Prologue 1/2

547 50 14
                                    

— Je ne me rappelle que du grand BOUM ! Et quand, j'ai repris connaissance, j'avais beau appeler mes parents, ils ne répondaient pas...

Tout devient flou tout d'un coup. Seule la nuit noire persiste. Le brouhaha de la salle s'est estompé. Dans ma tête, il n'y a plus que ce bruit fracassant de l'accident. Je ferme les yeux, espérant que tout ceci se voile de mon esprit.

Il me faut bien quelques secondes pour revenir un temps à la réalité.

Me rappeler de cet atroce évènement me donne envie de partir en courant. Pourtant, je ne peux pas. Ils comptent tous sur moi. Je dois absolument mettre ma souffrance de côté. Il le faut ! Je n'ai pas d'autre choix. Je respire un bon coup et je me lance à nouveau dans mes souvenirs, malgré les haut-le-cœur qui continuent de me fragiliser.

— En plus, de la douleur atroce qui me consumait, j'étais comme paralysée par ce silence insupportable... j'avais l'impression que c'était la fin, prononcé-je avec les larmes aux yeux.

Je tente de récupérer un peu de mon calme. Je ne suis pas à l'abri d'un vomissement d'ici sous peu. Tous mes membres tremblent. Mon cœur s'accélère comme si j'étais en train de courir un marathon et que je devais encore tenir les dix derniers mètres. J'inspire et expire, une fois de plus, afin de me redonner l'air suffisant pour poursuivre, mais c'est peine perdue, je dois réitérer à plusieurs reprises la supplication avant de retrouver un semblant de force.

Mon silence a fini par émouvoir l'assemblée. Plus personne n'ose parler. Il y a une sorte de quiétude assourdissante autour de moi. Immergée, dans cet océan turbulent de paix, je me sens de plus en plus mal. J'ai ma poitrine qui se contracte brusquement, au point, de presque suffoquer. J'essaye de me ressaisir quand l'une de mes lectrices m'interpelle :

— Comment avez-vous réussi à y faire face ? Cela n'a pas dû être simple de se retrouver seule dans un lit d'hôpital ?

Je me concentre, en tout cas, je fais tout pour, mais personne ne peut imaginer, ô combien, c'est compliqué. Je repousse une montée d'estomac. Je m'efforce par tous les moyens de reprendre une respiration quasi-normale. J'aspire et souffle très longuement cette fois-ci, jusqu'à renouer avec la parole.

— Non, en effet ! Dans un premier temps, je me suis sentie désemparée, j'avais l'impression d'être en enfer, je ne croyais pas ce qu'il m'arrivait. Du jour au lendemain, j'avais tout perdu, ma vie parfaite, mes parents, mon fiancé qui ne supportait plus mes problèmes de santé suite à l'accident. Tout ! J'ai tout perdu.

— Il a fuit ?

Comment aurait-il pu en être autrement ?

— C'était prévisible. Je me suis demandée à plusieurs reprises ce que j'aurais fait à sa place. Et la seule réponse qui m'est venue est, que je n'en ai pas la moindre idée. Je pense qu'on ne peut pas juger une personne sur ça, tant qu'on ne s'est pas retrouvé de l'autre côté du miroir. Vous n'êtes pas d'accord ?

— Si, mais s'il vous aimait vraiment, il serait resté jusqu'au bout, proclame une autre personne du public.

— Dans ce cas là, l'accident m'a rendu service. J'allais épouser la mauvaise personne.

— Qu'est-ce qui a été le plus dur ? La perte de vos parents, la lâcheté de votre fiancé ou votre état de santé ?

Comment choisir ? Me retrouver seule a été insupportable. Me battre contre l'adversité était un supplice de chaque jour. Et étrangement, j'ai survécu aux deux. Comment ? Je n'en ai pas la moindre idée et je n'ai pas le désir de le découvrir non plus. Seuls, le présent et mon futur m'inquiètent aujourd'hui. Que vais-je devenir ?

— Je dirais l'avenir.

— L'avenir ? m'arrête un monsieur d'une cinquantaine d'années.

Il faut dire que mon dernier livre a été lu en partie par des hommes. Alors que, mes précédents écrits, étaient essentiellement lus par des femmes de seize à soixante-dix ans. Chaos, le titre de mon ultime roman en a interpellé plus d'un. Moi, qui étais principalement orientée dans les histoires d'amour, je me suis vue relater, sans relâche, une biographie sur l'enfer qu'était devenu ma vie.

— Oui ! Beaucoup de personnes croient que mes problèmes sont derrière moi, mais la vérité c'est qu'ils sont encore là, bien présents. Ma vie a été chamboulée à tel point que j'ai du mal à refaire surface.

— C'est compréhensible ! s'exclame une personne dans le public.

— Oui, il est difficile de se reconstruire après un drame. Chaque mot inscrit, dans ce livre, témoigne de la souffrance dans laquelle j'ai été plongée ces derniers mois. Mais, je pense, que ce n'est rien par rapport à ce qui m'attend dans les prochaines semaines, voire les prochains mois.

— Vous n'avez toujours pas fait votre deuil ? me demande une de mes fidèles lectrices.

— Je pense que non. Je me suis tant concentrée sur ma guérison physique, que j'en ai oublié de pleurer mes parents disparus.

Je n'en peux plus. Me rappeler de l'enfer que j'ai vécu me donne envie de sauter dans le vide. Il m'est difficile, encore aujourd'hui, d'exprimer à voix haute le malheureux drame de mon existence. J'ai l'impression que plus j'en parle et plus cela devient réel.

Tandis que couché les mots dans les pages de mon livre, c'est juste une histoire racontée de toutes pièces, dans laquelle je me fais passer pour la principale protagoniste. J'aimerais croire que tout cela n'est qu'un mauvais rêve et que je vais me réveiller dans mon lit auprès de mon fiancé qui m'aime plus que tout au monde. Mais, une sensation étrange survenant du plus profond de mes entrailles me fait revenir de plein fouet à cette terrible réalité qui est devenue ma vie.

Je ne sens plus mes jambes. Elles sont glacées, gelées. Elles ne répondent plus aux ordres de ma tête. Mon corps encaisse ce nouvel élément en paniquant de plus belle. Mes palpitations remontent jusqu'à mes oreilles qui bourdonnent d'angoisse et de peur.

J'ai besoin de mettre un terme à cette interview qui n'en finit pas. Je regarde mon agent et amie pour la supplier du regard d'intervenir.

— Que doit-on vous souhaiter pour les mois à venir ? m'interroge une journaliste littéraire.

— Euh... De panser mes plaies, et... de me reconstruire une nouvelle vie, lâché-je sans vraiment y réfléchir.

Tout ce que je veux, c'est en finir avec cet interrogatoire. Je suis fatiguée. Tout redevient nébuleux. J'entends vaguement les derniers mots de mon interlocutrice.

— Alors, c'est tout ce que l'on vous souhaite. Reprenez votre vie en main et vivez.

— Merci, prononcé-je automatiquement avant de me retirer avec beaucoup de difficulté.

Il y a peu d'espace entre moi et les étagères. Un faux mouvement est tout une bibliothèque risque de me tomber dessus. Je fais attention, et après plusieurs essais, je parviens à me retirer sans dégât, autre, que ma santé mentale.

Ce n'est pas terminé, j'en ai conscience, mais impossible pour moi de poursuivre sans avoir au préalable respiré un grand bol d'air frais.

— La séance des questions est maintenant terminée. Vous pouvez vous approcher pour la session des dédicaces. Luisa va se faire un plaisir de signer votre roman, dès qu'elle aura repris des forces, proclame la propriétaire des lieux.

Qu'on me sorte d'ici ! 





Publié le vendredi 21 avril 2023


L'appart du Troisième (nouvelle version)Where stories live. Discover now