildings et différentes rues de la capital désormais bien animée en cette fin de matinée. Quand je n'avais plus rien à faire, j'aimais bien me chercher un café pour me poser et admirer cette vu plutôt inédite. Ce boulot présentait pas mal d'inconvénients, mais ce portrait là les rattrapait largement. Enfin, par « pas mal d'inconvénients », je veux surtout parler d'un seul mais énorme: Eunji. Mais bon, j'essayais de mettre ce gros détail de côté et m'estimait chanceuse de pouvoir travailler dans un cadre pareil, avec aussi peu de charge de travail sur le dos. Deux heures seulement m'avaient suffit pour mettre à jour l'agenda de Monsieur Kim et gérer ses nouveaux rendez-vous, maintenant j'allais pouvoir passer le reste de la journée à flâner dans l'immeuble. Si ça c'est pas être payé à rien faire...
   Pour pas changer, mon patron avait passé tout ce temps là à m'observer silencieusement depuis son bureau, à travers la vitre qui sépare nos deux espaces de travail. Je me contentais de lui sourire poliment lorsque je croisais son regard, c'est-à-dire pas par choix croyez moi. Sinon je faisais en sorte de l'ignorer, lui laissant à contre cœur la liberté de me mater sous tous les angles.
   D'ailleurs, le voilà qui arrive après avoir ramener des clients jusqu'à l'un des ascenseurs.
   - Je te dérange ? Dit-il dans l'encadrement de la porte, plutôt par politesse et pour être bien vu.
  Oui, je suis très dérangée là.
   - Du tout. Je ne fais que boire un café.
Eunji entre en refermant la porte derrière lui et se dirige jusqu'à moi les mains dans les poches, tout sourire en me regardant moi, puis la vue.
   - Il fait un bon temps pour un mois de décembre.
   C'est ça, discutons de banalité gros bouffon.
   - Oui, je suis bien contente que les températures soit froide, et non plus glacial.
   - Tu as l'air d'être de ceux qui préfère l'été à l'hiver.
   Pitié, je déteste ce genre de conversation inutile.
   - Raté, je préfère de loin le printemps et l'automne aux autres saisons.
Eunji a l'air un peu enthousiaste, peut-être parce que son ego de mâle alpha à deux balles en a pris un petit coup à cause de moi. C'est qu'il se vexe pour un rien, le con. Malheureusement pour moi, je ne peux plus seulement passer mon temps à lui cracher dessus derrière son dos. J'étais payée pour autre chose, maintenant.
Ta mission, Hannah.
   J'éloigne tout mon dégoût à l'égard de cette homme pour paraître le plus naturelle et sincère possible lorsque je me colle à lui pour poser ma tête sur torse, près de son cou. Son corps se raidit les quelques premières secondes, puis se décontracte rapidement en même temps qu'il prend ses aises. Eunji passe une main dans mon dos pour la poser sur ma hanche à la limite de ma fesse, d'un geste bien trop précis pour qu'il soit accidentel. Ainsi, il me rapproche encore plus de lui et en profite pour agripper ma robe. C'était une robe bleu pastel près du corps à colle haut, ornée de quelques faux boutons au niveau du buste pour lui donner un air vintage.
   Eunji m'avait dévorée des yeux à l'instant où les portes de l'ascenseur c'étaient ouvertes à cette étage, peu de temps après mon arrivée à neuf heure. J'en avais presque frissonnée, mais là encore j'étais parvenue à garder mon masque de jeune femme naïve et bête qui lui plaît tant.
   Son toucher me dégoûtait toujours autant, mais à présent je n'avais presque plus peur qu'il pose ses mains sur moi. Je savais que San veillait attentivement à nos conversations, depuis le micro de mon téléphone « professionnel » qui restait toujours à ma portée. En l'occurrence, il était posé sur mon bureau entre deux tas de documents pour ne pas que l'on me voit avec deux téléphones.
Hmm, San.
   La journée avait débuté depuis un long moment, mais je ne pouvais m'empêcher de repenser à son corps tout chaud collé au mien. Parfois je m'imaginais encore l'être, puis la vue de mon patron me ramenait vite à la réalité. J'étais impatiente de pouvoir me blottir de nouveau dans ses bras, surtout qu'il m'avait affirmée que je pouvais dorénavant dormir avec lui un peu comme je le voulais. Bon, sauf les nuits où il pète sa crise. Et puis, j'aime mieux dormir dans une chambre ordonnée qu'une chambre dont l'état laissait à penser qu'un ouragan y avait tout arraché et dérangé.
