𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟒𝟎

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L'alcool commençait à faire son effet. Non, en fait c'était déjà le cas depuis un moment, mais il affectait ma perspective du temps. Sous mes pieds le sol tanguait et ma vue n'était plus tout à fait net. Si je tournais trop rapidement la tête je verrais les choses autour de moi troubles, et j'étais pratiquement sûre que cela allait me donner la nausée. Malgré tout et avec l'habitude je savais très bien me débrouiller, pas suffisamment pour cacher le fait que je suis soûle mais assez pour ne pas dire n'importe quoi et ne pas trébucher à n'importe quel obstacle. Je déposais ma coupe de champagne sur le plateau de l'un des serveurs et m'en reprenais un dans la foulée, faisait tout de même attention à bien manger entre chaque verre. Deux heures je suis redescendue de l'étage, je connaissais tous les petits fours par cœur.
Je n'étais absolument pas à l'aise dans cette foule d'hommes riches et pervers, mais au moins l'alcool m'aidait à l'oublier. Je pouvais ainsi plus facilement ignorer les nombreux regards mal placé que l'on me jetait, et ce peu importe où je me trouvais. Ma robe rouge attirait l'œil, mais il n'y avait clairement pas que ça. Tous ses hommes me voulaient dans leur vitrine, et sûrement « grâce » à Eunji ils ne m'approchaient pas pour autant. Je devais être catégorisée comme la meuf de l'hôte, sa copine, sa conquête, son objet ou son jouet peut-être même. Cela m'importait peu. Ce n'est pas le plus important et au moins ça m'évite bien des ennuies.
   Depuis deux heures Eunji me baladait de conversation en conversation, m'affichant à ses côtés tel un trophée durement mérité. J'essayais de le prendre comment un compliment. Elles tournaient majoritairement et surtout autour de leurs « petites » activités. C'est comme ça que je l'appelais pour rendre les choses moins graves.
   J'en avais appris pas mal, notamment sur le fait qu'Eunji côtoie ce milieu depuis son enfance à cause de son père. Chose absolument pas saine évidemment, et on voit bien les dégâts. Bon sang, quand je pense que ce détraqué détient des photos de moi en sous-vêtement, imprimées, commentées, classées... Je ne préfère même pas y penser.
   Le nom de Pirateez avait plusieurs fois été évoqué, majoritairement par les autres que par Eunji. Celui-ci semblait vraisemblablement éviter de les citer. Après ça dernière défaite, ça se comprend. Il restait assez brève à ce sujet, écoutant surtout les autres cracher sur ce cartel. Ils les surnommaient « les rats ». San, lui, avait le droit à des noms encore plus affectueux tel que « le fils de pute » ou encore « l'incapable ». À chaque surnom j'avais eu droit à la réaction du concerné en direct, et c'était dur d'en faire abstraction. J'avais envie de rire ou d'au moins pouffer un rire, mais ça aurait été trop bizarre au beau milieu d'une conversation que je n'étais pas censée comprendre. En revanche, la seule fois où le nom « Monsieur Choi » a été évoqué, je ne l'ai plus du tout entendu commenter. Au contraire il s'était tu, se renfermant dans le silence pendant peut-être vingt minutes. Le nom de son père avait été cité alors que mon patron discutait avec un certain Monsieur Kang dont j'avais oublié le prénom; j'en avais entendu trop pour m'en rappeler même d'un seul; qui affirmait que Pirateez s'était considérablement ramolli depuis la mort de son fondateur. Ce qui était en soit pas faux à ma connaissance. San n'était pas préparé à reprendre l'affaire si jeune, la pression l'a vite écrasé et il en subit encore les conséquences. Mais à l'entendre parler on aurait dit que Pirateez n'était presque plus et qu'il devenait de plus en plus facile à attaquer. Là par contre je n'était pas d'accord, mais soit. L'avantage c'est que les ennemis ne pouvaient être que pris par surprise devant la puissance du premier cartel d'armes, toujours méritant de ce titre. Il semblerait que les hommes présents dans cette pièce souhaite tous voir San tomber, et en y réfléchissant bien je n'ai jamais entendu les garçons parler d'une quelconque alliance avec un autre cartel. Car ils n'en ont pas.
C'est Pirateez contre le reste monde.
J'ai été bien surprise qu'Eunji soit aussi tranquille de me laisser assister à ce genre de discussion. La preuve qu'il me prend vraiment pour une imbécile. Lui aussi commençait à avoir un coup dans le nez, ses joues légèrement rougies me le montrait tandis que ses gestes devenaient un peu plus lent, moins précis. Ce n'est pas pour autant qu'il est devenu une cible facile. Au contraire il a l'air d'avoir les idées encore bien en place.
