𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟒𝟗

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   Nanou est morte d'une balle dans la gorge il y a deux semaine, de la main d'un des hommes d'Eunji, sûrement avec un silencieux. En interrogeant le voisinage, nous avons appris que tout le monde avait été surpris de voir son échoppe fermé plusieurs jours de suite, étant donné que de toute sa carrière cela n'était jamais arrivé. Mais personne ne s'est plus interrogé que ça. Personne n'a remarqué quoi que ce soit d'étrange. Nanou était une vieille dame appréciée du voisinage, certes, mais cela s'arrêtait à là. Ce commerce était pour elle toute sa vie, rien ne pouvait l'empêcher d'ouvrir chaque matin, pas même la maladie. Mais la mort, elle, le pouvait.
   Devant l'état de choc de San, Hong-Joong a pris la relève : il a fait appeler une dizaine de leurs hommes pour dégager le corps et vider le magasin pour passer à la désaffection du local dans les plus brefs délais. Demain matin, déjà, Nanou sera enterrée dans le cimetière consacré aux personnes importantes de Pirateez, dans un terrain près du lac où San m'a emmené à mon arrivée. Nanou n'en a jamais fait partie, mais elle y mérite bien sa place, au côté du père adoptif de San. San, qui ne s'en remet pas.
Il ne s'en remettra jamais.
Il a régressé, dans son attitude. J'ai l'impression d'avoir affaire au même San que j'ai rencontré. Indifférent et agressif. Mais je ne lui en veux pas. Comment le pourrais-je ? Ça finira par lui passer, je l'espère...
À contrario de moi et Hong-Joong, lui n'a pas vomi. Son visage était seulement étiré par la peur, pas même par le dégoût. Je suis certaine qu'il aurait pu rester devant le cadavre de celle qui considérait comme sa grand-mère toute la nuit encore, les bras le long du corps, juste à la fixer avec de grand yeux, s'en presque jamais fermer ses paupières. Et ce malgré l'invasion d'asticot, de mouche et de cafard qui s'était répandu jusqu'aux réserves de nourritures. Ce souvenir de lui suffit à me faire trembler. C'est horrible. L'avoir vu comme ça était horrible.
À l'arrivée de ses hommes, nous avions quitté le commerce, ou ce qu'il en reste, pour rejoindre le manoir. Hong-Joong a conduit. C'était difficile de faire plus silencieux comme trajet. Assise sur le côté passager, j'avais l'impression de pouvoir recommencer à vomir à chaque virage. La bile me brûlait toujours la gorge, et je ne préfère même pas parler de ma doudoune taché qui empestait sans doute; ce n'était pas vraiment dans mes préoccupation. San, lui, était à l'arrière. Depuis le rétroviseur intérieur je le voyais fixer ses pieds en cillant que rarement. Il n'a fait que ça, jusqu'à ce que la voiture se gare dans la coure. Ça aussi, c'est un souvenir dont je préfèrerai m'en passer.
Nous sommes rentrés il y a tout juste une demie heure.
En dépassant la porte d'entrée, alors que San a choisi de rester dehors et Hong-Joong de s'installer sur le canapé, je me suis sentie soudainement sale. C'était même plus que ça. Je me suis rappelée les nombreuses mouches qui ont frôlé ou cogné la peau de mon visage après s'être posées un cadavre de deux semaines et mes vêtements plein de vomis. J'ai bien cru vomir une nouvelle fois. Alors j'ai presque couru jusqu'à la salle de bain de la chambre de San en me déshabillant sur le trajet. J'ai balancé ma doudoune dans l'entrée, mon sweat en bas des marches de l'escalier, puis le débardeur que j'avais en dessous un peu plus hauts... Quand je suis arrivée dans la salle de bain, j'étais déjà nue. Je ne remettrais plus jamais ces habits.
