Chapitre 30 : Michael

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- Le chef ne nous accompagne pas ? demandé-je à Karl lorsque nous arrivons tout prêt de la frontière.

- Non, il a dit qu'il allait se débrouiller, murmure l'homme à ma droite, mais ne t'occupe pas de ça, concentre toi sur la mission et sur ta survie.

Je hoche la tête et serre fermement l'énorme pistolet que je tiens entre mes doigts. Les anciens quartiers ne sont pas très loin de la frontière, alors nous n'avons pas mis beaucoup de temps pour y parvenir. Seulement, nous avons été ralentis par le manque de visibilité. En effet, il est quatre heures passées, et nous n'avons pris aucune lampe pour éviter tout risque inutile de nous faire repérer. Je trébuche à de nombreuses reprises mais fait toujours en sorte de faire le moins de bruit possible. Nous avons laissé Marine au beau milieu des vieux quartiers pour qu'elle mette un temps fou à rejoindre le commissariat car lorsqu'ils seront au courant de ce qui est en train de se tramer, nous serons déjà de l'autre côté du mur.

D'énormes faisceaux lumineux se baladent sur le sol à une distance d'au moins quinze mètres du mur en béton. Nos tireurs professionnels se positionnent pour désactiver en même temps les caméras et les projecteurs, mais aussi pour éliminer un maximum de gardes.

Je fais également un mouvement au niveau de mon bras droit qui tient mon arme mais Karl m'arrête dans mon élan en murmurant quelque chose du genre « laisse faire les pros ». Tapis derrière des murs, des arbres ou des haies, nous attendons le signal de notre supérieur. Mon cœur tambourine dans ma poitrine et je ne me rends pas compte du fait que je risque d'y passer. Dans quelques secondes peut être, je ne serai plus qu'un cadavre. A nos ceintures sont enroulés des grappins, qui vont nous permettre d'escalader le mur gris.

L'attente nous semble être interminable. Au moment où Karl nous fait le signe cependant, j'ai l'impression que le temps s'arrête. Les tirs fusent et tout va au ralenti. Je vois les balles décoller et voler lentement en direction de leurs cibles qu'elles atteignent quasiment toutes. Je vois les éclats de verre des projecteurs tomber au sol en se mêlant aux cadavres qui tapissent déjà l'herbe devenue rouge. Le temps reprend son allure normale lorsque Karl me donne un coup de pied, destiné à me sortir de ma torpeur. Je cligne rapidement des paupières et tout s'enchaine alors très vite. Je cours, je rampe, je tire en me rapprochant de plus en plus du mur qui s'élève en face de nous. L'obscurité est des plus totales. Seul le mince rayon de lumière qu'émet mon pistolet me permet d'apercevoir l'immense ombre qui se dresse devant moi. Je manque de le heurter de plein fouet et reprends rapidement mes esprits en attrapant gauchement le fil de mon grappin. Je le prends à deux mains et commence à le faire tournoyer au dessus de ma tête pour ensuite le lancer vers le haut. Ma première tentative est un échec. Le bout en métal rebondit sur le béton avec un bruit sourd qui n'est pourtant rien comparé au tapage autour de moi, et retombe à mes pieds. Je vois de nombreux autres de mes coéquipiers faire de même, et certains, dont Octave, parviennent du premier coup à faire tenir leur grappin. Mon ami monte avec Anna qui n'aurait pas pu faire tout cela toute seule, et je les vois bientôt me faire des signes depuis le haut du mur.

- Michael bouge, qu'est ce que tu fous ? me hurle-t-il.

Au moment où je crois que mon grappin à atteint le sommet, quelqu'un me bouscule et me crie de me mettre à terre. Je m'exécute en sentant le sol taper violemment mon menton après m'être laissé tomber. La douleur se répand dans l'ensemble de ma boite crânienne. J'ai l'impression de devenir sourd pendant une fraction de seconde, mais je suis vite ramené dans l'instant présent à cause de mon grappin qui vient de s'écraser tout prêt de ma tête, manquant de peu de me trouer le crâne. Octave continue de hurler , les cadavres et les cris de mes coéquipiers se mêlent à ceux des soldats, mais moi je suis toujours en vie. Et si je veux le rester encore un peu, il faut que je me lève, et que j'arrive à escalader ce fichu mur.

Le grappin que j'envoie à nouveau manque de peu le haut du mur et je pousse un cri de frustration que personne n'a dû entendre néanmoins. Alors que je m'écarte pour laisser tomber le bout de métal, j'aperçois la main d'Octave qui s'en saisit en m'adressant un sourire. Je le lui rends et entreprends l'ascension de cette paroi lisse et immense. Je m'agrippe aux bras de mon ami qui me hisse sur le mur. Celui-ci fait au moins deux mètres d'épaisseur alors j'ai toute la place pour m'accroupir et observer la scène depuis le haut comme un dieu inutile et impuissant qui regarde des amis se faire tuer. Octave ne me laisse même pas un temps de répit, il s'exclame :

- Demi-tour Mike ! Je te rappelle qu'il y a aussi des soldats de l'autre côté !

Je fais brusquement volte-face et m'allonge, le ventre contre le sol et positionne mon pistolet en face de mon œil. De l'autre côté du mur, des soldats tirent également vers le haut pour essayer de nous abattre, mais nous sommes plus avantagés qu'eux. Ils n'ont aucun moyen de se cacher, et tirer d'en haut est bien plus facile que de tirer d'en bas. Cependant, je vois certains d'entre nous tomber lourdement au milieu des soldats de l'autre état, tués sur le coup. Karl monte enfin sur le mur à son tour et hurle :

- C'est bon il n'y a plus personne en bas !

Quelques minutes plus tard, le calme revient enfin. Le doux calme qui soigne nos oreilles, le calme qui fait référence à la mort, toujours à la mort. Seul un mort peut être aussi silencieux. Je me redresse, tremblant, et accroche mon grappin pour pouvoir descendre de l'autre côté, comme sont en train de le faire une grande partie de mes camarades. J'ai appris à maîtriser mon sang froid, mais on n'efface pas comme ça tant d'années de crime.

Double {Terminé} Où les histoires vivent. Découvrez maintenant