Partie 2

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   Camila

Je me lève à mon tour et me dirige vers la cuisine. Après avoir traversé l'étage des chambres et descendu un large escalier, il faut encore emprunter un grand couloir pour parvenir à la cuisine, immense, dont la baie vitrée donne sur l'océan. La maison peut accueillir au moins vingt personnes et je m'y sens toute petite, moi qui ai toujours vécu dans un trois-pièces.

Du bout du couloir, j'aperçois Clara. Elle porte une robe d'été bleu pâle qui met en valeur sa fine silhouette. Ses cheveux châtain, au brushing parfaitement lissé, se parent de reflets chatoyants, dans la lumière du matin. Quelle que soit l'heure u jour, et quel que soit le geste accomplit, cette femme est pleine de prestance et de distinction. Une tasse de café à la main, elle feuillette tranquillement le journal, et même ces simples mouvements sont emplis de grâce et de légèreté.

Quand je franchis le seuil de la cuisine, Clara lève la tête et me salue en souriant.

- Bien dormi ? lance-t-elle.

- Très bien, merci.

- Un café ? propose-t-elle en souriant.

Je hoche la tête et m'assois au bar. Clara se dirige vers un appareil tellement design que j'aurais bien été incapable de savoir qu'il s'agissait d'une cafetière si je ne l'avais pas déjà vue en marche. Je ne me suis pas encore habituée au luxe de cette maison – et je ne sais pas si je m'y habituerai un jour. Pianos de cuisson dernier cri assez grand pour faire rôtir un bœuf entier, éviers de marbre dans lesquels on pourrait prendre un bain, baie vitrée immense donnant sur un jardin taillé au millimètre. Du crochet à torchon aux aimants qui ornent le frigo, tout a été réfléchi et calculé par les meilleurs architectes et décorateurs d'intérieur. A croire que l'océan lui-même a été sommé de se faire plus bleu pour s'harmoniser avec le vert du gazon.

Tout est magnifique, mais chaque pas que je fais ici m'émerveille autant qu'il m'intimide. Je me rends bien compte que la seule qui n'a pas se place ici, c'est moi. Au milieu de cette maison ultrachic, j'ai l'impression de faire désordre, avec mes vêtements sans marque et ma maladresse.

Clara s'installe en face de moi. Elle a beau se montrer bienveillante, je la sens légèrement mal à l'aise en ma présence. Je lui suis reconnaissante de nous accueillir aujourd'hui, mais je ne sais pas comment me comporter avec elle. Je ne connais pas très bien Clara, la femme de mon père. A l'époque, j'aurais donné n'importe quoi pour qu'elle disparaisse. Et je lui en ai terriblement voulu d'avoir volé mon père à ma mère. Plus tard, les choses se sont apaisées, mais le sentiment d'abandon est toujours là. Clara prenait quand-même de mes nouvelles. Seulement, les rares fois où je l'ai revue, c'était pour constater que mon père avait tourné la page. Elle, un peu plus chic à chaque fois ; moi, avec mes vieux habits sur lesquels elle s'abstenait à faire des commentaires.

A présent, plus question de l'appeler « belle-maman ». D'abord parce que personne ne dit ça ici ; ensuite parce qu'elle m'impressionne avec ses cheveux mi- long au brushing appliqué, son maquillage parfait, ses tenues impeccables, comme si elle était toujours prête à passer un entretien d'embauche.

- Mon dieu ! C'est quoi, cette tenue ?

Ça, c'est Alejandro Cabello, le mari de Clara et accessoirement mon paternel. Je réapprends à le connaître depuis quelques jours, mais sa façon martiale de se déplacer et le ton de sa voix mi- hautaine, mi- railleuse me sont déjà insupportables. Il n'aime pas mon accoutrement et ne se prive pas pour me le faire savoir.

J'ai très envie de le renvoyer dans ses buts, d'autant que son ton méprisant me hérisse, mais que dire ? Il m'accepte dans sa maison, alors que je ne suis rien pour lui. Ou plutôt, si, je suis la fille de son ex-femme... C'est pire que rien.