Comme le jour où j'ai vu Monsieur Jang et ses hommes mourir devant moi des mains de San, Seong-Hawa et Yeo-Sang, j'ai frotté ma peau avec du savon jusqu'à ce qu'elle en devienne rouge, comme si j'étais celle qui avait tué Nanou et que son sang tachait mes mains. Ou comme si des insectes volaient encore vers moi tandis que d'autres grouillaient ma peau. Je ne sais pas combien de temps je suis restée sous le jet d'eau, mais en revenant dans le salon, habillée d'un short gris et d'un gros sweat vert sapin de San avec son odeur, Hong-Joong n'était plus seul. Jong-Ho et Yeo-Sang était là eux aussi, assis sur les deux fauteuils, dont un plus récent que l'autre après que San en ait bousillé un en s'asseyant dessus recouvert de sang de ses victimes. Ils ont tous les deux le visage triste. En arrivant près du canapé, je vois la silhouette de San depuis la fenêtre. Il fait les milles pas dans la coure en fumant une cigarette. Après une réflexion, je me demande plutôt s'il ne s'agit pas d'un joint.
- Vient par là. Hong-Joong tapote la place libre à côté de lui.
Je m'assoie à côté de lui en ramenant mes genoux à ma poitrine, puis fais tomber ma tête jusqu'à son épaule. Hong entoure mes épaules avec l'un de ses bras pour mieux me blottir contre lui. Je me sens déjà mieux. Je pose mes yeux sur Jong-Ho et Yeo-Sang. Un regard nous suffit à nous comprendre.
Ils ont l'air de me souffler quelque chose comme « désolés ». Désolés de quoi, exactement ? Il y a beaucoup de chose pour lesquels je pourrais exiger des excuses. Mais je n'en demanderai jamais aucune, car j'ai moi-même fait le choix de continuer à travailler pour eux. Pour San.
- Ça va comment ? M'interroge Yeo-Sang, triturant son téléphone dans ses mains.
C'est la première fois que je le vois faire un geste comme celui-ci. Le genre de geste qui témoigne ou trahi son mal-être.
- Je ne sais pas trop. Je lâche en toute honnêteté. Je suis fatiguée.
Et comme si mon corps tient à le prouver, je commence à bailler en cachant ma tête dans le cou de mon meilleur ami.
- Tu devrais aller te reposer. Me dit-il justement. On reste éveillés pour s'assurer, même à distance, que nos hommes font leur travail. Et surtout pour surveiller... d'un geste du menton il pointe la silhouette de San.
Mon cœur se ressert. San ne tient pas en place, dehors dans la neige. Je n'aime pas du tout le voir comme ça. Il a l'air d'une bombe à retardement.
- Je ne peux pas exactement pour cette raison là. Et puis je n'arriverai pas à dormir. Je soupire en voyant sa silhouette disparaître derrière celle de la Jeep, puis reporte mon attention vers l'écran de la télé éteint. Tu te souviens Jong-Ho quand...
- Quand on regardait Mollang le matin ? Complète-t-il après m'avoir coupé. Pendant que San dormait toute la matinée, et que tu te nourrissais presque exclusivement de ramen ?
Il me sourit, son si beau sourire qui le rend encore plus solaire. Je souris à mon tour et mon cœur se réchauffe.
Ça fait du bien.
- J'ai l'impression que cet époque date d'il y a longtemps. Alors que c'était il y a quoi, quatre mois ? J'avais conscience de pouvoir me faire tirer dessus, mais maintenant que j'y repense, ce n'était pas tant que ça le cas, finalement.
- Mince, d'ailleurs...
Hong-Joong se détache de moi pour disparaître dans l'entrée. J'entends ses pas monter rapidement l'escalier puis traverser le couloir de l'étage. Il refait le même chemin dans le sens inverse une minute plus tard, avec le sac contenant tout mon matériel médicale dans une main. Étant donné que, selon San, pour bien me reposer je dois rester allongée dans sa chambre, forcément le sac y est tout le temps. Il le pose sur la table basse en verre, y plonge sa main pour en ressortir de quoi nettoyer et protéger ma plaie, puis s'accroupit à côté de moi.
