Le loup et l'agneau

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En cette journée d'hiver, l'asphalte arborait une légère couche de givre. Elle perdurait fine mais pas moins dangereuse. Le ciel, d'une couleur indéterminable, pesait sur la ville dont les rues demeuraient vides, le froid trop intensif ayant fait fuir les quelques promeneurs courageux. Pourtant, une quarantenaire au faciès sévère, un chignon quelque peu éméché formé à la va-vite, foulait à grandes enjambées le trottoir glissant. Ses talons lui rappelèrent de diminuer sa cadence lorsqu'elle manqua de tomber, dérapant brusquement sur une plaque d'égout. Elle toussota fortement, réajustant son long manteau noir, ses cheveux, et reprit sa course à pas plus mesurés, pianotant un texto sur son téléphone : « Je serai là dans cinq minutes, la police m'a appelée, j'ai des nouvelles. »

***

Eloignée de la ville, perdue au milieu d'une campagne sans infrastructures, presque dénuée de lumière solaire tant la vallée était profonde, la petite commune où résidaient les Farge semblait elle aussi, avoir accueilli un hiver sec et dépourvu de teintes chaleureuses. Les ruelles pavées semblaient elles aussi, vides de promeneurs. Mais était-ce réellement dû au climat plus frais, aux degrés manquants ?

Non, bien sûr.

Assise à la table de sa cuisine depuis longtemps abandonnée, Odette pelait quelques pommes de terre, son mouvement restant las et monotone. Le grésillement habituel de la radio n'était plus, cette dernière étant passée par la fenêtre depuis peu. Pas de nouvelles, jamais de nouvelles, plus de nouvelles.

Si, pas plus tard qu'hier, la police lui avait lancé un appel, l'informant vaguement que l'organisation chargée de retrouver lesdits kidnappeurs de sa petite-fille était sur une piste plutôt prometteuse. Mais qu'allait-elle faire de cette annonce ? Devait-elle espérer ?

Ou ne pas s'y fier ?

Son corps marqué par le temps se raidit sévèrement, l'économe qu'elle empoignait un peu trop fort sectionna sa peau vieillie, laissant quelques gouttes de son sang perler sur ses pommes de terre. Elle poussa un juron, se précipitant vers l'évier, pestant contre son ustensile. La paume sous l'eau et le regard fixé au-dehors, son coup d'œil demeurant lubrique, observait sans vraiment voir les flocons blancs qui parsemaient la pelouse de son jardin. Chaque année pourtant, elle se réjouissait de retrouver la neige de l'hiver, le froid rude mais traditionnel de sa région. Seulement... Cette année, rien ne s'était déroulé comme prévu. L'automne ne s'était pas terminé sur cette même note mélancolique, laissant derrière lui une campagne grise prête à accueillir l'hiver.

Non

Il s'était terminé sur une note dramatique.

***

Un meurtre ? Un accident ? Un suicide ?

Quel imbécile venait souiller de son pourpre, le blanc manteau de l'hiver ?

La neige fondait sous la chaleur de cette substance sombre, une tâche immense se formant sous ce corps désarticulé, brisé en mille morceaux. Qui donc avait-eu l'idée saugrenue de sauter par la fenêtre ?

Ces humains demeuraient bien idiots.

Oh ! Elle est jolie cette fille, enfin... elle l'était. Son crâne déformé par l'impact qu'avait causé sa chute, brouillait les jolis traits de sa figure à présent maculée de sang, sa tempe droite commençant à bleuir dangereusement. Eparpillés autour de sa tête, ses cheveux ternis et salis par son cruor formaient une sorte d'auréole. On aurait dit un ange, un ange endormi, un ange bousillé qui venait de perdre ses ailes.

- Pauvre petite... Pourquoi t'être jetée de cette fenêtre ?

Un tentacule noir serpenta jusqu'à sa nuque déboitée et s'appuya légèrement au-dessous de sa mâchoire rougeâtre. Le membre élastique ondula quelque peu avant de se retirer, du sang perlant à son bout.

Il était un automne... [Creepypastas]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant