Chapitre 5

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Quelques années plus tôt...

« Tu ne sais pas à quel point tu nous sauves la vie Irène, encore merci.

- Ce n'est rien, j'adore passer du temps avec mes nièces, vous le savez bien. Allez travailler et ne vous inquiétez pas pour Charlie et Aly. »

Ma mère embrasse ma tante, mon père en fait de même, et les deux s'en vont. Il est cinq heures du matin. Emmitouflée dans un plaid bordeaux, impassible et le regard vide, je les observe filer depuis un petit recoin du couloir d'où je peux les voir sans attirer l'attention, comme tous les matins. Tout ce que je peux distinguer, c'est la chevelure et le long manteau noir de ma mère ainsi que le costard de mon père se déplacer et sortir l'un après l'autre de l'appartement. Ils imaginent peut-être que je ne les entends pas se lever à quatre heures et demie, discuter tout bas dans la cuisine alors que le mur qui la sépare de ma chambre est aussi fin qu'un biscuit, puis s'en aller en remerciant tata Irène.

« Charlie... »

Les yeux verts de ma tante sont posés sur moi. Papa et maman ne me voient jamais, tata me remarque tous les matins. En fait, les voir s'en aller, c'est un peu comme si je leur disais au revoir, ça me permet d'avoir la sensation d'être proche d'eux.

« Tu veux aller te recoucher ma chérie ?

- J'ai treize ans tata, ça va.

- Comme tu le sens ma belle, c'est toi qui vois. »

D'un signe, elle m'invite à venir m'asseoir avec elle à la table de la cuisine. Quand j'avais deux ans, mes parents ont découvert qu'ils allaient avoir un autre enfant ; quelques mois plus tard naissait Aly. Un appartement avec deux chambres, c'est bien quand on a des enfants en bas âge, mais depuis que nous avons six ans, nos parents se sont mis en tête de travailler plus dur pour pouvoir un jour déménager dans un endroit plus grand, un pavillon un peu comme celui de tata. Moi, j'aime bien l'appartement, c'est là que j'ai grandi, c'est là que j'ai rencontré Aly, c'est là que j'ai marché, couru, parlé pour la première fois. Ce sont les marques de l'évolution de ma taille qui sont inscrites sur le mur de la cuisine, mes photos qui sont scotchées au papier peint du côté de mon lit. C'est là que j'ai passé le plus de temps, là que je me suis endormie chaque soir paisiblement, consciente que ce petit nid douillet était le nôtre. Et puis, j'aime bien partager ma chambre avec Aly ; elle aimerait bien avoir son propre espace, mais partager une chambre nous a poussées à partager bien plus... Je ne me sens pas prête à recommencer une vie ailleurs.

Mes parents imaginent qu'une maison nous rendra heureuses alors même que c'est d'eux dont nous avons besoin pour l'être. Le matin ils partent avant qu'on se lève, le soir ils rentrent alors qu'on est sur le point de se coucher. On ne joue plus ensemble aux jeux de société, on ne sort plus se promener les weekends, on ne partage plus les récits de nos journées. Ma tante, rentière depuis une dizaine d'années, les remplace, elle vient nous garder du départ au retour de mes parents. C'est elle qui nous fait à manger, qui connaît nos secrets, qui joue avec nous et de qui on se sent proches.

Tata Irène adore faire du sport, c'est elle qui nous a convaincu de bouger un peu plus. De même, elle adore la musique et est particulièrement douée à la guitare (qu'elle a apprise en même temps que mon père). Elle a une belle voix et aime écrire des chansons qu'elle nous joue ensuite, parfois je l'aide à écrire, mais n'étant qu'en troisième, je suis encore incapable de faire aussi bien qu'elle.

Chaque jour depuis désormais près de sept ans, c'est elle qui remplace nos parents, allant même parfois à nos conseils de classe à leur place. De toute façon, je ne sais même pas s'ils savent en quelle classe Aly et moi sommes.

« Tu veux manger maintenant ?

- Non merci, je vais attendre un peu.

- Tu veux qu'on joue ?

SongwriterWhere stories live. Discover now