Autour de nous la musique d'ambiance devenait de plus en plus discernable à cause ou grâce aux premiers invités qui s'en allaient. Le grand salon se vidait lentement, trop lentement pour moi. J'attendais qu'une chose: pouvoir partir d'ici sans paraître pressée. Je devais jouer le rôle de la fille entièrement sous le charme de son patron, prête à sacrifier son temps rien que pour avoir son attention et son affection. Je ne pouvais pas retirer sa main sur mon corps; ce qui pourtant me démangeait énormément de faire; je ne pouvais pas non plus échapper à nos discussions, ni avec les autres. En temps normal je ne me serais jamais rabaissée au rôle de la jolie poupée, mais les choses devenaient de plus en plus sérieuses et importantes. Elles devenaient même dangereuses.
Quand le quarantenaire et sa femme avec qui nous parlions, ou plutôt avec qui Eunji parlait; s'en vont, je me tourne vers mon patron pour profiter de ce moment en tête à tête pour user de mon charme. Gagner sa confiance. Il n'y avait que ça qui comptait.
- Tu as chaud ? Je balaye lentement une mèche de ses cheveux qui retombait sur son front puis pose ma main sur sa joue. Je le sens frissonne à mon contact alors que ses yeux me dévorent. Tes joues sont rouges.
Je savais très bien que c'était à cause de l'alcool, je n'en doutais pas une seconde. Mais faire semblant de m'inquiéter pour lui était le meilleur moyen de l'avoir dans mon sac. Pour ça je n'avais pas besoin d'être entraînée par l'un des garçons.
- Oh Hannah...
Je n'ai jamais été aussi heureuse d'être entourée de monde. Eunji me regardais d'une manière que je savais très bien interpréter. Sa mains qui pressait le bas de ma hanche, un peu plus bas que la naissance de mes fesses, m'aidait aussi à compenser ses intentions. Et comme ça ne devait pas être assez pour lui, il rajouta sa seconde main à ma deuxième fesse après s'être débarrassé de son verre. Sait-on jamais, peut-être que celle-ci aurait été jalouse de ne pas avoir le même traitement que la première. Sa prise lui permit de me rapprocher de force à lui dans un mouvement tout sauf doux. Ces gestes brusques auraient pu me poser aucun problème s'ils avaient été fait par un certain chef de gang, mais venant de lui c'était dégoûtant.
L'alcool faisant, je n'ai pas trop de difficulté à suivre son entreprise en frottant mon entrejambe à la sienne, encerclant sa nuque d'une de mes mains, l'autre tenant la coupe de champagne. Un son sort de sa bouche dans un soupire, quelque chose qui s'apparentent à un grognement. On est chez les mâles alpha ou quoi ?
   Il avance ses lèvres vers mon oreille dépourvu d'oreillette pour me susurrer quelques mots tout sauf plaisant, tant que j'avais du mal à le simuler. Je ne pouvais pas m'empêcher d'imaginer moi et San dans cette situation et non pas moi et mon patron fou. Bon... San aussi est fou, mais si c'est lui j'accepte tout et mon cœur reste ouvert. Je ne sais pas si ça m'aidait à mieux la vivre ou si au contraire la réalité était encore plus dur.
   - S'il n'y avait pas tous ces gens, je t'aurai porté et étendu sur le bar. J'aurai écarté tes cuisses et enfoncer ma langue entre elles jusqu'à ce que tu jouisses en hurlant mon prénom. Ensuite tu m'aurais supplier de te prendre. Je t'aurai retourné et pénétrer si fort que t'en aurais saigné. Mes ongles marquerait ta peau frêle et tes seins se balanceraient dans tous les sens sous mes coups de bite. Il replace une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Dit moi que tu la veux. Supplie moi et tu l'auras.
   Mon estomacs se nouent. Ce n'est finalement pas l'alcool qui me donne la nausée mais bien ses mots. La bile me brûle le fond de la gorge. Je ne sais même pas ce qui est pire entre entendre ça et voir une dizaine de mec mourir devant soit comme ça a été le cas pour Monsieur Jung et ses hommes. L'un comme l'autre était horrible, mais dans la situation actuelle j'étais au centre. C'était différent. Je me sentais directement menacée, la panique prenant trop rapidement possession de mon corps. Mes jambes semblaient d'un coup trop faible pour porter le reste de mon corps, ou alors mon buste semblait soudainement trop lourd pour être porté par mes jambes, je ne sais pas.
   Face à son langage cru je ne sais que dire durant les premières secondes. J'ai bégayé un « je... » mais rien d'autre ne sort. Mon silence était jusqu'à présent pas un problème, mais il allait vite en devenir un si je ne fais rien. Je pouvais pour le moment prétendre être trop gênée ou excitée pour trouver mes mots, mais ça allait vite se sentir que je ne suis pas, mais pas du tout, dans cette... cette quoi ? cette vibe ?
