Chaos

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Un grondement sourd sortit Jo de ses pensées, il cligna des yeux plusieurs fois puis tapota sa pipe sur le cendrier posé devant lui. Somnoler à n'importe quelle heure de la journée était devenu une habitude pour lui, depuis la disparition de Lou, sa petite-fille. Il passa ses doigts sur son vieux visage et grimaça lorsqu'il sentit le relief de ces cernes sous ses phalanges; la nuit, Jo ne dormait plus.

Il quitta le rocking-chair qu'il avait installé sur le perron quelques semaines plus tôt et rentra se mettre au chaud, sa peau asséchée par la brise hivernale. Sur l'un des fauteuils du salon, celui où Lou flemmardait parfois, Odette dormait. Sa femme y arrivait, elle. Mais les boites de comprimés qui jonchaient sur la table basse lui prouvaient qu'elle ne rejoignait pas Morphée d'elle-même.

Les nuits leur étaient devenues insupportables.

Jo s'empara du plaid vert qui gisait au sol et le replaça sur le corps recroquevillé de sa femme, le visage soucieux. Odette avait pris quinze ans en seulement un mois. Et plus les jours passaient, plus son souffle diminuait.

Si le cauchemar perdurait, sa petite femme finirait par se noyer dans ses sanglots.

- Papa ?

Jo se détourna du fauteuil et accueillit son fils, Anton Farge, d'un sourire difficile qui creusa un peu plus les nouvelles rides de son visage. Anton était un homme bien bâti, comme l'était son père autrefois, ses cheveux clairs étaient toujours coupés courts, question d'apparence et d'hygiène : un homme d'affaires se devait toujours de paraitre impeccable. La règle des quatre "C", costard, cravate, cheveux courts. Mais Anton avait quitté son costume et laissé sa cire coiffante dormir dans un tiroir, car ce matin, il apparaissait comme un homme exténué, rongé par le souci.

La veille, Anton et sa femme Hélène, s'étaient rendus chez Monsieur et Madame Farge, loin de leur ville, de leur travail. Le couple s'était imposé une semaine de congés pour prendre le temps de... faire le vide ? Se reposer ? Eux-mêmes ne le savaient pas vraiment.

Un craquement se fit entendre et Hélène apparut enfin, ses cheveux bruns tombant négligemment sur ses épaules ; un véritable contraste avec le chignon habituel qu'elle portait au quotidien. Contrairement à son mari, elle ne s'arrêta pas au bas des escaliers mais continua son chemin en direction de la cuisine afin de noyer son chagrin dans un demi-litre au moins, de café noir. Il était déjà onze heures.

***

- Les parents d'Axelle et de Fred ont posé des congés eux aussi. Ils n'ont pas quitté la ville cependant.

- Tu penses qu'ils se trouvent au même endroit que Lou ?

- Aucune idée, Anton... Mais l'organisation chargée de retrouver notre fille n'a pas dû être informée de leur disparition, à ces jeunes.

Hélène concentra son regard sur le fond de son bol, ses doigts massant ses tempes. Anton, qui n'avait pas quitté la fenêtre des yeux depuis qu'il était entré dans la cuisine, vint placer ses mains sur les épaules tendues de sa femme. Il ouvrit la bouche un moment, puis la referma, avant de la rouvrir de nouveau et d'enfin lui avouer ce qui lui trottait dans la tête :

- Une petite ballade s'impose, tu ne crois pas ?

  Il s'attendait à une réponse négative, de par le temps froid qui s'intensifiait, et par les lieux qui étaient devenus infréquentables depuis peu.

- Oui, Anton ! Une ballade s'impose ! Une grande ! Ces bois-là, (elle pointa son index en direction du jardin au bout duquel plusieurs pins sombres parsemés de neige se dressaient majestueusement) nous allons les fouiller de fond en comble ! Les recherches n'ont peut-être rien donné il y a quelques semaines, mais si la chance est avec nous, peut-être que nous... retrouverons... notre fille... Notre petite...

Il était un automne... [Creepypastas]Onde histórias criam vida. Descubra agora