Chapitre 2

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Emy

Sur le chemin du retour, les conseils de mon psy tournent encore et encore dans ma tête. J’avais tellement besoin de prendre le temps pour réfléchir à la séance qui vient de se passer que je marche à côté de mon vélo au lieu de monter dessus. 
En un an de thérapie, c’est bien la première fois que je me suis montré si bavarde pendant une heure. C’est comme si les mots de mes sentiments enfouis pendant des années voulaient sortir pile aujourd’hui. Je n’avais jamais abordé le sujet tabou « Isaac, » c’était bien trop destructeur pour moi. 
Ça ne m’empêche pas pour autant de consulter son profil Facebook et Instagram pratiquement tous les jours de mon existence. 
Oui, j’ai un problème, je suis déjà au courant. 

Isaac n’est pas mon premier crush mais il est bien le premier où il est impossible de tourner la page, de l’envoyer aux oubliettes comme s’il n’avait jamais existé. J’ai jamais eu un béguin aussi fort et puissant pour un garçon. Bien évidemment, il fallait que ça tombe sur mon ennemi number one. 
En parler avec Doc Davis m’a fait un peu plus réaliser que malgré tout, tout mon être crie de revoir ce connard d’enfoiré. Et j’admet également que j’aimerai bien connaître le fin mot de cette histoire qui s’était passé cette soirée-là. 
Mais bien que je souhaite énormément le revoir, ma peur de lui reste encore la plus forte. Même si mon thérapeute a peut-être raison, que les années ont passé, qu’on a changé, je ne peux m’empêcher de le craindre. Puis, moi j’ai pas tant changé que ça. Je reste toujours enfermé dans le passé, incapable d’avancer.

***

Et si je décidais de moi-même de le revoir, qu’est-ce qui se passerait ? 
Alors que je me faisais cette réflexion, je suis presque arrivée chez-moi et pile net. Une Aston Martin noire - une caisse de riche sans aucun doute - est garée devant la maison. Un mauvais pressentiment me guette et plus j’approche prudemment, plus les battements de mon cœur cognent lourdement dans ma cage thoracique. Qu’est ce qui se passe ici ? 
En passant devant la voiture, je lui jette un regard noir et dépasse le portail en laissant mon vélo contre la façade de la maison. De là où je me trouve, j’entends déjà des voix. C’est lâche si je vous dis que j’ai la trouille d’entrer ? J’inspire fébrilement et amorce un pas vers la porte d’entrée grande ouverte de la maison. Avant d’être stoppée aussitôt. Je n’ai même pas le temps de comprendre que je suis brutalement retenue en arrière et trébuche en lâchant un cri de peur et de surprise étouffé par la main qui vient de me bâillonner. J’écarquille les yeux en panique et me débats comme je peux en bougeant dans tous les sens. Ceinturé à la taille, mon dos cogne durement contre le mur de la maison. 
― Bordel mais tiens-toi tranquille ! 
A l’entente de cette voix beaucoup trop familière et digne de tous mes plus grands cauchemars, mon cœur loupe plusieurs battements. D’un geste hésitant, je relève les yeux sur un visage angélique dissimulant le plus grand des démons. Une mâchoire saillante, des boucles brunes, un regard ténébreux et intimidant, mon ventre se noue à m’en faire mal. Il n’a pas changé… 
Les yeux ronds comme des soucoupes, à deux doigts de m’évanouir, je me retrouve face à mon pire ennemi que je n’ai plus jamais revu après m’être barrée en me réveillant dans son lit. La gorge désormais sèche, sa main toujours sur ma bouche pour m’empêcher de crier, son nom meurt sur mes lèvres dans un souffle. 
― Isaac… 

Isaac

Ses grands yeux bleus effrayés me fixent comme si je venais de revenir d’entre les morts. Emy, Emy, Emy… Un sourire carnassier vient flotter sur mes lèvres quand je la sens trembler. Je ne peux pas lui reprocher de me craindre après ce que je lui ai fais vivre. Après le lycée, qu’elle avait quitté en catastrophe, je ne l’avais plus jamais revue avant l’année dernière dans cette boîte de nuit. Nos retrouvailles ne s’étaient pas vraiment passées comme je l'aurais espéré. Non, que j’en attendais quelque chose. Bon, peut-être un peu. 

Je jette un coup d'œil sur la porte toujours ouverte où j’entends la voix de mon paternel grondée. Ses parents sont clairement dans la merde. Reportant mon attention sur la frêle créature devant moi - que je n’ai toujours pas lâché - je me penche vers elle, jusqu'à ce que nos visages ne soient qu’à quelques millimètres. 