   On avait tranquillement déjeuné tous les deux, sans trop parlé mais dans la bonne humeur quand même. Puis Seong-Hwa et WooYoung sont venus me récupérer pour m'emmener au travail dans un gros fourgon noir un peu flippant, qui transportait par ailleurs des dizaines d'armes à feu pour la livraison qu'ils allaient effectuer juste après. Voyager avec comme voisin un gros carton de revolver à ma droite n'était pas vraiment fun, surtout en plein milieu de la capital. Mais les deux garçons, eux, étaient tout à fait sereins. On aurait dit deux techniciens qui se la coulaient douce entre deux interventions, mais jamais on ne les aurait accusé de trafique d'armes.
   Bref, une matinée normal à Pirateez.
   La main baladeuse d'Eunji me fit rapidement sortir de mes pensées qui me criaient à présent de me servir des techniques que m'a apprises MinGi pour l'écarter et lui foutre K.O. À la place, je travailla sur mon sang froid pour le laisser faire à sa guise. Il faut qu'il croit que j'ai envi de lui, et que je rêve qu'il me saute dessus.
   - Eunji, il y a du monde autour... fais-je en sentant sa main descendre sur ma fesse pour l'empoigner franchement.
   Je ne pus m'empêcher de penser une nouvelle fois à San. Quand il s'agissait de ses mains sur mon corps, je rêvais presque de me donner tout entière à lui. Avec Eunji, je rêvais surtout de lui tirer une balle entre les deux yeux.
   - Peu importe. Ça m'arrange bien qu'il nous voit.
   J'accepte la possessivité de San uniquement.
   - Eunji... tu es si...
Ses yeux s'illuminent et fixe à tour de rôle ma main posée sur son torse et mon visage, niais et empli à des fantasmes qui tournent tous autour de lui. Que de la comédie, bien entendu.
   C'est tellement facile de l'amadouer, Eunji est déjà entrain de jubiler en me voyant me mettre dans un pareil état pour lui. Il doit me penser sacrément influençable et innocente pour gober autant mon jeu d'acteur. Non pas que je le fais mal, mais il rentre toujours tête baissée dans mon petit jeu sans jamais douter une seconde de mes véritables intentions. C'est à la fois amusant et dégoûtant.
   Sa main presse un peu plus encore ma fesse quand je rapproche ma poitrine de la sienne, le dos cambré pour lui faire perdre encore plus la tête. Mes yeux ne se détachent pas des siens sombre de désir, alors que lui se concentrait davantage sur mes lèvres légèrement entrouvertes encore un peu rougie par mon glosse.
   - Je t'aurai prise sur ce bureau s'il n'y avait personne autour de nous. M'avoue-t-il dans un souffle.
Une boule se forme dans mon ventre et dans ma gorge, provoquée par le stresse et la répugnance qu'il provoque chez moi. Ses mots étaient tout sauf flatteurs et excitants, mais il fallait bien que je fasse comme si de rien n'était.
   Alors je me mis à lui sourire malicieusement, d'une manière dont j'étais certaine qu'elle allait lui plaire. Eunji mord sa lèvre inférieur en empoignant ma fesse presque douloureusement, me donnant l'impression qu'il ne se serait pas retenu de passer sa main sous le tissus de ma robe si nous avions été seuls.
   Ce moment s'éternisa quelques longues secondes encore durant lesquels la panique commençait lentement à prendre place dans mon corps, puis fut enfin brisé par les vibrations de mon téléphone personnel, posé sur mon bureau.
Nos têtes se redirigèrent vers celui-ci, m'offrant la possibilité de me détacher de lui sans que cela paraissent trop suspect.
   Je me sépare de son corps en sentant sa main glisser de ma fesse à ma cuisse, comme pour éterniser un peu plus son touché, et attrape mon téléphone en reposant mon Thermos vide sur le bureau. Mes sourcils se froncent en voyant le contact qui essayait de me joindre.
   Il s'agit de Bora, et elle ne m'appelle jamais pour des choses futiles et pas importantes.
   - Désolée Eunji, je dois répondre.
Il affiche une mine déçu, mais se reprend vite.
