Chapitre 29 Luisa 1/2

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— Tu as une salle tête ! m'assène Carla en entrant dans mon appartement.

Je le sais. D'ailleurs, j'ai hésité à lui ouvrir. J'ai une mine affreuse. Je n'ai pas réussi à trouver le sommeil. J'ai voulu continuer mon récit sur mon voisin, et j'ai fini par réécrire toute une histoire venue de nulle part.

J'étais comme envoûtée. Les mots s'affichaient les uns après les autres sur mon écran sans que je puisse m'arrêter. J'avais la sensation que quelqu'un avait pris possession de mon corps. Encore maintenant, j'ai du mal à croire ce qu'il m'est arrivé.

J'ai pondu tout un roman sur moi, ma reconstruction et bien évidemment sur l'imbécile du dessous. Je me suis rendue compte que l'un n'allait pas sans l'autre.

Notre rencontre, nos engueulades, mon désir incontrôlable pour lui, mes doutes, mes craintes, mes sentiments, mais également son comportement détestable, ses coups de gueule, ses crises à répétition, son attitude burlesque de mauvais gamin, son sublime corps, ses merveilleux yeux azur qui me font flancher à chaque fois qu'il me fixe, ainsi que ses secrets que tout le monde par ici refuse de dévoiler, et dont je suis presque en train de démêler les nœuds, de découvrir le fin mot de l'histoire, puis les sensations nouvelle que j'éprouve depuis que je suis dans ce pays, cette envie déconcertante de me défendre, de me battre contre l'adversité, tout est relaté dans les deux cent dix pages enregistrées sur mon ordinateur.

Plus les mots apparaissaient à l'écran, plus je prenais conscience de ce qui se tramait dans ma vie. La réalité venait de me sauter aux yeux. J'allais beaucoup mieux, malgré mes changements d'humeur dus à mon cher voisin.

En effet, il est en tout responsable. C'est à Fabio, que je dois tout ce revirement. Je lui impute tous mes déboires, mais pas seulement. Notre rencontre m'a également permis de renouer avec des sensations oubliées, des envies enfouies, des désirs inavouables. Tout ce qu'on peut attendre de la vie. En vrai, je peux affirmer que je revis. Et tout cela grâce à cet énergumène de malheur. Il a su faire ressortir de moi autant le pire que le bien. Et ce roman inachevé en témoigne. Cela ne fait aucun doute.

A présent, il ne manque plus que le dénouement et mon histoire sera terminée. Reste à savoir où se trouve la sœur cachée de Fabio, je refuse de croire qu'elle n'est plus de ce monde. Avo va sûrement pouvoir m'aider. Je compte sur lui. Il ne peut pas me priver d'une magnifique fin à ma nouvelle oeuvre.

Je ne me vois pas inventer un final catastrophique. Je veux une apothéose, un happy end à mon histoire rocambolesque. Mes lecteurs méritent que je leur offre le sourire. Ça ne peut pas en être autrement.

Mais revenons à la charmante compagnie très matinale. A ma parole, elle est tombée du lit, et tout cela dans une tenue de princesse, à en juger par ses cheveux merveilleusement coiffés et sa robe parfaitement sans aucun pli. Il est certain que ce n'est pas moi qui sortirais de bon matin avec tant d'élégance. A-t-elle un rendez-vous ?

Je laisse cette question en suspens. Il serait temps de l'inviter à découvrir mon intérieur. Je ne sais pas si elle était déjà montée jusqu'ici.

— Merci ! la remercié-je avec ironie en m'avançant vers elle, avant de l'informer. Je n'ai pas dormi de toute la nuit.

Je lui indique le fauteuil dans lequel elle prend élégamment place et m'installe à sa gauche sur le canapé, mes jambes sous mes fesses. Je n'ai pas sa grâce, soyons honnête, et c'est pas mon jogging qui me fera paraître plus belle.

— Ton appartement est superbe ! Il a été décoré avec goût.

— Je trouve aussi. Maria est très douée en décoration. Elle devrait peut-être penser à se reconvertir.

Elle se lève et me demande la permission pour faire vite fait le tour de la pièce, ce que je lui octroie. Elle se penche sur les nombreux bibelots exposés intelligemment de façon à ne voir que ça, sans dire un mot. Je crois que les objets l'émeuvent, tout comme moi. Cette fille me surprendra toujours.