- Tu n'es pas obligé de... il me coupe.
- Je sais que tu peux le faire seule, mais laisse moi t'occuper de toi. Je remonte alors mon sweat pour qu'il est accès à mon ventre sans plus parler. San n'est pas en état de s'occuper correctement de toi et je sais qu'il me tuerait pour ne pas l'avoir fait. Et puis... il retire doucement le pansement, étirant ma peau à cause de l'adhésif, tu en as déjà bien assez fait pour aujourd'hui.
Je n'aime pas être traitée comme si j'étais faible, et le fait qu'Hong-Joong s'occupe lui même de me soigner me donne cette désagréable impression. Mais je sais que ce n'est pas son but. Et je sais surtout qu'il aime prendre soin de moi, car il est attaché à moi comme je le suis à lui.
Je regarde les points de suture à l'endroit où la balle s'est logée dans mon abdomen. La peau suinte à cause du pue et de la sueur, mais c'est plutôt léger après une semaine. Je cicatrise vite, ça me rassure. Puis je le regarde nettoyer la plaie avec des gestes doux avant de remettre un pansement, pour ensuite s'attaquer à ma piqûre d'anticoagulant. Comme, à la base, je suis censée rester dans un lit à rien faire, cette piqûre permet à mon sang de toujours bien circuler malgré mon manque d'effort. Je grimace légèrement lorsque l'aiguille transperce la peau de mon ventre, de l'autre côté de ma blessure, et que le liquide s'injecte dans mon corps, provoquant une sensation de brûlure bien plus supportable que celle que j'ai ressenti quand le hangar brûlait.
Finalement, j'aime bien quand Hong-Joong s'occupe de moi.
- Merci. Soufflais-je à travers ma fatigue.
- C'est normal. Il remballe le matériel et je baisse mon sweat. Je te dois bien ça.
Il se lève pour jeter les déchets dans la poubelle de la cuisine. Je le suis du regard en pensant à ce qu'il vient de me dire.
« Je te dois bien ça. »
Il ne me doit rien, il devrait le savoir.
Avant qu'il ne revienne s'assoir, le téléphone de Yeo-Sang vibre dans ses mains, exactement comme celui de Jong-Ho et d'Hong-Joong. Ils ont tous reçu un message au même moment, sûrement pas la même personne. Mais le contenu et l'auteur de ce message à tout sauf l'air d'être une bonne nouvelle.
Leurs sourcils se froncent, leur expression noirci. En me tournant vers la cuisine, vers Hong-Joong, je vois que celui-ci tient fermement son portable dans sa main, les yeux rivés sur l'écran. Puis un cri retenti, dehors. Celui de San, accompagné d'un bruit sourd. Non, plusieurs bruits qui s'enchaînent.
L'alarme d'une voiture se déclenche alors que les bruits continuent.
Je me retourne pour observer la coure depuis la fenêtre, et je vois les feux de la Jeep clignoter au rythme de l'alarme, pendant que San cogne dedans autant avec ses poings qu'avec ses pieds. Mes yeux s'agrandissent devant ce spectacle, puis ma bouche s'ouvre quand son poing traverse l'une des vitres avant.
Ne supportant pas plus de le voir ainsi, je me lève précipitamment du canapé dans le but de me diriger vers la porte d'entrée, mais une main s'enroule sur mon poignet valide alors que mon second pied n'a même pas encore touché le carrelage. On a abandonné le tapis depuis longtemps après que San se soit installé dans le salon taché de sang. C'est Hong-Joong, qui a laissé tombé son téléphone par terre en me rattrapant.
- N'intervient pas. Il me supplie du regard et me reprend avant que je prenne la parole. Il risque de se défouler sur toi. Avec le décès de Nanou, il n'est plus capable de retenir sa colère et ses coups.
