𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟓𝟓

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   Nous attendons le retour des garçons silencieusement. Le temps est long, San doit arriver dans quelques minutes seulement mais j'ai l'impression qu'il s'agit d'une éternité. Me voyant impatiente et anxieuse, Yeo-Sang et Hong ont sorti trois verres et ont ouvert une bouteille de whisky japonais, une partie de la collection de San qui se cache dans l'un des placards de la cuisine. Yeo m'a servi généreusement, mais j'ai quand même fini mon premier verre assez rapidement. La bouteille doit valoir si cher qu'il vaut mieux prendre le temps de déguster le whisky, mais dans mon cas j'ai surtout envie de me bourrer ma gueule. Quand on est soûl, on perd la notion du temps et notre esprit cesse de divaguer à droite à gauche. C'est ce dont j'ai besoin, en ce moment.
   En me réservant un second verre, Hong-Joong me dit de faire attention en voyant ma main lourde. J'engloutis ma premier gorgée avant de m'enfoncer dans le dossier du canapé, assise entre mes deux amis. Je soupire longuement, presque essoufflée. Est-ce l'anxiété qui retient mon souffle sans même m'en rendre compte ? Sans doute. En tout cas, j'ai hâte que l'alcool fasse effet et regrette de le tenir aussi bien. Mes yeux sont un peu plus lourds qu'avant, mais je n'ai pas sommeil. Je ne suis pas sûre de le trouver cette nuit, à vrai dire. Mon cerveau est trop actif pour ça, malheureusement.
   Le manoir est plongé dans une ambiance étrange ce soir. Il a l'air de faire plus frais qu'en temps normal, mais je semble la seule à le remarquer, peut-être car ce n'est qu'une impression. Seul la lumière de la cuisine éclaire le rez-de-chaussée, et le silence ambiant a de quoi me faire frissonner. Pourtant, je ne suis pas décidée à le briser. Je n'ai rien à dire. Ou alors peut-être que j'ai justement trop à dire. Les garçons, eux, semblent encore être en pleine forme, et le silence ne pas les déranger. Ça doit être pareil à chaque mission comme celle-ci, je suppose, et j'imagine qu'ils auraient préféré aller sur le terrain plutôt que de faire du baby-sitting. Mais ça, ils ne me le diront jamais.
   Plus tard, depuis la fenêtre du salon j'aperçois le portail du domaine s'ouvrir, puis une voiture entrer et s'arrêter dans la coure. Seul San en sort. Le véhicule est déjà reparti quand ce dernier entre dans le manoir.
   En avalant d'une traite le fond de leur verre, les garçons se relèvent et rester immobiles, attendant que leur chef entre dans le salon. Ce qu'il fait, pas même débarrassé de ses chaussures. Mon cœur s'emballe quand je le vois, cagoulé, mais pour de bonnes raisons. Je l'aime, et il est en vie. Il va bien, il n'a rien. C'est le principale, ce sur quoi j'essaye de me concentrer pour éviter de me perdre dans mes pensées.
   San retire sa cagoule et la balance sur la grande table basse en verre quand il arrive à son niveau. Il secoue la tête de droite à gauche pour recoiffer grossièrement ses cheveux et enlever les mèches qui lui cachent la vue. Ses yeux noirs accrochent ceux de ses amis, puis le mien. Je tente un sourire. C'est raté. Je préfère oublier cet échec en avant deux grosses gorgées du liquide ambré.
- Vous vous êtes bien débrouillés. Lance Hong-Joong, détendu.
- Hmm fut la seule réponse de San.
Son visage est blasé, ses yeux sont tombants. Il n'est pas ouvert à la conversation ce soir. Est-ce qu'il ressent quelque chose ? Est-ce qu'il culpabilise d'avoir tuer une mère et sa gamine ? J'aimerai bien le savoir, mais je sens que poser la question n'est pas une bonne idée. Pas tout de suite, en tout cas.
- On va y aller. Yeo-Sang, un fin sourire aux lèvres, se tourne vers moi, encore affalée dans le canapé. Tu nous appelles s'il y a un problème. Repose toi bien.
C'est déjà ce que je fais toute la journée, me reposer. Mais il est juste inquiet, je ne peux rien lui reprocher. Après tout, une balle m'a fait un putain de trou dans le ventre et mon amoureux vient de tuer deux innocentes.
Sympas cette vie de couple.
Je le salue d'un geste de la main. Yeo attend Hong-Joong dehors pendant que ce dernier se penche vers moi pour déposer un baiser sur mon front. Quand il passe à côté de San pour se diriger vers la sortie, celui-ci lui adresse un regard désapprobateur et menaçant. Hong place juste une main sur son épaule en lui souriant, et enfin sa Porsche quitte la coure une petite minute plus tard, nous laissant seuls, moi et mon copain.
