Une échappée risquée

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   Tac ! Voilà la troisième goutte d'eau qui tombait sur le sol rugueux, à quelques millimètres de mon nez. Les paupières entrouvertes, je parcourais d'un regard fatigué le cagibi dans lequel j'étais enfermée. Au sol, la joue droite contre le béton humide, je ne ressentais pas la force de me relever et tentais de remuer les jambes, en vain. J'ignorais dans quel tohu-bohu je me trouvais mais je n'étais certainement pas chez mes grands-parents, le ventre noué d'angoisse, le corps engourdi d'épuisement, je n'arrivais pas à parler, ni même à murmurer. D'ailleurs, mes sens ne semblaient pas tous éveillés, seul ma vue encore trouble et ma faible tactilité marquaient mon éveil. Il n'y avait que quelques instants que mes paupières s'étaient entrouvertes, cinq ou six minutes. Cinq ou six longues minutes...

                                                                                              ***

  Un, deux, trois... Je fronçai les sourcils et comptai de nouveau: un, deux, trois... Aïe! La lumière... Les yeux larmoyants, aveuglés par la lumière blanche qui éclairait la pièce inconnue où je me trouvais à présent, je me redressai lentement sur l'assise molletonnée qui semblait n'être rien d'autre qu'un matelas: un lit couvert d'une literie en coton blanc. Je ramenai mes genoux à mon menton et frictionnai mes mains ainsi que mes pieds nus, la chambre était fraîche et le grain de ma peau était apparent. Où étais-je? Je détaillai avec attention l'ensemble du mobilier qui se constituait d'une armoire, d'une commode ainsi que d'une table de chevet en bois sombre, la tête ainsi que les pieds du lit double, confectionnés dans la ferraille, émirent un grincement sonore lorsque je me mis maladroitement sur pieds. La tête me tournait et je tins ma nuque qui semblait encore engourdie. En silence, les pieds trainant sur le parquet ciré, je m'approchai de la fenêtre qui dégageai une forte luminosité et posai mes doigts sur les carreaux qui n'étaient point doublés: au-dehors, la cime d'une forêt de pins s'étendait à perte de vue et le ciel couvert semblait bas, lourd, pesant. Je déglutis difficilement et fermai les paupières le plus fort possible, me rappelant des derniers évènements: la nuit, la silhouette, cette silhouette... Et ce masque, cet horrible masque... Et ces paroles, ces dernières paroles... " Il serait préférable que tu te rendormes." Mon ventre se noua et je me courbai, massant mon abdomen, le dos contre le mur. Il fallait que je sorte, que je me sauve !

  Je jetai un coup d'œil au lit et, évidemment, je n'avais pas mon portable. Au dehors, je n'apercevais que la cime des pins, la demeure comportait plusieurs étages à n'en pas douter. S'évader par la fenêtre serait une prise de risque inutile, valait mieux ne pas mourir écrasée tout de suite ! Prudente, je décidai de sortir de là et traversai la pièce, m'apprêtant à ouvrir la porte, ce que j'aurais très bien pu réussir si celle-ci ne s'avéra pas être fermée. Je soupirai, forçant sur la poignée cuivrée puis contractai la mâchoire et, l'angoisse me gagnant de nouveau, versai quelques larmes, qui se transformèrent en un torrent inépuisable. J'étais coincée ici, dans cet endroit inconnu perdu en pleine forêt, j'avais été kidnappée par un type masqué et je n'avais aucune issue si ce n'est qu'une fenêtre située à plus d'une dizaine de mètres du sol ! Qu'allai-je devenir ?

                                                                                                 *** 

   La fenêtre ouverte, la brise automnale séchant les larmes qui avaient longtemps ruisselé sur mes joues, je me penchai le plus possible au-dehors et traçai du regard mon parcours jusqu'à la terre ferme, parcours qui s'annonçait difficile et périlleux mais réalisable. J'expirai longuement et après mures réflexions, passai une jambe de l'autre côté de la fenêtre et m'agrippai au rebord bétonné, la pointe de mes pieds nus sur une moulure murale, je passai enfin l'autre jambe et entamai mon échappée. La brise s'avéra plus forte qu'elle ne l'était et mes cheveux ne tardèrent pas à me barrer le visage, j'inspirai, le ventre collé contre la façade et petit à petit, m'approchai de l'avancée de toit qui me permettrait, si je ne me trompai pas, d'accéder à l'étage du dessous. Soudain, mes yeux dérivèrent sur la végétation envahissante qui s'étendait quelques mètres plus bas, quelques mètres... Une dizaine de mètres plus bas... Je sentis mon corps se raidir et relevai la tête, fixant le béton grisâtre. Un frisson ébranla mes épaules et mon cœur s'accéléra brusquement, c'était trop haut, trop risqué! "Fais demi-tour!" Semblait me crier ma conscience. Une autre petite voix, inconnue encore, semblait elle aussi, étonnée de me trouver là:

- Tu dors plus?

  Je sursautai et tournai la tête vers la fenêtre qui m'avait servie d'issue quelques minutes plus tôt, j'aperçus l'émettrice de cette question: une fillette à la tignasse brune et totalement emmêlée, un sourire innocent sur son visage rose. Rassurée de rencontrer une autre personne dans cette étrange baraque, de plus une présence enfantine, je retournai près de la fenêtre, les pieds toujours tendus sur leur pointe, toujours tremblotants, toujours... Ah! Avais-je perdu l'équilibre? Ou bien mes pieds m'avaient-ils trompée sur leur capacité à me reconduire jusqu'à mon point de départ? Je l'ignorai, la seule chose qui me paraissait sure, était la situation dans laquelle je me trouvais, une situation mortelle.

  Merci d'avoir lu, vos commentaires sont les bienvenus! À bientôt pour le prochain chapitre.

  Lucie Draw

Il était un automne... [Creepypastas]Where stories live. Discover now