Chapitre 1

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Dakar, décembre 2575.

Couchée sur la paille de fortune qui lui servait de lit dans la misérable et inhumaine cellule où elle était retenue, Ndeye Ngoye se torturait les méninges à se poser, encore une fois, des questions auxquelles elle pouvait difficilement avoir de réponses si ce n'était ne jamais en avoir.

Depuis combien d'années vivait-elle ainsi dans l'ombre, sans jamais pouvoir poser ses yeux sur le soleil, à plus forte raison la lune ? Quatre ans ? Six ans ? Dix ans ? Ou encore quinze.... Elle n'en avait aucune idée. À quoi pouvait bien ressembler le monde en dehors des quatre murs de la cellule ? Du domaine? De jour ? De nuit ? À quoi aurait bien pu ressembler sa vie si elle n'avait pas été capturée ? Aurait-elle connu le plaisir d'aller à l'école préscolaire ? Élémentaire comme ses semblables? Au collège ? Au lycée ? Ou peut être même à l'université, si ce n'est à un centre de formation ? Aurait-elle connu le plaisir de pouvoir jouir d'une enfance normale, malgré la précarité dans laquelle vivait sa famille ? De grandir et s'épanouir comme aurait pu le faire tout humain vivant dans d'assez bonnes conditions ? Quel âge pouvait-elle bien avoir à ce jour ? Aurait-elle juste pu s'en sortir dans la vie sans ses regrettés parents ? Avaient-ils pu, par ailleurs, être enterrés ? Ou ont-ils juste pourri devant leur pauvre maison en bois si ce n'était mieux, en son sein ?
Ces questions et bien d'autres constituaient la volontaire et insensée torture que s'infligeait chaque fois que se trouvait seule Ndeye depuis sa capture. La douleur que celle-ci lui engendrait ne faisait cependant aucunement le poids face à celle que lui causait l'inhumain et animal traitement qui lui était réservé par ses monstres de tortionnaires.

_ Tu te tortures encore toute seule à te poser ces innombrables questions auxquelles tu ne pourras jamais obtenir de réponse, à défaut d'en avoir quelques unes et ce, difficilement ? Lui demanda Ndeye Coumba, sa compagne de cellule qui venait de s'installer à côté d'elle.
_ Je... C'est le seul moyen que j'ai pu trouver afin de ne pas oublier mon passé et qui je suis.
_ Et crois-tu que remuer sans cesse le couteau dans la plaie changera ne serait-ce que le plus infime détail à ton sort actuel ? Ou que cela arrivera peut-être à te faire retourner dans le passé ?
_ Non, je sais bien que non. Mais au moins, j'ai grâce à cela la sensation d'avoir une vie mise entre parenthèses, à ma capture, hors d'ici et qui n'attend plus que moi pour continuer d'être, d'exister.
_ Tu t'entends vraiment parler là parce que je crois bien que non ? Une vie mise entre parenthèses ! Idioties ! Foutaise ! Cette vie dont tu parles et que tu chéris tant au point de t'infliger autant de douleur à vouloir t'en rappeler constamment, elle est finie. Elle est finie de chez finie. Elle a plus exactement pris fin, ce, à jamais, le jour où tu t'es faite capturer en même temps que bon nombre d'enfants, moi y compris, par ce monstre d'Alpha. Tu dois te mettre cela dans le crâne une bonne fois pour toutes, ma chère.
_ Mais et...
_ Mais rien. Si jamais tu devais avoir la chance de t'enfuir de cet endroit ou la quitter en espérant que cela puisse se produire un jour, ce sera une nouvelle vie qui commencera pour toi et non celle que tu es sûre et certaine d'avoir laissé en suspens qui continuera. Rien ne sera plus jamais comme avant, tu dois le comprendre pour ton bien, Ndeye.
_ Mais comment puis-je m'y résoudre ? Je ne peux, ne veux ni ne doit oublier mon passé. C'est tout ce qui me reste et me définit.
_ Je ne te demande pas d'oublier ton passé. Non. Je suis juste en train de te demander de faire une croix sur la personne que tu as bien pu être par le passé, l'enfant que tu étais car cette enfant, elle est morte. Elle est morte ce jour de veille de Noël où tu as vu tes parents mourir sous tes yeux et où tu as été capturée par ce monstre. Actuellement, il n'y a plus qu'une coquille vide. Et quand tu pourras un jour quitter cet endroit ce sera une nouvelle personne, une nouvelle Ndeye qui naîtra pour prendre sa place, éclore pour une existence autre.
_ Je.... Tu as raison.

Ndeye rendit ainsi les armes face à son unique amie qui, elle devait bien le reconnaitre, avait absolument raison. Bien qu'elle ne connaisse pas son âge actuel, une chose était cependant sûre, elle sera sûrement une adolescente et à défaut, une adulte, même si elle avait le physique d'une fillette de neuf ou dix ans si jamais elle venait à un jour quitter ce misérable endroit dans lequel elle était retenue captive et revoir la lumière du jour. Dire qu'à son arrivée, elle n'était qu'une petite enfant à peine âgée de cinq ans qui venait fraichement de perdre ses parents et son frère ou sa sœur qui n'était pas encore né(e) et ces tristes mas aussi difficiles réalités venaient directement approuver les dires de son amie. Rien n'allait pouvoir, en effet, plus jamais pareil pour elle !

Plus jamais !

À cette pensée, son cœur se serra comme poignardé jusque dans ses racines au point de lui faire vouloir verser des larmes pour extérioriser, montrer sa souffrance au monde entier, hurler sa rage jusqu'à en perdre la voix pour ensuite se laisser noyer dans l'océan de larmes qu'elle aura eu à créer. Malheureusement, ses larmes à elle avaient tari, épuisées par le traitement inhumain et animal qu'elle avait reçu depuis sa capture et ses hurlements, remplacés par des murmures de soumission semblables à ceux d'animaux sauvages cruellement et impitoyablement dressés.


Coquille dépossédée de tout sauf de la souffrance et surtout de l'étincelle de l'espoir, voilà exactement ce qu'elle était devenue après bien des années, une certitude, loin de la lumière du jour, se dit-elle avant de tomber dans les bras de Morphée.

{safa555🌟🌟🌟}

L'Alpha suprême et Elle : Le destin de L'ÉlueWhere stories live. Discover now