𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟓𝟖

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   Mes mains serrent si fort le volant que des crampes finissent par apparaître au niveau de mes doigts. Mon regard dérive régulièrement de la route à mon téléphone pour vérifier que je prenne bien le bon chemin menant à chez Eunji, et mon cœur bat de plus en plus fort en voyant le temps estimer d'arriver diminuer.
   Dans cinq minutes seulement je serais devant chez lui, et je ne me sens vraiment, mais vraiment pas bien.
La voix de San à travers mon téléphone m'aide à ne pas me laisser aller à la panique, mais j'appréhende déjà le moment où je vais devoir mettre fin à l'appel pour aller affronter Eunji.
Dehors il fait nuit noire et je ne croise presque pas de voiture. Les arbres qui entourent la route semblent se coucher sur moi et m'engloutir. L'ambiance est si sinistre que je ne serais même pas surprise de voir le corps de Monsieur Jang sortir soudainement des bois. Il hante toujours la plus part de mes nuits, et je me demande si le fantôme d'Eunji sera de la partie une fois que je l'aurai tué de mes propres mains. Peut-être qu'en l'absence de regret ça ne sera pas le cas.
- J'ai peur.
Ça devait bien être la dixième fois que je lui répétais ces quelques mots, si ce n'est plus. San, toujours étonnement patient en ce qui me concerne, soupire avant de me réconforter pour la énième fois.
- Je ne t'aurais pas choisi si tu n'étais pas capable d'accomplir cette mission, Hannah.
- Peut-être que, justement, tu te trompes.
- Je n'ai peut-être pas y fait les bons choix, mais aujourd'hui je suis sûr de ce que je fais.
- Tu es sûr d'être sûr ?
Je l'entends soupirer.
- Quand tu l'auras en face de toi tu te rappelleras pourquoi tu as fait tout ça, et tu retrouveras ton courage. En l'absence de réponse il reprend. L'adrénaline et le danger, c'est ce que tu aimes le plus. Tu es intelligente et folle, tu t'en sortiras.
- Folle... Répétais-je, étonnée de sentir un sourire se former sur mes lèvres. À la base j'étais saine d'esprit, c'est ta folie qui m'a influencée.
- Rejette pas la faute sur moi, tu n'étais déjà pas très nette quand Hong-Joong t'as trouvé.
Il n'a pas tord.
- Vous en êtes où ?
- Nous venons d'arriver. Tout le monde est en place, nous n'attendons plus que toi.
Au loin apparaît la demeure de mon patron, ou de mon ancien patron plutôt. Les lumières de l'étage sont toutes éteintes, mais je n'arrive pas encore à voir ce qu'il en est du rez-de-chaussée à cause des épaisses et hautes hais qui entourent le domaine.
- Je t'aime San.
Je le devine sourire derrière son portable.
- Je veille sur toi, ne t'en fais pas. Je te protègerai.
L'appel prend fin.
En arrivant devant l'entrée, le portail est déjà grand ouvert et m'invite à emprunter l'immense allée en gravier qui mène à la porte principale. Je me gare à côté de la fontaine, qui me paraît bien lugubre dans la nuit. Le rez-de-chaussée est illuminé, mais juste assez pour accentuer les ombres de la statue et celles mouvantes des arbres présents dans la court. Je coupe le contact de ma petite voiture et inspire un grand coup avant d'en ressortir.
C'est maintenant Hannah, te laisse pas impressionner par ce clochard.
Mon sac à l'épaule, je m'avance vers la porte d'entrée en jetant un rapide coup d'œil autour de moi. Je ne remarque la présence d'aucun des garçons, ni de leurs hommes, mais je sais qu'ils sont bien là : j'ai me sens observée. Je toque à la porte, surprise de ne voir aucun des hommes Eunji autour de la maison. Pas de réponse, alors j'abaisse la poignée. C'est ouvert. J'atterris dans le hall de la maison, et quelques souvenirs de ma première et dernière soirée ici me reviennent en tête. Je laisse mon manteau et mes chaussures ici, bien que j'aurais préféré garder ces dernières dans le cas où je serais amenée à courir et m'enfuir. En revanche, je garde mon sac avec moi.
- Eunji ? Ma voix résonne entre les murs et le haut plafond. C'est Hannah.
- Je suis là. Me répond-t-il, sa voix provenant de la salle principale de la maison.