Il a raison. Mais je n'ai pas envi qu'il ait raison.
- Je ne supporte pas de le voir comme ça. Ma voix presque à chaque mot, le surprenant autant que moi. Je suis sûre que je pourrai le calmer...
Sa prise sur moi se ressert. Il me laisse à peine le temps de finir ma phrase avant de commencer la sienne.
- Non, ça ne marche pas comme ça, Hannah. Sa voix est plus sèche. J'ai l'impression qu'il se force à être dur avec moi pour me passer l'envi de faire l'inverse de ce qu'il me dit, ou supplie, de faire. San ne se calmera pas juste en te voyant. Il oubliera qui tu es, que tu es blessée, et il te blessera encore plus. Tout ça alors que tu pensais lui venir en aide. Mais ça sera pire. Il regrettera de s'en être pris à toi quand il aura redescendu, et par peur que ça recommence il s'éloignera de toi. Il rompra, et toi tu seras dévastée.
Les larmes commencent à perler le coin de mes yeux, pas seulement à cause de la dureté de ses mots qui représentent la réalité.
Je ne suis pas du genre à pleurer si facilement, au moindre discours émouvant, mais là, j'ai vécu beaucoup trop de chose ces derniers jours pour encaisser encore. Alors je m'autorise à pleurer, mais juste pour me prouver que je suis forte, je reste silencieuse et garde la tête haute. Peut-être veux-je aussi rester forte pour soutenir San dans cette épreuve, pouvoir être une épaule solide sur laquelle il peut se reposer sans qu'il est peur qu'elle ne s'effondre. En tout cas, une chose est sûre, c'est qu'il est actuellement ma principale motivation.
Ouais, je parle bien du mec qui est entrain de taper dans une voiture dehors.
- Il... Il va réussir à se calmer seul ?
Face à ma question, Hong-Joong, attendri, lâche mon poignet pour venir me prendre dans ses bras. Une autre paire de bras m'entoure, puis une autre encore. Jong-Ho et Yeo-Sang nous ont rejoint. Leur présence m'aide à me sentir plus légère, mais le chaos que provoque San en arrière plan m'aide difficilement à me remettre de mes émotions.
- Dans ce genre de cas il ne réussit jamais à se calmer. Chuchote Jong-Ho avant de s'écarter. Il finira par s'épuiser tout seul d'ici le lever du jour. Mais tu seras là pour lui quand il se réveillera, et nous aussi on sera là.
- Tu n'as pas à supporter ce poids là seule. Yeo-Sang se détache de notre étreinte en me répondant d'une manière tout aussi douce. Ce n'est pas parce que San est ton mec que tu dois être celle qui lui vienne en aide systématiquement, et encore moins celle qui doit à tout prix minimiser les dégâts. Ce n'est pas ton rôle. Toi, tu es juste sa copine. Tu es son soutient le plus précieux, mais c'est à San de se ressaisir et d'avancer.
- San est... intervient Hong-Joong en me regardant dans les yeux, toujours en me serrant contre lui, spécial, et dur à vivre et à comprendre. Mais...
- Mais ça ne me fait pas peur. Un fin sourire se dessine sur mes lèvres puis les siennes. C'est pour ça que tu m'as choisi, après tout. Parce que que je n'ai pas peur de beaucoup de chose.
- Et que tu aimes avoir peur. Termine-t-il en hochant la tête. Il passe son bras derrière moi et je vois Yeo-Sang lui confier son téléphone. C'est ça qui l'a fait péter un plomb.
Il me temps l'écran sous les yeux. Il affiche une conversation avec seulement un message reçu, datant d'il y a cinq minutes. Je le lis et mon visage se crispe.

𝐖𝐡𝐞𝐧 𝐭𝐡𝐞 𝐍𝐢𝐠𝐡𝐭 𝐅𝐚𝐥𝐥 - 𝐂𝐡𝐨𝐢 𝐒𝐚𝐧Where stories live. Discover now