Je bois une nouvelle gorgée de l'alcool, mon regard se perdant dans le vide. Le siège du canapé s'affaisse à côté de moi et un bras m'entoure les épaules. Son corps est tendu à côté du mien.
- Je me sens vide. Soufflais-je finalement.
- Tu n'as pas l'habitude de ce quotidien, ça passera.
On ne le dirait pas rassurant du tout, mais il parle en connaissance de cause.
San se penche vers la table pour attraper la bouteille. Quand son dos s'enfonce une nouvelle fois dans le dossier du canapé, il boit directement au goulot plusieurs longues gorgées, la tête renversée en arrière.
Merde, il est divinement beau.
Je finis mon verre. Je n'ai pas besoin de le lui demander qu'il le remplit déjà.
- Qu'est-ce qu'on fait ?
Sa question manque de me faire rire. Qu'est-ce qu'on fait après avoir tuer quelqu'un ou après avoir été complice de deux meurtres ?
- J'en sais rien.
- Tu ne veux pas aller dormir, j'imagine.
Il est à peine vingt et une heure, mais j'ai l'impression qu'il est déjà minuit passé.
- Tu imagines bien. Toi non plus, je suppose ?
- Tu supposes bien. Il fait une pause. On va au lac ?
- Bof, mon corps est fatigué.
- J'emmène deux bouteilles, des clopes et du shit.
- OK, je te suis.
Il boit à la bouteille et pouffe un rire à ma réponse. Cinq minutes plus tard, je suis déjà assise sur le siège passager de la nouvelle voiture de San. Une Jeep, noir. Il a racheté exactement la même. Et le cadavre de l'autre a disparu.
Il s'installe à côté de moi, démarre et prend la route du lac. À l'inverse du manoir, le calme de la nuit est pour moi plus réconfortant et apaisant. Regarder le paysage; la route entourée par les arbres et les lumières de la capitale au loin; défiler depuis la vitre me fait partiellement oublier mon quotidien... aléatoire, spécial. Une main se glisse sur ma cuisse et ma caresse doucement. Je souris, cette fois-ci j'y parviens sans problème et naturellement.
- Tu peux mettre ta musique si tu veux.
Je souris encore plus.
- Je croyais que tu n'aimais pas ? Dis-je en me tournant vers lui, ma main se posant sur le dos de la signe comme attirée par elle.
- Je n'aime toujours pas.
Il est ridicule. Adorablement ridicule.
- C'est gentil, mais je n'en ai pas envie, là, maintenant.
- Qu'est-ce qui te tracasse ?
- Plein de choses ? Le fait qu'à présent je sois complice de non pas un meurtre mais deux ?
- Tu étais déjà complice de meurtres. Les corps de Monsieur Jang et de ses hommes tombant un à un comme des dominos, tous morts, me revient à l'esprit. Et tu y as assisté, cette fois là.
- Oui, mais ce n'est pas pareil. Jang était un enfoiré. Il faisait du trafique d'être humain.
- Sa mère est complice du meurtre de mon père, elle n'est pas innocente. Quand à Jang, il ne faisait pas que ça. Je fronce les sourcils en attendant la suite. Il battait ceux qu'il séquestrait, il les violait, les tuait. Et c'était aussi un pédophile.
Je grimace.
- Je m'en doutais déjà un peu. C'était juste trop horrible pour que je le dise.
- Quand Eunji mourra, on pourra faire quelque chose pour les victimes.
- C'est vrai ?
Le visage de la pauvre Elisa Mancini, l'italienne que j'ai rencontré à la soirée d'Eunji, organisée chez lui, me fend le cœur. Cette pauvre fille, obligée de finir le restant de sa vie au bras de Monsieur Yoon, se gros porc... Elle doit être morte à l'heure qu'il est. Elle était si maigre, son visage si marquée par la fatigue... et sa robe devait cacher de grosses blessures.
   Ça aussi, je ne suis pas prête de l'oublier.
   - Je ne te promets rien. Mais je m'engage à faire ce qui est en notre possible.
   Devant mon absence de réponse, il détourne son regard de la route pour rencontrer les miens.
   - Ça serait superbe, répondis-je finalement.
  

𝐖𝐡𝐞𝐧 𝐭𝐡𝐞 𝐍𝐢𝐠𝐡𝐭 𝐅𝐚𝐥𝐥 - 𝐂𝐡𝐨𝐢 𝐒𝐚𝐧Where stories live. Discover now