J'inspire une nouvelle fois un grand coup avant d'entrer dans la pièce à vivre, déjà dégoûtée de lui rien qu'en entendant sa voix.
Je le suis encore plus en le voyant, mais j'éprouve étonnement aussi de la pitié.
La pièce à vivre n'a rien à voir par rapport à la dernière fois. Les meubles qui avaient été dégagés à l'occasion de la réception comble l'espace, mais même comme ça il a l'air vide. Le bar à droite est toujours là, mais dorénavant il y aussi un grand salon ainsi qu'une table de billard. C'est sur le canapé en cuir blanc qu'est installé Eunji. Devant lui se trouve une grande table basse en verre sur laquelle est éparpillé plusieurs bouteilles d'alcool ainsi que... qu'un tas de poudre blanche avec un sachet contenant la même substance.
Bourré, et drogué. Ça promet.
Eunji, habillé d'un pantalon noir et d'une chemise à moitié boutonnée et froissée, relève la tête vers moi. Son visage cerné, pâle et presque maigre me fait de la peine. Mais c'est mérité. Il mérite d'être dans cet état là.
Il manque de tomber en se mettant debout. Son corps vacille avant de retrouver l'équilibre, puis il marche vers moi la tête basse, comme si elle pesait trop lourd pour qu'il la garde relevée. Mais je remarque tout de même ses yeux injectés de sang et ses pupilles dilatées, résultat de la cocaïne et de la fatigue, et un peu de poudre blanche au niveau de ses narines. Je réprime difficilement un frisson. Son comportement va sûrement être encore plus imprévisible que prévu.
Mon cœur s'accélère quand il arrive à mon niveau, mais il me prend finalement au dépourvu en tombant à genoux face à moi. Ses bras enlacent ma taille et sa tête se presse contre mon ventre, appuyant sur ma blessure. Je tente de ne pas trop grimacer, mais face à la douleur qui se ravive c'est très difficile.
Je me remets dans la peau de la fille naïve et trop gentille, comme j'ai toujours su le faire avec lui, même pensée les moments les plus horribles. Ma main valide passe dans ses cheveux pour les caresser en signe de réconfort. Ils sont gras, là encore je me retiens de grimacer, mais je continue mes gestes.
Son action prouve à quel point il est affaibli, mais elle prouve aussi qu'il a suffisamment confiance en moi pour se mettre à position d'infériorité sans problème.
C'est parfait.
Je passe ma main plâtrée sur ma poitrine, sentant la seringue contre ma peau nue. J'allais la rentrer dans mon décolleté pour la sortir et profiter de la situation pour le planter avec, malheureusement il se relève au même moment et me fait face de toute sa hauteur. Là, c'est clairement lui qui est en supériorité.
- Désolée encore pour ce qui est arrivé à... il me coupe d'une voix faible, mais autoritaire.
- Si on pouvait éviter d'en parler...
J'acquiesce puis me met sur la pointe des pieds pour lui donner un doux baiser, rapide. Mon corps frisonne au contact de ses lèvres contre les miennes. Heureusement, je peux facilement faire passer ça pour de l'excitation, ou de l'amour. Eunji se détend un peu plus contre moi et n'en redemande pas quand je me détache de lui, un faux sourire collé au visage, alors que j'ai juste envi de m'essuyer la bouche du revers de la manche.
Ses yeux passent en revu ma tenue, s'attardant sur mes courbes et mes seins que le bustier fait ressortir.
- Magnifique, comme toujours.
Il attrape ma main gauche pour me guider maladroitement jusqu'au canapé, où je m'assois à sa droite en posant mon sac sur la table et en faisant une fausse mine choquée en voyant ce sont elle est recouverte. Il y a facilement cinq bouteilles déjà vides, et cinq autres entamées ou pas encore ouvertes. La poudre, elle, est éparpillée sur le verre. Il y en a même une trace sur le tapis gris et or.
- Ne me juge pas. Dit-il visiblement soucieux de ce que je pense de lui.
- Je ne le ferais pas. Je regarde ma main toujours dans la sienne. Je ne peux qu'imaginer ce que ça fait de... Je ne finis volontairement pas ma phrase.
   En redressant la tête, je croise directement son regard. Il me dévore du regard, prêt à se jeter sur moi pour faire plus que ça. Je vois l'opportunité d'en finir, alors je prends les devants en le poussant en arrière. Son dos rencontre le canapé tandis que je m'allonge sur lui pour reprendre possession de ses lèvres, me forçant à très vite débuter un baiser langoureux. Ses mains n'hésitent pas à se balader sur mon corps, surtout au niveau de mes fesses, partie la plus accessible pour lui. Pendant notre embrassade je ne pense qu'à San, à la tête qu'il doit faire en ce moment même, à la force avec laquelle il doit se retenir de débarquer pour en finir avec Eunji, pour ne pas faire tout foirer.
   Alors que je sens son érection devenir de plus en plus importante sous son pantalon, de mon côté je ne ressens rien à par du dégoût. Sa salive qui se mélange à la mienne me donne la nausée, et le goût de l'alcool encore plus. Je presse mon bassin contre le sien pour décoller ma poitrine de son torse sans que le geste lui paraisse suspect. Pour cela, je dois prendre appui sur mon poignet casser et plâtrée. La douleur se réveille mais est pour le moment supportable.
   Eunji se perd dans notre baiser et commence à faire rouler ses hanches sous les miennes.
   C'est maintenant.
   Rapidement, je plonge mon autre main dans mon décolleté pour en sortir la seringue, enlever le capuchon, et la dirige vers son cou découvert.
   Eunji met fin au baiser.
   Une main s'enroule autour de mon poignet avant que l'aiguille ne touche sa peau et le sert si fort que cela m'oblige à la lâcher.
   Je me redresse brusquement, mais Eunji m'empêche de me relever en retenant mon dos avec son autre bras. Mes yeux grands ouverts fixent l'aiguille tombée sur le canapé, puis son visage. Il est toujours défoncé et bourré, mais à l'air actuellement et étrangement tout à fait maître de ses mouvements et de ses pensées. Ses lèvres s'étirent en un sourire en coin, un sourire mauvais.
   J'ai échoué.
   Il s'y attendait.
   Il le savait.
   Non...
   - Tu te demandes comment c'est possible ? Ma mine déconfite l'amuse. Tu m'étonneras donc toujours, Hannah.
   Il se met à rire. J'essaye de me défaire de sa prise mais il la ressert, et ses jambes s'enroulent autour des miennes pour les bloquer. Ma respiration s'accélère. Je suis entrain de partir en crise de panique.
   - Honnêtement, je n'y ai pas cru au début. Ma secrétaire, la femme que je connais depuis quatre ans, qui se retrouve à travailler pour Pirateez ? Pour me tuer ? Ça n'avait vraiment pas de sens. Mais tu sais quoi ? Une femme dangereuse, c'est terriblement excitant.
   Je sens en effet son érection être bien plus importante.
   Je serre les dents. Mon poignet me fait mal, autant celui cassé que celui qu'il tient. Eunji a vraiment beaucoup de force, et pour le moment la panique et l'incompréhension m'empêche de faire quoi que ce soit.
   San, qu'es-tu entrain de faire ?
   - Tu savais... Finis-je par dire malgré ma gorge nouée. Depuis combien de temps le savais-tu ?
   - Le soir de la réception, quand tu es allée fouiller à l'étage, t'es-tu jamais demandée pourquoi les dossiers que je possède sur toi étaient les seuls à être dérangés ?
   Mon cœur rate un battement. Je me rappelle très bien de comment j'ai fait cette découverte. Il y avait des pages qui ressortaient d'un dossier en particulier, c'est ça qui a attiré mon attention.
   Mes yeux s'écarquillent d'avantages tandis que mes mains commencent à trembler.
   Il souhaitait que je tombe sur ses dossiers.
   Il savait que j'allais fouiller...
   Oh mon Dieu...
   C'est pour ça que nous n'avons rien trouvé à propos de ses intentions concernant le cartel... Sait-il aussi que j'y étais avec San à ça moment là ? J'ai peur de trop en dire, mais j'ai tellement de questions...
   Aucun de nous n'a envisagé le fait qu'Eunji fasse semblant de ne rien savoir. Il a préféré me laisser mettre mon plan à exécution plutôt que de se précipiter. Cela lui aura valu la mort de sa mère et de sa sœur, mais même malgré ça il n'avait pas l'intention de mettre fin à tout ça en agissant le premier.
   Depuis le début il nous mène en bateau. Et personne ne l'a venu venir.