― Je vais retirer ma main, tu cries, Trésor, je te jure que tu le regretteras, l’avertis-je d’une voix basse. Cligne des yeux si t’as compris.
Elle obéit. Ses jolis yeux apeurés clignent rapidement et je retire lentement ma main de sa bouche tout en la gardant à l'œil. Je recule d’un pas en la lâchant bien que son visage qui a drôlement blêmie tout à coup, me dit rien qui vaille. 
Et ça tape dans le mille. 
Ses lèvres s’ouvrent pour se refermer deux secondes plus tard et après quelque chose articulé d’inaudible, ses yeux se retournent dans leurs orbites et ses jambes cèdent. 
― Putain, juré-je en la rattrapant in-extremis avant qu’elle s’écrase gravement au sol. 
Bordel je lui fais autant peur que ça ? Bon, ok je n’étais pas un saint au lycée et ça n’a pas changé mais merde, je pensais pas qu’elle me craignait autant. 
Putain, son malaise n’était pas du tout prévu, bordel ! Le plan c’était uniquement de l’empêcher d’entrer chez-elle. 
Je soupire d’exaspération face à ce bout de nana bien trop faible et qui m’a toujours énervé. Échangeant nos places, je me laisse glisser contre la façade froide tout en tenant fermement Emy. Sa tête reposant maintenant sur mes cuisses, j’ai tout loisir de la contempler. Faut dire que la dernière fois, elle s’est barré comme si elle avait eu le Diable devant elle, sans un mot. Son teint bien plus pâle que d’ordinaire lui confèrent un visage de porcelaine. Ses tâches de rousseurs qui lui mangent les pommettes et que j’ai trouvé toujours adorable chez-elle, ses lèvres rosées pleines. Ses longs cils noirs qui lui bordent les yeux et ses magnifiques boucles indomptables flamboyantes. Elle reste toujours aussi belle putain, songeai-je en écartant une de ses mèches rebelles bouclées de son front. 
Par contre, il me suffit d’un vague examen sur le reste de son corps pour remarquer qu’elle a considérablement maigri. Pourquoi savoir ça me dérange ? C’est vrai quoi, j’en ai rien à foutre de cette gonzesse. 
― Je peux savoir ce que tu fous par terre, fils ? Et avec la fille des Smith endormie qui plus est. 
D’un naturel tout à fait normal, je relève la tête vers mon paternel. 
― J’ai un effet dévastateur sur les filles, tu le sais bien, ironisé-je. 
Il roule des yeux en s’éloignant déjà vers l’Aston Martin. 
― T’as fini ? l’interpellé-je.
― Ca se voit, non ? 
Toujours aussi aimable, enfoiré. 
Non, ce n'est pas la grande entente entre mon paternel et moi. Je ne l’ai jamais appelé « papa »  et ce n'est pas près d’arriver. 
― Débarrasse-toi de ça, fit-il d’un geste dédaigneux envers Emy. Et magne-toi, Isaac. 
― J’arrive, grogné-je. 
J’attends qu’il disparaisse dans la bagnole pour reporter mon attention sur la belle au bois dormant qui ne s’est pas réveillé. Bordel, elle compte rester dans les vapes encore longtemps ? J’ai pas toute la journée, moi ! Je tapote sa joue pour la réveiller mais me fige à ce simple contact. Putain mais elle est glacée ! 
― Emy ? Oh allez réveille-toi, là ! commencé-je à m’agacer. 
― Isaac ! 
― J’arrive, bordel ! crié-je en me relevant. 
Tu vas pas la laisser par terre quand même ? me signale ma conscience. 
La ferme. 
Je m’abaisse à la hauteur d’Emy et la bascule délicatement pour choper son portable. Pas de chance pour moi, celui-ci n’est pas dans la poche de son jean. Je balaye l’endroit autour de moi avant de repérer sa pochette. Sans plus de réflexion - et clairement parce que mon connard de géniteur s’impatiente - je fouille dedans et une fois l’objet convoité trouvé, je m’en empare. Je le déverrouille et cherche son numéro, le prend rapidement en photo avec le mien puis repose le tout avant de me relever. Sans un regard en arrière, je rejoins la bagnole et disparaît à mon tour à l’intérieur. Cette dernière démarre aussitôt, nous éloignant déjà du quartier pauvre où vit Emy Smith. 
Récupérant mon téléphone, j’enregistre son numéro et pianote un message que j’envoie en suivant. 
Aucune envie qu’elle croie que tout ceci n’était pas réel. Au contraire. Elle m’a revue, elle devrait être heureuse.

I Hate My Crush (TERMINÉE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant