Chapitre 19 Luisa 2/3

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Cette maison de Fado est un endroit très charmant. On a l'impression d'être dans un cocon. Les lumières sont toutes tamisées, ce qui renforce la sensation d'être dans un autre univers, dans lequel, rien ne peut nous arriver. Toutes les tables en bois sombre du restaurant sont éclairées uniquement d'une petite bougie qui se trouve enfermée dans une lanterne en fer forgé. Cette luminosité nous permet juste de voir ce qu'il y a dans nos assiettes, ainsi que les convives de notre tablée, sans vraiment apercevoir tous les traits de leur visage. C'est très intimiste.

Nous dînons et le sujet à table est le Fado. Carla nous parle de ses rêves d'enfants de devenir chanteuse comme Dulce Pontes. Une grande chanteuse portugaise dont la voix a été comparée à plusieurs reprises aux plus grandes "Fadista" telle que Amalia Rodrigues. Mais ce songe s'est très vite brisé avec le temps, car elle s'est rendue compte en grandissant qu'elle n'avait pas du tout l'étoffe pour ça.

Et c'est à ce moment là que la propriétaire des lieux nous informe :

— Silence ! Le Fado va être chanté !

Et toute la pièce se meurt dans un silence, jusqu'à se retrouver presque dans l'obscurité, seules les bougies posées sur les tables éclairent le lieu. Puis, l'instant d'après, un petit coin plus feutré s'éveille à nous, avec la première note de musique des deux guitares portugaises qui accompagnent la belle « Fadista ».

L'émotion me gagne aux premières paroles de la chanteuse, elle vit sa chanson en direct, elle est comme transportée, et nous porte avec elle. J'en ai des frissons. Cela me fait ressentir une grande mélancolie, une tristesse qui est démontrée par les larmes qui coulent le long de mon visage que j'ai tant de mal à retenir. « Saudades », c'est le mot qui exprime le mieux ma vie d'aujourd'hui. Le manque de mes proches, de ma vie d'avant, des moments de joies où tout était bien, où je me sentais moi... Où je vivais.

Tout ce que cette cantatrice raconte dans sa chanson me bouleverse et pointe mon cœur de plein fouet. Elle réveille en moi la souffrance enfouit tout au fond de mon âme. Je me raccroche à quelque chose sur la table afin de ne pas entièrement sombrer. Je le serre au point que ma vie en dépende et me retiens de me noyer dans les paroles de la chanson.

Est-ce qu'un jour, la douleur disparaîtra ?

Je donnerais tout ce que j'ai pour revenir en arrière, pour profiter tout en chérissant chaque instant passé avec les miens. J'ai mal et j'aimerais que tout cela s'arrête pour de bon.

Encore aujourd'hui, j'ai beaucoup de peine à refaire surface, je ne fais que d'aller d'un endroit à un autre, sans me soucier de vivre. Je me contente d'être ce que je suis, une âme errante. J'étais pourtant convaincue que tout allait s'arranger lorsque j'ai débarqué dans ce pays, mais c'était sans compter sur l'affliction que j'ai apportée jusqu'ici dans mes bagages. Je suis encore loin d'avoir entièrement fait mon deuil. Il est vain de croire que tout va se réparer comme par magie, car nous l'avons décidé. Ça mettra sûrement des mois, même énormément de temps, mais ce n'est pas impossible. C'est du moins ce que je me répète en boucle.

Avec ma propre tristesse, je n'ai pas remarqué que Fabio, aussi, était très affecté par cette chanson, c'est seulement à la fin de la musique et quand la lumière refait son apparition que je m'aperçois de ses yeux mouillés. Ça me fend le cœur.

Finalement, je crois qu'Avo avait un peu raison quand il m'a dit qu'on a à peu près le même vécu, la même douleur.

Je ne sais pas pourquoi, mais je suis touchée par sa souffrance. Je n'aime pas le voir ainsi, perdu, abattu... Lui, d'habitude si fort et si vivant. Ça m'affecte bien plus que je ne l'aurais imaginé.

Finalement, cet homme blessé a un cœur qui bat, meurtri, mais il en a un. Je dois simplement trouver comment le soigner.

Quand il remarque mes yeux fixés aux siens, il se ressaisit instantanément et se délie de mon emprise avec une rapidité déconcertante. J'en reste bouche bée. Je ne m'étais pas rendue compte que j'avais pris sa main en otage. Je comprends mieux pourquoi j'ai eu la perception d'avoir pris un coup de chaud. C'est toujours ce qui se produit quand nos peaux se frôlent ou se mettent en contact l'une de l'autre.

Je suis, à présent, persuadée que sa mauvaise humeur, son comportement ne sont qu'une coquille pour se protéger... mais de quoi ? Il faut absolument que je le découvre. Tous les gens du quartier se taisent à ce sujet, mais il doit bien y avoir quelqu'un près à en parler.

Si Avo pense que je peux l'aider, alors je dois tout mettre en œuvre pour y arriver. 



Publié le samedi 12 août 2023

Comment avez vous trouvé cette séance de Fado ? Etiez vous présent avec eux ? 

La suite et fin de ce chapitre demain. 

Bon samedi ! 

L'appart du Troisième (nouvelle version)حيث تعيش القصص. اكتشف الآن