   - Ça y est ? Tu commences à comprendre ?
   - Comment tu... Comment ?
   La mission...
   Ma mission.
   Je suis entrain de tout faire foirer à cause de la panique. Il ne faut pas, tout le monde compte sur moi.
   - Tu n'es pas si intelligente. Il le dit presque en riant. Mais ça n'a pas d'importance.
   - Pourquoi m'avoir laissé faire alors ? Je parvenais de nouveau à articuler normalement, surtout sur le coup de la colère.
   - Je voulais voir jusqu'où tu étais capable d'aller. J'étais curieux de voir ce que tu pouvais faire. Tes petits complots n'ont en rien changer ce que je ressens pour toi, au contraire, ils m'ont fait encore plus t'aimer. Il tire sur mon poignet pour me faire perdre l'équilibre et retomber sur lui. Mon visage n'est plus qu'à quelques centimètres du sien. Tu es tellement excitante que ça aurait été du gâchis de t'éliminer tout de suite. Et tu as de la chance, puisque je t'offre malgré tout l'opportunité de te racheter.
   - Me racheter ?
   - Parfaitement. Peu importe ce que t'a promis Pirateez et son vulgaire chef, je t'offrirais bien plus pour t'avoir à mes côtés.
   - Qu'est-ce que tu veux de moi, exactement ?
   Mon cœur se calme. Je retrouve mes esprits tandis que mon cerveau intègre toutes les nouvelles informations.
   - Je veux tout de toi. Je veux faire de toi ma femme, Hannah. Tu auras tout ce dont tu désires, mais il y a une petite contrepartie...
   - Laquelle ?
   - Dit moi tout ce que tu sais sur Choi San et son cartel.
   Mon regard se durcit, je ne me laisse plus intimider.
   - Je suis certaine que tu n'as rien de mieux à m'offrir. Crachais-je.
   - Magnifique, mais pas très futée... Il rapproche sa bouche de ma tempe pour l'embrasser puis de mon oreille. Cette action me rappelle San. Il me chuchote presque : Je te conseille d'accepter.
   - Ou quoi ?
   - Ta mort serait un véritable gâchi, comme je te l'ai dit. Son visage réapparaît face au mien. Je ferais de toi ma captive. Tu sais déjà ce que cela signifie, je me trompe ? 
   Je repense à la réception. À Elisa.
   Si je n'accepte pas, Eunji fera de moi son esclave sexuelle.
   Je reprends la parole plus calmement après quelques secondes de silence, durant lesquels je le regarde dans les yeux.
   - J'ai une information sur Choi San pour toi.
   - Je savais bien qu'on pouvait discuter affaire toi et moi. Son sourire s'agrandit. Je t'écoute.
   Je souris à mon tour.
   - Choi San est complètement fou. Et moi peut-être plus.
   Ses sourcils se froncent, et je lui envoie le plus grand des coups de tête que je puisse faire.
   Le son que produit nos têtes me fait frissonner et la douleur qui s'en suit m'assomme presque, mais je n'ai pas le temps de m'y attarder et encore moins de m'en plaindre : il a desserré sa prise, c'est le moment de me relever.
   J'attrape mon sac sur la table et le couteau à l'intérieur en m'écartant de quelques mètres. Avec lui je déchire le double fond du sac pour en extraire mon pistolet. Je repose l'arme blanche dans le sac et garde le pistolet dans ma main gauche. Eunji se rassoit sur le canapé en se tenant la tête, les traits de son visage tiré par la douleur, puis il attrape une arme à feu glissée derrière le dossier du canapé.
Nous braquons le canon de l'arme en direction de la tête de l'autre en même temps.
- Tu as fais le mauvais choix. Me fait-il avec nettement plus de sérieux, toujours assis, la table nous séparant l'un de l'autre. C'est dommage pour toi.
L'adrénaline fait battre mon cœur d'excitation.
Je ne me suis pas préparée à ce cas de figure...
- Je suis et resterais fidèle à Pirateez, quoi qu'il en coûte.
...mais je suis tout de même prête à en finir.

𝐖𝐡𝐞𝐧 𝐭𝐡𝐞 𝐍𝐢𝐠𝐡𝐭 𝐅𝐚𝐥𝐥 - 𝐂𝐡𝐨𝐢 𝐒𝐚𝐧Where stories live. Discover now