Elle revient vers moi et émet :

— Ça doit être agréable de vivre dans ce joli endroit ?!

— En effet, je me sens bien ici, si seulement je n'avais pas pour voisin, notre exécrable et séduisant pâtissier de malheur.

Elle s'assoit pour la deuxième fois sur le sofa avec finesse, et me demande :

— Que t'est t-il arrivé ? Pourquoi as-tu cette tête qui fait peur ?

Si par sa distinction on penserait qu'elle sort tout droit de la famille royale britannique, on ne peut pas en dire autant de sa délicatesse verbale. Elle ne prend jamais de pincettes. Elle dit tout haut ce qu'elle pense.

Au moins, avec elle, je sais à quoi m'en tenir.

— Je me suis mise à écrire. Enfin, j'ai pu me remettre à l'écriture, me répèté-je pour me le graver dans le crâne.

J'ai la sensation de l'avoir rêvé, pourtant c'est bien la réalité. Je suis de nouveau capable de faire le métier que j'adore.

Il était temps ! J'ai bien cru que je ne parviendrais plus à consigner plusieurs phrases ensemble. Je suis fière du travail accompli. Il m'a tout de même fallu plus de deux ans pour y parvenir.

— C'est génial ! s'enthousiasme t-elle.

A la voir si enjouée, on croirait que c'est elle qui vient de faire l'exploit, un marathon de plusieurs heures devant un écran. Même si je suis ravie, je ne peux pas l'exprimer de cette façon. J'ai encore beaucoup de mal à me réjouir pour quoi que ce soit. J'ai la sensation que tout peut chavirer d'un moment à l'autre. Il suffit de voir comment je suis. La moindre contrariété ou douleur me fait perdre facilement le contrôle de mon corps et de mes émotions. Je suis plus fragile qu'il n'en paraît, même si je pensais le contraire il y a quelques secondes. On ne se refait pas. Il va me falloir du temps pour me faire à l'idée que ma vie change. Les vieilles habitudes sont tenaces.

Et pour rajouter à mes incertitudes et à mes tourments, je n'ai aucune emprise sur les gens. Cette histoire peut ne pas plaire à ma maison d'édition. Je suis à l'opposé de mon dernier roman qui a fait énormément de bruit et un monstre succès. Je doute pouvoir réaliser à nouveau un tel engouement auprès de mes liseurs.

Mais je me sens bien mieux, à présent, que je recommence à aligner et assortir les mots les uns avec les autres. Ce n'était pas gagné !

— Oui ! Je suis contente, prononcé-je voulant aller dans son sens, cependant je prends l'initiative la seconde d'après de changer de sujet. Notre abruti de service a encore fait des siennes cette nuit. Tu le crois ? Il s'est envoyé en l'air, encore et encore... La fille a eu trois orgasmes !?

Le visage de la jeune femme se décompose devant mes yeux. Elle semble stupéfaite par cette annonce. Pourtant, elle devait bien supposer qu'il faisait ce genre de trucs avec les nanas qu'il ramène chez lui... Puis, sans le voir venir, un merveilleux sourire s'affiche à ses lèvres.

Je ne comprends plus rien. Elle est effarée ou heureuse ?

— Waouh ! s'extasie t-elle finalement. En plus, d'être un Dieu des pâtisseries, il l'est également au lit, en conclue t-elle tout en rêvassant à l'homme de ses songes.

Elle ne va pas bien !

Un petit rictus de satisfaction se dessine sur le bas de sa figure, le même que celui que je tente de camoufler lorsque je suis en présence de monsieur le tombeur. Elle s'imagine sûrement dans ses bras, criant son nom. Elle est totalement sous le charme.

La princesse est là sans être là. Son corps est en face de moi mais sa tête est dans les nuages, ou plus précisément sur la lune. Cette fille est encore plus cinglée que moi. Elle doit déjà être en train de tirer des plans sur la comète. Ce que j'évite de faire.

— Carla, ressaisis-toi ! la bousculé-je pour qu'elle reprenne ses esprits.



Publié le vendredi 27 octobre 2023

La suite de cette conversation est pour demain. 

Bonne journée ! 

L'appart du Troisième (nouvelle version)Where stories live. Discover now