Cette nuit-là

221 28 12
                                    

- Sa Majesté n'a pas faim ?

Silencieux depuis le début du repas, Zalgo repoussa son assiette pleine, la tête basse. Il posa ses mains à plat sur la nappe blanche et s'enfonça dans son fauteuil. Abraham Van Doornik, qui avait obéit aux ordres de son maître, s'était empressé de l'accompagner pour le diner. Ils n'étaient que deux. L'invitation de l'Empereur ne devait pas être anodine, de quoi voulait-il lui parler ?

- Je vais avoir un héritier, Abraham.

Comme s'il s'était brûlé, le vieux médecin échappa ses couverts qui tombèrent à ses pieds. Il releva la tête vers Zalgo et réajusta ses immenses lunettes rondes, caressant du bout de ses doigts gantés son bouc blanc qui lui donnait l'allure d'un pharaon.

- Je vous demande pardon, mon maître ?

Zalgo soupira longuement, s'affalant un peu plus dans son siège.

- Vous êtes bel et bien sourd, Abraham ! Allons bon ! Je vais avoir un héritier !

Aussitôt, le vampire quitta sa place et fit le tour de la table pour venir s'agenouiller aux pieds de son Empereur, peinant à atteindre le sol en vue de son grand âge. Ses yeux couleur d'acier fixèrent le sol tandis que ses mains saisirent celle du démon qui se laissa faire.

- Enfin... Enfin ! Maître ! C'est un miracle...

Le regard ailleurs, ses prunelles or sondant la pièce avec contemplation, Zalgo laissa échapper ce qui semblait être des larmes. De véritables larmes de joie, deux perles qui tracèrent leur sillon humide sur ses joues cendrées, poursuivant leur course effrénée sur sa gorge, allant mourir dans le col de son costume.

- Abraham... Cet enfant n'est plus ici.

Le vampire se redressa un peu, surpris.

- Les corbeaux m'ont rapporté qu'il était situé à plusieurs lieues d'ici... Toujours dans le ventre de ma tendre et chère... Elle-même plongée dans le coma.

- Que souhaite Sa Majesté ?

L'Empereur s'avança dans son fauteuil et s'empara du visage de son médecin, toujours à ses pieds. Zalgo posa délicatement ses mains sur chacune de ses joues marquées par le temps et colla son front au sien, plongeant son regard lumineux dans celui du vampire.

- Abraham... Vous avez ma confiance toute entière... Je vous en conjure Abraham Van Doornik... Faites en sorte que mon fils me revienne ! Je le veux ! Il est mien ! Je ne croyais plus en son existence mais il est là... Cet enfant... est à moi...

Le visage brouillé par les larmes, Zalgo se volatilisa sous les yeux du médecin qui resta sans voix, seul dans la pièce. Jamais on ne lui avait confié pareille mission ! Jamais il n'avait vu l'Empereur aussi dévasté...

- Oh Hadès... Par tous tes sbires...

***

Aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais eu le souvenir d'avoir été aveugle. Pourtant, en cet instant précis, seuls mes pieds et mes mains me guidaient dans cet univers sombre. Mes doigts écartaient les voiles avec facilité tandis que mes orteils me portaient loin, très loin. La boule de chaleur qui tournoyait dans mon ventre augmentait de plus en plus. Je commençais à m'interroger sur la raison de son apparition ; elle ne me gênait en rien, mais que signifiait-elle vraiment ?

Plus elle s'intensifiait, plus la peau de mon ventre se tendait, comme s'il grossissait à vue d'œil.

Perdue dans cette dimension inconnue, je laissais mes pieds avancer au hasard, mes bras retombant le long de mon corps. Puis, comme si je m'apprêtais à saisir l'objet le plus fragile du monde, je posais délicatement mes doigts sur mon nombril, mes phalanges rencontrant la chaleur qu'il dégageait.

Il était un automne... [Creepypastas]Where stories live. Discover now