𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟓𝟔

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    On toqua à la porte du bureau. Le chef de cartel répondit par un « Faites les entrer » sec et froid, à l'effigie de son expression facial. Depuis qu'il a appris par l'intermédiaire d'un de ses hommes que nos deux invités tant attendus étaient arrivés à La Cour des Pirates, il y a cinq minutes, San a enlevé le sourire de ses lèvres pour se mettre plus franchement dans son rôle de chef. La différence de comportement est toujours perturbante pour moi, même après cinq mois passés en sa compagnie.
   Assise sur l'un des canapés en cuire, je regarde WooYoung et Jong-Ho ouvrir chacun l'un des battants de la porte, dévoilant deux hommes dans la trentaine, de tailles moyennes et habillés dans des couloirs sombres. Honnêtement, plutôt pas mal, bien taillé et soigné. L'un d'eux a les cheveux coupés à ras qui lui durcissent le visage, tandis que la raie au milieu de ceux de l'autre lui donne un air sérieux. Mais à l'heure qu'il est, ils sont terrifiés et peu confiants.
   - Bonsoir, Monsieur Choi. Fait ce dernier d'une voix grave et tremblante après hésitation.
   Tous les deux inclines leur tête pour saluer San avec respect. Un geste que San attendait deux, car il permet de leur rappeler qu'ils sont hiérarchiquement inférieur à lui. Il leur fait signe de prendre place sur le canapé face au mien. Les deux hommes avancent les bras le long du corps comme des robots. L'un, celui au crâne rasé, manque de se prendre les pieds dans le vieux tapis qui recouvre le sol sous les canapés et le bureaux. Ils s'installent et restent droit comme des « i », tournant très rapidement tous les deux leur attention vers moi, mais ils ne s'attardent pas même trois secondes, comme s'ils savaient que m'épier était une très mauvaise idée. Ils ne me connaissent pas, ils doivent se demander ce qu'un petit bout de femme comme moi fait ici, aussi à l'aise pour s'avachir contre le dossier, mais tout de même bien habillée d'un ensemble tailleurs bleu marine assorti au costume deux pièces de San.
   Je les ai commandé à une boutique dans laquelle San fait ses autres costumes sur mesure, puis j'ai envoyé Jong-Ho les chercher. San disait ridicule que l'on soit assortis, mais son visage et ses yeux étaient trop illuminés pour que cela soit vrai. Il a en réalité beaucoup aimé l'idée.
   Maintenant que mon rôle à Pirateez n'est plus un secret pour les membres, je n'ai plus à me cacher, et en encore plus depuis que tout le monde est au courant de qui je suis pour San. Je n'ai plus de SeYeon insupportable à supporter.
    - Ne perdons pas de temps. Commence mon copain. Quelles sont les nouvelles ?
   Il a ramené sa cheville droite sur son genoux gauche. Ses bras sont posés sur les accoudoirs confortables de sa chaise de bureau. Il dégage un sacré charisme et impose le respect. Il sait s'y prendre, ça c'est sûr. Et pour pousser encore plus le truc, Jong-Ho a quitté l'entrée pour se positionner derrière moi, une main posée sur sa taille, là où se tient son pistolet. Il a le visage relevé, le regard autoritaire. WooYoung fait de même mais derrière San. Moi aussi j'ai une arme à feux, accrochée à ma ceinture, et je dois dire que ce n'est pas confortable de s'assoir et de sentir le canon de celle-ci rentrer dans ma cuisse.
   - Eh bien... celui au crâne rasé tousse pour s'éclaircir la voix, pas assez vaillant pour soutenir le regard de San. Ce matin à huit heure notre commissariat a reçu l'appel de Kim Eunji pour nous prévenir de la disparition de sa sœur et de sa mère. Il a expliqué qu'en l'absence de nouvelles il s'est rendu chez eux avant le travail, et c'est là qui l'a trouvé la maison vide. Les caméras n'ont rien pu filmer à causer du courant couper.
   Je reconnais bien l'œuvre de San et des garçons.
   Ces deux hommes tous les deux commandants de police. Des commandants corrompus, qui nous permettent d'avoir toutes les informations en temps réel, même et surtout celles tenues secrètes.
   - Les corps ont été repêchés à treize heure trente. Poursuit-il. Avec la décomposition et les gazes qui s'échappent des morts, ils n'ont pas eu le temps de couler assez profondément en deux jours pour échapper aux bateaux. Les cadavres sont tout juste reconnaissables. Les funérailles ont lieu dans deux jours de ce que nous savons. Eunji n'a pas tenu particulièrement à avoir des infos sur la cause du décès ou sur l'enquête en cours.
   - Il sait déjà de qui ça vient. Continue le deuxième. Il se vengera, mais pour le moment il est trop mal au point pour y réfléchir.
   Je pourrais donc passer à l'action bientôt.
   - Développe.
   - Ce matin déjà il était vide en comprenant ce qu'il se passait, mais ça c'est aggravé quand il a vu les corps après avoir demander à le faire. Il n'a pas eu l'air énervé, simplement dévasté. Une nouvelle recru l'a secrètement suivi toute la journée, et il n'a fait que de se bourrer la gueule dans la maison de sa mère en passant des appels pour l'enterrement et la passassions de l'héritage. Il y est encore, d'ailleurs. Il fait une pause. Il est tombé de haut, vous n'entendrez pas parler de lui pendant quelques jours.
   - Des preuves ? Des indices ?
   Celui au crâne rasé prend à nouveau la parole. 
   - Rien. Les médecins légistes savent qu'elles sont mortes d'une balle de sniper et qu'elles n'ont pas eu à lutter, mais c'est tout ce qui a été trouvé. Nos agents et nos supérieurs ratissent les alentours de leur maison et le fleuve pour trouver quelque chose. Ils espèrent retrouver le lieu du crime et éventuellement l'arme jetée dans le fleuve Han. Le nom de Pirateez est sortis deux fois tout au plus, car c'est le seul nom un peu louche qu'ils connaissent. Mais vous n'avez pas directement été cité. Personne  n'a fait de lien entre vous et Eunji.
   Pirateez n'est jamais utilisé pour parler du côtés légales du cartel, de sa couverture. Pour le public et les autorités, San a juste récupéré l'empire immobilier de son père et a fait sa richesse en rachetant pour louer. La Cour des Pirates est aux yeux des autres les bureaux dans lesquels travaillent San et ses « employés » au bon maintient de cette empire et à son développement. Comme son père et San ont acquis pas mal de bâtiment au fur et à mesure, ce mensonge continue de fonctionner. Tout le monde est loin de se douter que San n'emploie pas qu'une petite trentaine de salariés, présent régulièrement dans les locaux, mais bien des centaines à travers l'Asie.
   Si certains utilisent le nom de Pirateez, c'est surtout à cause des ratés traîtres qui ont eu le temps de propager la vérité avant d'être « mystérieusement » tués. Cela a créé des rumeurs, mais jamais plus grâce à ceux corrompus des forces de l'ordre. Je l'ai appris lors de l'une de mes nombreuses conversations avec Hong-Joong.
Le même homme reprend, les yeux rivés sur ces baskets noirs.
   - Au commissariat les gens se questionnent sur Eunji. Le fait qu'il n'est rien voulu savoir de l'enquête en cours a attiré l'attention de plus d'un, mais honnêtement ça n'ira pas plus loin. Pour ce qui est de nous, personne ne se doute de quoi que ce soit.
San hoche la tête d'un air satisfait.
- Contentez-vous d'observer pour le moment. Ils ne trouveront rien de plus.
- Oui, monsieur. Firent les deux commandants en cœur.
Mon copain se penche pour ouvrir l'un des tiroirs du vieux bureaux pour en ressortir une petite liasse de billets qui balancent sur la table basse. Il doit y avoir sept cent mille wons. (~ cinq cent euros). Les deux policiers s'échangent un rapide regard avant de fixer la liasse, sans pour autant oser la prendre pour le moment.
- Vous pouvez disposer. Mes hommes vont raccompagneront.
Ils ne se le font pas dire deux fois. L'un attrape les billets pour les glisser dans sa poche puis rejoint son collège déjà au niveau de l'entrée du bureau. Quand ils l'ouvrent, deux agents les attendent en les toisant d'un air sévère. Puis ils disparaissent.
Jong-Ho soupire bruyamment, s'étire et vient s'assoir à côté de moi. WooYoung, quant à lui, s'assoit en face de nous tandis que le chef de cartel prend une position plus détendue, attrapant son verre pour le remplir avec du whisky, comme toujours.
- Voilà une bonne chose de faite ! Fait Jong-Ho, vraisemblablement fatigué.
J'allume l'écran du téléphone que ma donne Yun-Ho en début de semaine. Il est trois heures du matin passé, bientôt quatre, et je commence vraiment à avoir sommeil moi aussi. Je ne suis pas encore prête de m'habituer au fait que Pirateez fonctionne majoritairement quand la nuit tombe.
- Ça va bientôt être ton tour Hannah. WooYoung relève les yeux de son téléphone. Tu vas réussir à gérer la situation ?
- Oui, ça devrait aller. Je vais juste devoir... encore plus prendre sur moi.
Dès demain j'enverrais un message à Eunji pour lui transmettre mes condoléances, et si le plan fonctionne comme je l'ai prévu, il devrait tomber dans mes bras aussitôt. À présent, je suis ce qu'il croit être la dernière personne sur laquelle il peut compter et s'appuyer. La dernière encore vivante. Des mois que je l'embobine, en théorie rien n'est censé faire foirer le plan.
- Je lui proposerai de se voir chez lui le lendemain même. Terminais-je.
