𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟒𝟑

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   Le son de l'explosion est si fort et proche qu'il me donne immédiatement des acouphènes. Ma bouche était grande ouverte. Sûrement étais-je entrain d'hurler, mais mes oreilles étaient trop bouchées pour que je puisse entendre ma propre voix. Et le vacarme tout autour de nous n'aidait encore moins.
   Quelque chose attire mon regard. Un nuage rouge et orange qui s'accompagne d'une épaisse brume. Je ne peux même plus apercevoir l'entrée de l'entrepôt tant celle-ci est opaque et recouvre déjà une bonne partie de l'endroit, s'élevant à grande vitesse dans la hauteur de celui-ci. Ma gorge commençait déjà à me démanger et ma respiration devenait pénible. Enfin... je ne savais pas vraiment si c'était dû à la fumée ou à la panique. Car si me cacher d'un mec qui voulait sûrement notre peau avait pour moi été excitant, ce n'était à présent plus le cas.
   Le hangar est entrain de s'embraser. L'inconnu était là pour nous tuer, oui, mais avec une putain de bombe.
   Les flammes dévorent les étagères bien trop rapidement pour que l'on puisse seulement imaginer se frayer un chemin jusqu'à la sortie. On ne va pas tarder à être entourés par le feu, mais ce n'est même pas notre principal problème. Les étagères sont toutes entrain de s'effondrer une à une, comme des dominos. Je n'ai même pas encore eu le temps de bouger que celle sur laquelle nous sommes est déjà entrain de basculer, et mon corps avec.
   Je sens une main se faufiler dans mon dos et agripper ma hanche. Ma tête se renverse en arrière et je me sens tomber dans le vide, mon dos serrée contre le torse de San. Dans la chute je crois hurler, mais ça encore je n'en suis même pas sûre. Quand j'atterris je suis étonnée d'être seulement engourdie malgré ma chute de sept ou huit mètres. Puis mon cœur s'emballe jusqu'à m'en faire mal lorsque je réalise que San s'était glissé derrière moi pour amortir l'atterrissage.
   Je me redresse sur les coudes difficilement. Autour de moi des cartons, ouverts pour la plus part, sont étalés sur le sol en béton et le recouvre. Les armes qu'elles contenaient se sont renversées et je suis persuadée que des balles perdues ont été tirées. Mais là encore je ne pouvais pas le savoir, mes oreilles étaient toujours bouchées. L'étagère menace de m'écraser mais par chance quelques cartons permettent de maintenir un espace entre elle et moi. Mais il n'y a pas que ça. En me retournant je constate avec effroi que San a non seulement bien préféré se sacrifier pour m'éviter d'avoir trop mal, mais qu'il est aussi entrain de se battre contre l'étagère pour qu'elle ne s'écroule sur nous. Ses bras contractés et tremblant sont tendus vers l'avant, juste au-dessus de ma tête, et ses mains tiennent deux barreaux. Je ne sais pas
combien elle pèse, mais ça me paraît presque irréel qu'il parvienne à la supporter.
   Il grimace. Une veine sur son front ressort, sa mâchoire est contacté et ses dent serrés. Ses lèvres bougent mais aucun son n'en sort. Enfin si, mais je n'entends rien. Cependant je devine très bien ce qu'il est entrain de me dire.
Casse toi.
   Je détache mon dos de son torse en roulant à côté de lui. En l'imitant je tends mes bras en avant pour porter la structure. Je crois qu'il s'attendant à ce que je sorte de là en le laissant seul, mais ce n'est pas dans les plans. Mon aide pas bien grande à cause de ma force limitée lui permet quand même de se dégager des carton pour se placer entre l'espace vide de deux planches. Je fais de même, et nous pouvons enfin relâcher l'étagère sans qu'elle nous écrase.
   Mes jambes tremblent lorsque je remets sur pied. San m'attrape de nouveau la taille pour me coller à lui le temps que je le stabilise. C'est alors que je remarque son pull gris mouillé au niveau des épaules. Quelques secondes me sont nécessaires pour comprendre qu'il ne s'agit pas d'eau comme j'en avais l'impression, mais de sang. Ses cheveux se collent entre eux à l'arrière de sa tête. Il s'est ouvert en tombant, alors que moi j'ai juste été légèrement assommée en retombant sur son torse.