   - On continuera nos petites affaires plus tard, ne t'inquiète pas. Ses lèvres s'étirent en un sourire en coin empli de sous-entendus, puis Eunji quitte enfin mon bureau pour rejoindre le sien.
   Je soupire silencieusement, soulagée qu'il n'est pas insisté pour rester plus longtemps, et décroche mon téléphone pour entendre la voix hystérique de ma meilleure amie, visiblement à bout de souffle et affolée par un sujet qu'il me tarde de connaître.
   - Enfin tu décroches !
   - Qu'est-ce qu'il se passe Bora ? Je suis au travail.
   - Oui je sais, mais ce qu'il vient de m'arriver est plus important que ton taff.
   - Crache le morceau au lieu de faire durer le suspense !
   - Oui j'y vieeeens ! Elle inspire un grand coup avant de tout me déballer. Je viens de recevoir un appel d'un numéro inconnu. D'habitude je réponds jamais à ce genre d'appel, mais là je sais pas pourquoi je me suis dit qu'il fallait que je réponde.
   - Abrège sale folle.
C'est qu'elle commence à me faire peur !
   - Oui pardon. C'était la voix d'un type, qui visiblement pressé, énervé et agacé. Il m'a dit que je devais t'appeler pour te transmettre son message. Je lui ai dit qu'il avait qu'à le faire lui ! Mais il m'a dit de me la fermer ! Ce mec a réussi à me clouer le bec, t'imagines !?
   - Bora...
   - Oui pardon pardon... Et donc son message, c'est que tu dois le rejoindre à l'endroit où tu as été déposée ce matin. Immédiatement.
   Pressé, énervé et agacé, ça ne pouvait être que San. Il a dû entendre que j'étais en compagnie d'Eunji, et a donc préféré passé par Bora que de m'appeler lui-même.
   Je vais quand même l'appeler pour être sûr qu'il s'agisse bien de lui, sait-on jamais.
   - Merci Bora, et ne prête pas plus attention à ça.
- C'est marrant, c'est exactement ce que le mec m'a dit. Je souris en coinçant mon téléphone entre ma joue et mon épaule pour enfiler mon manteau. T'as compris ce qu'il voulait dire toi ? Parce que moi je suis vraiment larguée.
- Oui ne t'en fais pas.
- Hannah, tu es sûre que tu es en sécurité ? Non mais parce que le mec que j'ai eu au téléphone avait l'air particulièrement autoritaire... Puis elle se met à crier soudainement. Oh mon dieu, demain porte du vert si tu as été kidnappée !
- Mais non Bora, rien à voir !
- Alors met du violet si tu es dans une relation amoureuse avec un pervers narcissique violent !
- Je ne mettrais ni de vert ni de violet ! Je suis en sécurité, je te le promets.
Même si actuellement, j'en doute un peu.
San ne m'a jusqu'à présent jamais fait quitter le travail, alors si aujourd'hui il me demandait de le faire ce n'était pas pour rien. Il doit s'agir d'une urgence, mais laquelle ? Eunji est dans son bureau, je ne vois pas qu'est-ce qui pourrait nécessité ma présence.
   - Hmm... T'as l'air de t'être mise dans un sacré bordel, fait attention à toi. Et envoie une photo du mec ! Sa voix était plutôt séduisante... Elle accompagne sa phrase d'un rire de sorcière qui ne m'étonna pas.
- Oh, il n'y a pas que sa voix qui est séduisante... Je te laisse Bora !
   - Mais-
Je lui raccroche au nez, évitant ainsi qu'elle me pose une dizaine d'autres question et d'être témoin de tout ses scénarios bizarres.
Je cherche le numéro de San puis me rappelle qu'il est enregistré que sur mon second téléphone. Je savais qu'Eunji me regardait encore, alors je ne pouvais pas prendre le risque de le sortir. Je n'avais plus qu'une solution pour être sûre que c'était bien San que Bora avait eu au téléphone.
   - Le psychopathe, envoie moi un message sur ce téléphone si c'est bien toi. Fais-je à voix basse, sachant qu'il pouvait m'entendre grâce au micro.
Dix secondes plus tard, mon téléphone vibre dans mes mains et je reçois le message d'un numéro inconnu.

𝐖𝐡𝐞𝐧 𝐭𝐡𝐞 𝐍𝐢𝐠𝐡𝐭 𝐅𝐚𝐥𝐥 - 𝐂𝐡𝐨𝐢 𝐒𝐚𝐧Where stories live. Discover now