Chapitre 2

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« Aly reviens ! »

Je bondis de mon lit et m'élance dans le couloir. Or, convaincue que je veux l'empêcher d'écouter sa chanson, elle s'enfuit en vitesse, manquant à plusieurs reprises de renverser des objets posés sur des tables basses. Mon père trouve que ça donne un côté un peu chic, alors ma mère, ma sœur et moi avons estimé qu'on pouvait bien le laisser dans son délire, pour lui faire plaisir. Le problème, c'est qu'on a beau être dans un pavillon, nos couloirs, c'est pas non plus ceux de Versailles et passer en marchant, ça va, mais en courant, les choses se compliquent et on a très certainement l'air un peu ridicules à essayer d'éviter de faire trembler les meubles sur lesquels trônent des vases altiers, de vieilles photos de mes parents encore jeunes (c'est dire si elles sont vieilles et abîmées) et d'autres objets dans le genre.

« Je chante si je veux !

- C'est pas le sujet ! »

Je la rattrape sans grand mal avant même qu'elle ne descende les escaliers pour rejoindre le salon et plaque mes mains sur ses épaules, de sorte à ce qu'elle me regarde en face. Je suis complètement perdue et les mots qui sortent de ma bouche, je n'arrive pas à les croire :

« Aly, je suis convaincue que c'est ma chanson.

- Hein ? »

J'entends de ses écouteurs un « bip » aigu qui signale qu'elle vient d'éteindre son MP3 pour m'écouter. Au lendemain de la sortie d'une chanson de ses chéris, c'est exceptionnel qu'elle se permette une telle chose.

« Ce sont mes paroles, je te jure.

- Tes paroles ? Attends, je comprends pas très bien.

- La chanson. Le refrain, c'est exactement le mien.

- T'as pété un câble ma pauvre, sourit Aly en rallumant son baladeur, comment ils pourraient connaître ta chanson ?

- Mais j'en sais rien, je te jure Aly, ce sont mes paroles ! J'ai mis des semaines à les écrire, je sais un peu ce que je dis quand même ! Et puis tu les as déjà lues mes chansons, tu ne t'en souviens même pas de celle-ci ? »

Frustrée de la voir se moquer de moi et d'imaginer que tout le monde ferait pareil à sa place, je me sens complètement désemparée et une boule de douleur se forme dans ma gorge. Aly est la seule personne à qui je me confie, et même elle ne me croit pas. Je me sens ridicule, impuissante, alors même que ce qu'il se passe est loin d'être anodin. Bien sûr, avec un blog qui ne totalise même pas une centaine de vues, personne ne risque de découvrir que la chanson a été plagiée. Je ne devrais pas être vexée de ce qu'il se passe, mais chacune de mes chansons me tient particulièrement à cœur et c'est un peu comme si on m'avait volé quelque chose que j'avais mis au monde.

« Je sais ! dis-je alors qu'Aly s'éloigne. Mon blog ! Viens voir Aly !

- Mais je dois me préparer moi, j'ai cours ce matin ! »

Sans lui laisser le moindre choix, je la tire par le bras, malgré ses protestations et ses vaines tentatives de se débattre pour m'échapper, jusqu'à ma chambre et allume mon téléphone. Je n'avais jamais remarqué à quel point il lui en fallait du temps pour être complètement effectif, j'ai l'impression que ça se compte en minutes ! Allume-toi foutu smartphone ! Ça va me rendre dingue ; Aly m'a souvent fait remarquer que ce serait plus simple si je le laissais allumé la nuit, mais je persiste à l'éteindre quand je ne l'utilise pas. Résultat : il charge, il charge, et moi je suis en train de devenir dingue !

Quand enfin mes applications apparaissent, je vais sur celle de mon blog et lui montre : l'article, créé il y a deux mois et mis à jour pour la dernière fois il y a un mois et demi le prouve, le refrain, du moins la partie que j'en ai entendue, est bien à moi. Je me sens tout à coup soulagée.

SongwriterWo Geschichten leben. Entdecke jetzt