Quand il s'assoit en face de moi, j'ouvre grand les yeux, puis les détourne aussitôt, échappant de peu à un décollement de la rétine : l'homme qui se permet de me donner une leçon de style et de bon goût porte une tenue de footing entièrement fluo. L'ensemble est tellement criard que les hommes de la station spatiale internationale auront probablement une chance de l'apercevoir faire son jogging. Enfin, lui, ne dit pas « jogging », mais « running » : le jogging est réservé aux amateurs et aux mollusques. Lui, il fait du running, du vrai sport, quoi, avec des programmes, des objectifs à atteindre, et surtout à dépasser.

A peine assis, Alejandro se relève déjà pour faire les cent pas. Je n'ai pas répondu à sa remarque. Il attendait manifestement une explication, une excuse, voire une promesse de ne plus jamais descendre accoutrée de telle sorte.

- Tu vas porter cette tenue toute la journée ?

- C'est juste un pyjama, bafouillé-je.

- Un pyjama, ça ? Et Sofia te voit te trimballer comme ça ? Si elle ne met rien sur le dos, il ne faudra pas s'étonner !

Clara vole à mon secours.

- Ce n'est pas la peine de faire toute une histoire pour un pyjama ! J'irai lui en acheter de plus convenables, si ça peut te faire plaisir.

Le mot « convenable », particulièrement apprécié par mon père et Clara, a fait son apparition dans ma vie en même temps que je suis rentrée dans cette maison.

- De toute façon, il est un peu tard pour être en pyjama, non ?

- Ce sont les vacances, Alejandro ! intervient encore Clara.

Pressé d'aller courir, il ne tarde pas à ressortir de la cuisine en marmonnant qu'un peu de sport et de discipline n'ont jamais fait de mal à personne. Clara hausse les épaules, mais je vois bien qu'elle est tendue. Je sais qu'elle n'a pas hésité une seconde une seconde quand ma mère, apprenant sa maladie, avait demandé à mon père de s'occuper de ma sœur et moi, mais j'ignore qu'elle a été la réaction de mon paternel.

- Tant qu'il n'a pas fait son running, il est de mauvaise humeur, reprend-elle. Un peu comme toi quand tu n'as pas pris ton petit déjeuner.

Elle a pris un ton amusé, pour dédramatiser la situation, mais je la sens un peu gênée. Je suis mal à l'aise, moi aussi. J'aimerais me fondre dans le décor, mais, en présence de mon père, j'ai le sentiment de me trouver face à un mur. Clara s'efforce de jouer le rôle de conciliateur et j'ai la désagréable impression d'être un grain de sable dans leur couple.

Clara me couve d'un regard plein de sollicitude en me tendant une banane, mon petit déjeuner préféré. Je souris à mon tour, touchée par son attention.

- Tu vois, je retiens.

Elle me regarde avec douceur.

- Tu vas t'y faire, Camila, tu sais...

- A la mort de maman, non, je ne pense pas.

J'ai lâché ça comme un boulet de canon et je m'en veux. Clara tente de faire en sorte que tout se passe au mieux et je l'agresse.

- Non, je voulais dire..., reprend-elle doucement, hésitante.

Je lui adresse un sourire confus.

- Je vais voir ce que fais sof', dehors.

Le temps est superbe. J'emporte mon café et sors dans le jardin, par la baie vitrée ouverte.

Ça sentait la discussion à plein nez et c'est tout ce que j'ai trouvé pour y échapper. Je n'ai pas du tout envie de parler de ça maintenant.

J'emporte mon café à l'extérieur et je m'assois sur un rocher qui a été disposé de façon à recréer un paysage sauvage. De là, j'ai une large vue sur l'océan et cela m'apaise. D'ès mon arrivée, Alejandro m'a appris qu'on avait parfois la chance de voir passer des baleines au large. Il savait que cela m'aiderait à m'habituer à ma nouvelle vie : le jour de mes 6 ans, mon père m'a offert un immense livre, presque aussi grand que moi, sur les baleines. Depuis ce jour-là, les cétacés sont ma passion, et je veux étudier la biologie marine.

Aujourd'hui, en guise de mammifère marin exotique, je vois surtout Sofia et Léo. Ma petite sœur s'est mise en tête d'apprendre des tours de chien détective à Léo et, à les voir tous les deux traverser le jardin à quatre pattes en faisant des bonds de grenouille, je me demande qui apprend quoi à qui !

Apprends-moi/fan-fiction camrenWhere stories live. Discover now