   Ses yeux paniquées me détaillent rapidement de haut en bas puis reprennent un air à peu près normal en voyant que je n'avais rien à part quelques égratignures sur les mains et le visage je crois. Des cartons avaient dû me tomber dessus et je n'y avais pas prêté attention. Ses légères articulent de nouveau quelque chose, mais cette fois ci je parviens à l'entendre juste assez pour le comprendre. Mes acouphènes commencent à s'estomper, révélant aussi le bruit sourd des cartons qui tombent un peu partout et celui aiguë du fer des étagères qui s'entrechoque.
   - Ça va ? Je hoche la tête comme un robot. Je ne suis pas sûre d'avoir été vraiment consciente de mon geste. On va s'en tirer.
J'ai l'impression qu'il essaye de me rassurer et lui en même temps.
   Une quinte de toux me prend. Mes poumons commencent légèrement à me brûler et ça ne fait qu'empirer. Ma vue se brouille à cause de la fumée de l'incendie. J'aperçois une étagère à dix mètres de nous brûler en quelques secondes seulement. Les flammes allaient très bientôt se propager jusqu'à nous.
San attrape mon poignet et commence à se frayer un chemin entre les étagères, les cartons et les armes renversées, m'entraînant à sa suite. Il se penche pour attraper un revolver et une une recharge déjà pleine un peu plus loin. Il échange habilement celle de l'arme à feu avec celle-ci, utilisant seulement un main. Je fronce les sourcils en voyant sa démarche hésitante. Mon regard passe de son dos musclé à ses pieds.
Il boite.
L'étagère a écrasé sa cheville.
- San tu devrais faire attention... Il me coupe sèchement, presque en hurlant, comme si j'avais dit quelque chose de grave.
- Ferme là !
J'obéis comme si ma vie dépendait de lui. Ce n'est pas vraiment faux.
Ses mots ont un drôle d'effet sur mes oreilles. J'ai l'impression qu'ils ont été l'élément déclencheur pour qu'elles se débouchent. Je n'entends plus rien s'écrouler. Il n'y a plus que le crépitement du feu et les quelques cris à l'extérieur du bâtiment.
Nous avons à peine pu faire quelques pas que, ça y est, les flammes commencent à frôler nos vêtements et réchauffent notre peau. San me tire dans la direction opposée aux grandes portes, dans une grande allée qui nous éloigne des combustibles. J'imagine qu'il y a une sortie plus discrète là-bas. Je n'ai pas de mal à hater le pas, en revanche je vois bien que San a de plus en plus de mal à garder une cadence rapide. Je grimace rien qu'à imaginer la douleur qu'il ressent et ignore. Ma respiration haletante demande plus d'air qu'en temps normal, malheureusement je ne suis absolument pas dans l'endroit qu'il faut pour. La fumée commence à m'asphyxier. Elle brûle mes poumons, ma gorge et mes yeux. Des larmes dévalent mes joues à cause d'elle mais s'évaporent vite. J'ai beau remonter ma doudoune jusqu'en haut de mon nez, je ne peux pas échapper à elle. Ma toux se fait de plus en plus récurante. Je commence à avoir vraiment mal.
Je comprends pourquoi San m'a ordonnée de me taire. Parler demande davantage d'oxygène, ce que nous n'avons quasiment plus.
Devant nous apparait soudainement une ombre, à peine discernable dans la fumée. San lève l'arme qui tient son arme et tire sans hésiter. L'ombre tombe. Le bruit de sa tête cognant le sol me donne un frisson.
Ma main passe sur l'élastique de mon legging mais rencontre que du vide.
Putain.
Je tenais un pistolet avant de tomber. Je l'ai lâché sans même m'en apercevoir dans ma chute. Je n'ai plus que la dague de Yeo-Sang, glisser dans son fourreau attaché à ma cuise, pour me protéger et me défendre. Ce n'est vraiment pas l'idéal, dans une situation comme celle-ci pouvoir attaquer à distance à carrément plus adaptée. Mais je vais devoir m'en contenter d'ici que je trouve un autre pistolet ou un revolver par terre. Je ne sais pas me servir d'autre chose.