   Orrh, peu importe.
   - Eunji... Son prénom m'arrache presque la bouche.
   Alors que la panique devenait de plus en plus dur pour moi à cause de mon rythme cardiaque et respiratoire trop élevé, quelqu'un nous bouscula et nous desserra l'un de l'autre. Nous tournions tous les deux notre regard vers la personne à l'origine de cela et mes yeux s'agrandissent en voyant la fille que j'ai vu au début de la soirée s'éloigner dans la foule vers l'escalier, l'occidentale. Elle ne se retourna pas une seule fois vers nous, pourtant je pourrais parier qu'elle sentait très bien le poids de notre regard sur elle. Ses hanches se mouvaient avec grâce dans sa marche, relevant encore plus sa jolie silhouette malgré sa maigreur. C'est là que je remarqua le tatouage dans son dos, mis en évidence par sa robe asymétrique et ses cheveux attachés. Le signe l'infini.
   J'aurai directement craché sur elle son mauvais goût si je ne m'étais pas rappelée que cette fille était victime du trafique d'être humain. Ce tatouage doit être là pour une bonne raison, c'est ce que je me dis.
   En tout cas, cette fille m'a très clairement sauvée d'une situation qui aurait pu rapidement dégénérée. J'ai l'impression que ce n'était pas involontaire, mais pourquoi aurait-elle fait ça ?
   OK Hannah, souffle.
   - Je dois aller au toilette, je crois avoir abusée du champagne.
   Déçu d'avoir été interrompu, le visage d'Eunji s'était crispé par la colère. Me regarder ne l'aida pas à se détendre.
   - Il y en a ici, derrière l'escalier. Je t'en prie.
   Je savais que ses mots froids ne m'étaient pas adressés, mais je les trouvais quand même flippants.
   Je ne me fais pas prier et repose mon verre de champagne pour me diriger vers l'escalier, là où derrière eux j'aperçois effectivement deux portes décorées par la silhouette d'une femme et l'autre d'un homme. Lorsque j'entre dans les toilettes des femmes je découvre une pièce dont l'un des murs est recouvert d'un grand miroir, en dessous du quel se trouve deux vasques en marbre et en dorée, le reste de la pièce étant dans les mêmes ton. De l'autre côté se trouvait deux autres portes donnant accès à deux toilettes, dont l'un est occupé.
   - Ça va aller Hannah.
   S'était San, mais je ne pouvais pas lui répondre, par crainte d'être entendu par la dame qui occupe l'un des toilettes. Je n'avais pas peur d'être prise pour une folle à parler toute seule d'un point de vue extérieur, en revanche l'idée qu'Eunji puisse potentiellement le savoir ne me plaisait absolument pas.
   Je me rapproche du miroir pour détailler mon visage à travers celui-ci. Je commençais à fatiguer, mon maquillage n'était plus tout près. Et loin des autres le sourire idiot que j'arbore depuis le début de la soirée disparaît complètement.
   Je soupire silencieusement.
   Je veux rentrer.
   Je me redresse rapidement quand la porte des toilettes occupés s'ouvre. Depuis le reflet je vois la jeune femme de tout à l'heure en sortir, bien moins en forme que moi et par rapport au début de la soirée. Les traits de son visage semblent tirés par l'inquiétude alors qu'elle se dirige vers moi pour poser ses mains sur mes avant-bras. Puis elle me fixe avec ses grands yeux couleurs noisettes.
   Sur le coup je ne dis rien. Je ne fis rien.
   Elle avait quelque chose à me dire. À m'apprendre.
   - Toi.
   Son coréen était mauvais, sa voix froide et faible. Je le savais rien qu'au seul mot qu'elle avait pour le moment prononcé. Elle possédait un fort accent, mais je ne savais pas lequel.
   Je ne réponds rien, je la fixais simplement en retour.
   - Danger. Danger.
   Elle essayait de se faire comprendre comme elle le pouvait, mais c'était dur.
   - Qui ? Lui demandai-je.
   Ses bras décrivent un grand cercle en direction de la sortie de la pièce. Elle veut parler de la foule.
   - Je sais.
   - Non. Non. Dit-elle d'une voix plus puissante.
   Elle leva la seule manche qu'elle avait, me dévoilant une peau souillée par des bleues, des entailles et... qu'est-ce que c'est ? des brulures aussi ? Bordel, et moi qui n'avait rien vu...
   À quoi je m'attendais ? Elle avait déjà l'air de ne pas assez manger, j'aurai dû me douter qu'elle était aussi battue.
   - Toi, partir. Horrible eux tuer filles comme nous.
   Italienne. Cette fille est italienne.
   - Eunji ?
   Elle hoche la tête, puis des larmes coulent le long de ses joues creusent. Elle fond dans mes bras, trop épuisée pour tenir davantage debout. Je la tiens contre moi pour qu'elle ne tombe pas et lui caresse doucement le dos, sentant ses larmes mouiller mes clavicules nues.
   Mon sang se glace.
   Donc Eunji tue aussi ses pauvres filles.
   Merde. Merde...
   Cette fille va bientôt crever elle aussi, c'est sûr. Monsieur Yoon n'en a bientôt plus l'utilité, et haut lieu de s'encombrer avec elle il va sûrement préféré s'en débarrasser pour de bon.
    Hannah, fais quelque chose.
   - Je ne veux même pas parler du fait que vous ne m'ayez pas dit qu'Eunji les tue. Je veux sauver cette fille.
   La fille est trop fatiguée pour remarquer que je parle. Elle ne redresse même pas la tête vers moi pour voir à qui je parle.
   - Tu n'es pas là pour ça. Me répond sèchement San.
   - Je ne peux pas la laisser, elle va mourrir.
   - On n'est pas des héros.
   Sa réponse m'énerve. Je n'ai vraiment pas besoin de ça actuellement.
   - Alors je l'aiderai moi-même.
   - San a raison, commence Hong-Joong, me décevant, ça nous rapporterai des ennuis. On ne peux pas aider toutes les filles dans cette situation.
   - Je sais bien que je ne peux pas sauver tout le monde. Dis-je agacée. Je peux peut-être l'aider elle. Au moins elle. Je baisse la tête pour croiser son regard embué par les larmes. What's your name ?
   - Elisa. Me répond-t-elle entre deux sanglots silencieux. Elisa Mancini.
   - Cette fille repartira chez son tyran ce soir, mais je veux que vous trouviez comment la retrouver et la sauver.
   - Tu ne pourras pas la sauver Hannah. San est plus calme. Ça sera trop tard.
   - Non, il doit bien y avoir moyen de... il me coupe.
   - On a déjà essayé de sauver des filles comme elles. Lâche-t-il. Elles sont toutes mortes. Les traumatismes les tuent à l'intérieur plus qu'à l'extérieur. Donne lui la liberté et la réalité la poussera au suicide. On a promis un bel avenir à des filles qui n'avaient plus rien pour les amadouer plus facilement. Elles n'ont plus de famille, plus rien sur quoi s'accrocher. Elles ne peuvent pas survivre, même avec toute la volonté du monde. Elles sont déjà mortes depuis longtemps.
   - Please...
   Les supplications d'Elisa et sa manière de me regarder me donnèrent le coup de grâce. Je ne pus empêcher quelques larmes de couler le long de mes joues puis de mon cou, alors que je regardais le vide droit devant moi.
   J'aimerai essayer, oh oui j'aimerai pouvoir la sauver. Mais si San me disait tout ça, ce n'était pas juste pour me faire changer d'avis. Et il parle en connaissance de cause...
   Non...
   Je ne peux pas accepter de ne rien pouvoir faire pour cette fille. Ce n'est pas possible... Comment de tels trafiques peuvent-ils encore exister...? Ce n'est pas juste. Ce n'est pas juste...
   - Éloigne toi d'elle. Quitte la réception.
   - Mais je...
   - C'est un ordre.
   - Mais San elle...
   - Tu travailles pour moi. Si je dis de partir, tu le fais.
   - Je ne peux pas repartir en sachant qu'elle... Il me coupe pour la énième fois.
    - Ne me force pas à te récupérer moi-même, Lee Hannah. Dépêche toi, vite.
   Il ne m'appelle jamais comme ça. Même les premiers temps après notre rencontre il ne l'a jamais fait. C'est Bora qui a l'habitude de m'appeler par mon nom. San c'est toujours Hannah, ma Hannah.
   - Je suis désolée. Vraiment désolée. Vraiment, vraiment...
   Je laisse le corps d'Elisa glisser jusqu'au sol, essuie rapidement mes larmes puis pars de la pièce presque en courant sans jamais me retourner vers elle. Je ne voulais pas voir ses derniers espoirs quitter son corps par ma faute. Je ne voulais pas m'infliger ce souvenir douloureux.
   Je le regretterai toute ma vie.

𝐖𝐡𝐞𝐧 𝐭𝐡𝐞 𝐍𝐢𝐠𝐡𝐭 𝐅𝐚𝐥𝐥 - 𝐂𝐡𝐨𝐢 𝐒𝐚𝐧Où les histoires vivent. Découvrez maintenant