- Tout va aller vite. Souffle Jong-Ho en laissant tomber sa tête sur mon épaule. Ça va être la fin.
- Espérons que ça sera sa fin à lui, et pas la nôtre. Renchérit WooYoung en pianotant sur son téléphone d'un air soulé. On est entrain de perdre un autre gros client en Chine. Seong-Hwa et Yeo-Sang négocie avec lui en lui proposant de nouveaux prix.
- Ça s'arrangera bientôt.
Je rigole en voyant Jong-Ho participer à une conversation aussi sérieuse tout en jouant avec mes cheveux, utilisant une mèche pour se faire une moustache puis pour se caresser le visage. Ma main se porte à ma bouche pour cacher un bâillement. Mes paupières deviennent lourdes, je crois que si on s'attarde encore plus je vais m'endormir une nouvelle fois sur le canapé.
- Il te reste beaucoup à faire ? Fais-je à l'attention de San.
Il a les yeux rivés sur l'un des écrans d'ordinateur et sirote son verre en même temps. Il ne prend même pas la peine de me regarder pour me répondre. Ce geste m'agace un peu, mais je laisse passer ça. À La Cour des Pirates il est souvent comme ça.
- Oui. Appel Hong-Joong pour qu'il te ramène au manoir et qu'il y reste avec toi, les garçons ont des choses à faire et il doit être dans les parages.
Je soupire. Cette réponse ne me satisfait vraiment pas.
- Je préfère rester ici.
Je jette un coup d'œil à Jong-Ho. Il est entrain de tresser mes cheveux.
Il est passé en mode aléatoire.
- Rentre. M'ordonne San sans rien ajouter de plus.
- Non.
Il détache ses yeux de l'écran seulement maintenant pour m'accorder son attention. Il a l'air totalement indifférent à ma présence, et à moi tout court.
- Rentre, Hannah.
- Je veux rester ici.
Il ne me répond rien. À la place il saisit son téléphone pour pianoter dessus. Quelques secondes à peine plus tard, le portable vibre.
- Il arrive.
Non mais j'y crois pas !
- Je t'ai dit que je... il me coupe.
- Tu es fatiguée et tu n'as plus rien à faire ici. Sois raisonnable pour une fois, j'ai beaucoup à faire avec nos clients et j'en ai jusqu'au matin.
- Mais je... je suis encore interrompue.
- Et tu dois changer ton pansement. Il replonge dans son ordinateur. Sur le chemin arrêtez-vous pour commander à emporter, tu n'as pas mangé de vrai repas depuis deux jours, bientôt trois.
Ce n'est pas un souffle qui sort de ma bouche mais un ouragan, à ce stade. Mes bras se croisent sur ma poitrine alors que je laisse tomber ma tête sur celle de Jong-Ho.
Je lui chuchote :
- Il est trop nul ton pote.
- Ouais, un homme quoi.
- Je vous entends.
- Tant mieux ! Aboyais-je.
Pas plus de dix minutes plus tard, Hong-Joong débarque dans le bureau et m'attend à l'entrée de celui-ci. Je me relève et traîne des pas jusqu'au bureau de San, m'arrêtant une fois à son niveau.
- T'façon, t'es plus mon copain. Boudais-je encore.
Ses yeux rencontrent les mains. Il ouvre en grand ses bras.
- C'est pas toi qui disait que, nous deux, c'était à la vie et à la mort, bébé ?
Comment faire semblant de le détester quand il ressort mot pour mot ce que je lui ai dit il y a plusieurs jours déjà ?
D'une mine attendrie, je m'assoie sur ses cuisses pour le serrer contre moi. Ses lèvres capturent les miennes pour quelques courtes secondes, ses mains caressant doucement mon dos. Je dois faire un effort surhumain pour me détacher de lui et rejoindre mon meilleur ami qui me regarde avec bienveillance approcher.
- Croit pas que j'aime pas passer du temps avec toi. Lui dis-je avec un sourire. Mais je déteste quand il ne me donne pas le choix.
- Je le sais, ne t'en fais pas.
Il passe un bras autour de mes épaules pour me guider vers la sortie. Avant que les battants de la porte se referme derrière nous, j'entends San me dire :
- Je t'aime Hannah.
Mon sourire s'agrandit. Avec mon pied je retiens l'un des battants.
- Je t'aime aussi, bébé.
Je vois San me rendre mon sourire, puis je laisse la porte se refermer pour de bon.
- J'ai envi de gras. Lançais-je à Hong en entrant dans l'ascenseur.
- Poulet fri ? Corndog ?
- Les deux. Avec des frites, et des brochettes aussi peut-être.
- Vos désirs sont des ordres. Me répond-t-il amusé.

𝐖𝐡𝐞𝐧 𝐭𝐡𝐞 𝐍𝐢𝐠𝐡𝐭 𝐅𝐚𝐥𝐥 - 𝐂𝐡𝐨𝐢 𝐒𝐚𝐧Where stories live. Discover now