La prise de San sur mon poignet se ressert. En temps normal j'aurai déjà été entrain de grimacer, mais la fumée dans mes poumons commence dangereusement à me faire suffoquer. Il doit s'en rendre compte avec la toux que j'ai.
L'espoir grandit lorsque j'aperçois une porte à quelques mètres de nous, mais il s'écroule aussi vite au moment où une nouvelle ombre apparaît entre elle et nous. San tire. Elle esquive. Une autre détonation retentit. Mon corps tombe à terre sous le poids de celui de San. Il se redresse aussitôt en pointant l'arme vers l'inconnu et enchaine les tirs. Notre adversaire a l'air plus entraîné que les deux autres puisqu'il évite toutes les balles à l'exception d'une qui lui traverse l'épaule droite. Il porte sa main gauche sur sa blessure qui lui empêche de soulever correctement son arme, et foire son prochain tire.
Je me redresse en me cachant derrière le chef des Pirateez, inutile dans cette situation. Je l'observe abattre l'inconnu d'une balle dans la tête. Quand San se retourne vers moi pour chercher mon poignet, je suis tout d'un coup tirer en arrière agressivement. Ma tête percute le sol et une arme à feu par la même occasion. Mes oreilles bourdonnent et mes yeux se referment quand celle-ci tire une balle perdue. Si le canon avait été dans l'autre sens, c'est pas dans un carton qu'elle serait atterrie mais bien dans mon crâne.
Un hurlement s'échappe de ma bouche quand une main attrape ma couette pour me forcer à me relever. Je dois me mettre sur la pointe des pieds pour ne pas souffrir encore plus. Devant moi San me regarde avec de grands yeux emplis de terreurs, moi puis mon agresseur que j'aperçois du coin de l'œil. Mon regard croise le sien. Le temps se suspend.
Je le connais. Je l'ai déjà vu quelque part. C'était... c'était à la réception d'Eunji. L'agent de sécurité chauve avec des lunettes. Il gardait l'entrée de la maison avec un autre. C'est lui qui m'avait parlé sur un ton condescendant comme si je n'était qu'une mouche à merde.
Je ne suis pas la seule à avoir reconnu l'autre. Il se souvient de moi. Il sait qui je suis.
S'il s'échappe d'ici, Eunji saura.
Il ne s'échappera pas. Pas vivant.
Un coup de pied en arrière le force à me libérer pour éviter un coup dans les bijoux de famille. La tension douloureuse sur mon cuir chevelu ne m'empêche pas de l'enchaîner avec un revers du droit dans la mâchoire. Il pare mon coup à la dernière minute, le visage surprise.
Personne ne s'attend à ce qu'une petite meuf accompagne le grand Choi San. Et personne ne s'attend encore moins à ce qu'elle sache aussi bien se défendre.
Je rabats mon bras pour attraper mon arme blanche et la lui planter dans le torse. Il recule, mais ma lame a réussi à couper la laine de son pull et sa peau. La coupure est légère et saigne à peine, mais ça ne fait que commencer. Derrière moi un nouveau tir retentit. San a tiré dans la direction du chauve mais il a esquivé en se cachant derrière moi, le forçant à abandonner son arme pour le moment. Mon bras brandit une nouvelle fois le couteau dans sa direction, mais il est plus rapide que moi. Un coup de poings dans la main me fait lâcher mon arme alors que mon poignet craque beaucoup trop fort pour que cela ne soit pas inquiétant. Je hurle à la mort alors que des larmes perlent mes yeux quand je vois la forme d'un os ressortir d'un côté et mon poignet presque pendre dans cette même direction.
Il m'a cassé le poignet.
- Hannah ! Hurle San.
Je cris davantage en donnant un coup de tête a l'homme d'Eunji, assez puissant pour le troubler. L'inconvénient, c'est que moi aussi je finis assommée.
Mon corps s'écroule par terre. Il ne peut plus gérer le manque en d'oxygène, la panique et maintenant mon poignet brisé. Je m'essouffle encore plus en hurlant, seule manière pour moi d'atténuer la douleur. Je n'ai jamais eu aussi mal de toute ma vie.
San passe à côté de moi pour se jeter sur le quarantenaire après avoir ramassée mon couteau. Il n'arrive pas à le lui planter dans le cœur mais parvient tout de même à toucher son torse. L'homme hurle. Il ne le fait même pas aussi fort que moi. Il se détache, le couteau toujours planté, et dégaine un pistolet qu'il pointe sur San. Cependant, quand ce dernier se place devant moi pour me protéger, il semble comprendre que San se préoccupe bien plus de ma vie que de la sienne.
San aussi l'a vu. Il se jette encore sur lui, lui donne un coup de pied dans le genoux pour le faire perdre l'équilibre, puis se glisse derrière lui pour masser son bras autour de son cou. Il se sert de son autre main pour attraper le pistolet. San grimace en maintenant son emprise sur lui alors que sa main redirige le canon de l'arme vers la tête de son propre porteur. Le visage de l'homme devient rouge. Il essaie de tourner l'arme vers moi, mais la force des deux semblent égales. À ce rythme, on va juste tous crever.
Mon regard se pose sur le pistolet sur lequel ma tête a atterri tout à l'heure. S'il a tiré une balle perdue, c'est qu'il doit être encore bien chargée. Je serre les dents pour m'empêcher d'hurler encore plus et me précipite sur l'arme en question. Portée dans ma main gauche elle me paraît bien trop lourde, mais ce n'est pas comme si j'avais le choix. Ma main forte est cassée et pend actuellement le long de mon corps, je ne peux plus rien en tirer.
San et l'ennemi sont bien trop occupés à se battre contre l'autre pour me voir me déplacer et brandir l'arme sur la tête de ce dernier. Mon bras tremble. Le tendre est difficile à cause du poids du pistolet, et je sens que mon tir va être médiocre. Mais je dois le réussir.
Les flammes commencent à me brûler le visage transpirant. La plastique de mes baskets se met à fondre alors même que le feu ne l'atteints pas et j'étouffe dans ma doudoune et mon gros sweat. Ce n'est clairement pas l'homme qui va nous tuer, mais bien la fumée et les flammes.
Je pointe le canon que la tête de l'homme puis me rappelle mes entraînements avec San où m'apprends encore à bien viser. Une balle peut facilement transpercer un corps, c'est ce qu'il m'a dit il y a quelque semaines. Si je tire dans la tête du type, il y a de grandes chances que la balle se loge aussi dans celle de San.
Le souffle court, mon bras se fige difficilement pour mieux viser la main du l'homme d'Eunji, celle qui tient d'arme. Quand il croise mon regard, j'ai déjà tiré.
Mais lui aussi, il a tiré.
Mon arme et la sienne tombent au sol. San cri. Un véritablement hurlement à en glacer le sang.
De la colère.
San ressert sa prise sur la gorge de l'ennemi, attrape l'arrière de sa tête avec son autre main, puis tire cette dernière en maintenant la pression pour tourner son cou jusqu'à briser sa nuque.
Mes yeux s'écarquillent alors que la vie quitte ceux de l'homme. Son corps se ramollit et tombe après que San l'ait lâché. Comme tout à l'heure, le son de sa tête heurtant le sol me dégoûte. Mais le choc d'avoir vu San ôter la vie de quelqu'un à main nu en un geste court et sec seulement surpasse largement ce sentiment. Et si seulement c'était la seule chose choquante...
- Non, non non...
Mort d'inquiétude, il enjambe le cadavre de l'homme pour me prendre dans ses bras. Ses yeux fixent mon abdomen, mais je ne comprenais pas pourquoi.
- Reste avec moi. Hannah... reste avec moi... Hannah...
Aussi impossible que cela puisse paraître, la dernière chose que je vis avant de m'évanouir fut bien une larme solitaire s'échappée de son œil gauche.

𝐖𝐡𝐞𝐧 𝐭𝐡𝐞 𝐍𝐢𝐠𝐡𝐭 𝐅𝐚𝐥𝐥 - 𝐂𝐡𝐨𝐢 𝐒𝐚𝐧Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang