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Contrairement à la veille, c'est mon réveil qui me sort de mes songes, ce matin. Comme la veille, je prends un t-shirt à l'effigie d'un groupe, un jean déchiré aux genoux ainsi qu'une paire de Converses montantes rouges, et pars m'enfermer dans la salle de bains. Je me douche rapidement en passant par la case shampoing, et me prépare tout aussi vite qu'hier. Je retourne dans ma chambre faire mon sac, et récupère mon téléphone ainsi que le livre entamé hier. Je fourre ce dernier dans mon sac, et sors de chez moi avant de croiser quelqu'un.

Se prendre des remarques dès le matin par sa famille, c'est pesant. C'est pourquoi je suis toujours la première à partir, et un des premiers élèves à arriver devant le lycée.

Je prends le même métro qu'hier, et atterrit devant le lycée en une vingtaine de minutes, en comptant les quelques minutes de marche séparant la bouche de métro et le lycée. Je m'engouffre dans ce dernier et vais devant ma salle en veillant à ne croiser personne. À cette heure-là, je ne risque de croiser que les internes finissant de prendre leur petit-déjeuner, mais c'est un risque que je ne veux pas prendre.

Une fois devant ma salle, je m'assieds à côté de la porte, et sors mon livre. J'arrive à me plonger assez vite dans ma lecture, et n'en sors que lorsque je vois du coin de l'oeil quelques personnes arriver. Je me relève alors, m'adosse au mur, et range l'oeuvre de Kundera dans mon sac. Je mets mon téléphone en mode avion, et referme mon sac avant de commencer à me ronger les ongles.

Le professeur arrive et ouvre la salle avant que la sonnerie ne retentisse, nous autorisant à entrer si nous le souhaitons. J'entre alors, et pars m'installer au fond de la salle, comme à mon habitude. Je sors mon bloc-notes ainsi que ma trousse, et me décide à reprendre le dessin que j'avais laissé en stand-by la veille au matin.

La cloche sonne moins de cinq minutes plus tard, et les gens partent s'installer. Je pensais que j'allais être seule dans ce cours, ce qui m'aurait fortement arrangé, mais c'était sans compter sur un gars que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam, qui s'approche de l'emplacement vide à côté de moi.

— Excuse-moi, je peux m'asseoir ici ?

J'allais pour répondre par l'affirmative, même s'il y avait d'autres places de libre (ç'aurait fait méchant, et je ne le suis pas), mais une voix me coupe dans mon élan.

— Désolé mec, elle me gardait ma place. T'as une place libre devant s'tu veux.

— Ah, désolé.

Je souris doucement à l'intention du gars s'étant fait recalé par Mathieu, et regarde ce dernier qui s'installe comme si de rien n'était. Il me regarde à son tour.

— Bah quoi ?

— T'aurais pu le laisser s'installer à côté de moi, il n'y avait pas mort d'homme.

— Ouais, mais j'voulais pas.

Je soupire, et le gars s'étant installé juste devant se tourne vers moi.

— Je m'appelle Jeremy, et toi ?

— Louna.

— C'est joli. Tout comme toi.

Je souris timidement, et regarde le professeur qui se racle la gorge. Je n'écoute que distraitement ce qu'il dit, connaissant par coeur le speech de début d'année de chaque professeur. Je reprends alors mon dessin, jusqu'à ce que le professeur explique le déroulement des deux heures suivantes. Il va nous faire passer à l'oral rapidement, pour que l'on se présente en deux ou trois phrases. En anglais bien entendu, puisque nous sommes dans un cours d'anglais.

Je suis une des premiers à passer (merci papa de m'avoir donné ton nom de famille), et me lève juste, restant à ma place. Le prof a stipulé que nous n'avions pas à venir au tableau, et je lui en suis reconnaissante.

— Hello, my name is Louna Deslys, as the teacher said. I'm 16, and I have an older brother. I live in the fourteenth district, and I have nothing else to say. (Bonjour, mon nom est Louna Deslys, comme le professeur l'a dit. J'ai 16 ans, et j'ai un grand frère. Je vis dans le quatorzième, et je n'ai rien d'autre à dire.)

Je me rassieds, et je sens le regard pensant de certaines personnes sur moi. Je sais que certains se moquent de moi, que d'autres ont envie de me cracher dessus, et que d'autres encore veulent m'insulter. Jeremy a l'air d'entendre aussi, puisque peu après que j'ai baissé la tête, il se révolte.

— C'est quoi votre problème, à regarder Louna avec tant de haine ?

Je relève la tête, étonnée qu'il prenne ma défense, et le professeur le regarde avec de grands yeux.

— Je peux savoir quel est le problème, jeune homme ?

— Le problème c'est que tout le monde se fout ouvertement de Louna dès qu'elle est quelque part, dès qu'elle l'ouvre, comme à l'instant, et que vous avez même pas tilté, intervient à son tour Mathieu.

Je me mords la lèvre inférieure, gênée que les deux prennent ma défense, et que tous les regards soient braqués sur nous trois. Je sens les larmes me monter, mais j'essaie de les refouler.

— Je ne crois pas avoir vu un quelconque signe de moquerie dans cette classe. De plus, il s'agit du premier cours, alors évitez de vous faire remarquer en disant de telles sottises.

— À quel moment prévenir un enseignant qu'un élève est déjà en position d'intimidation au bout du deuxième jour ce sont des sottises ? grogne Jeremy.

— C'est une grosse arnaque, se plaint Mathieu.

— Bon, ça suffit, on ne va pas passer les deux prochaines heures à parler de ça. Soit nous nous arrêtons là et nous pouvons reprendre le déroulement du cours, soit vous partez tous les trois.

— Pourquoi Louna devrait jarter de votre cours ? Elle a rien fait ! s'insurge Mathieu.

— Vous l'avez introduite dans vos plaintes, donc elle est inclus dans l'histoire. Donc si vous sortez, elle sort aussi.

Je me lève, range mes affaires dans mon sac, et fais signe aux garçons que c'est bon, pas la peine de rajouter de l'huile sur le feu. Une fois que les gars sont sortis je me tourne vers le professeur, et ose intervenir et tenir tête à des gens depuis plus d'un an.

— Étonnamment, ce sont toujours les élèves qui sont le plus dans une situation d'infériorité qui sont traités comme des rejets. À croire que tout ce que vous savez faire, dans ce monde, c'est rabaisser des gens qui sont déjà au plus bas. Ne soyez pas étonnés que Flavie se soit suicidée, alors.

Je ferme ensuite la porte, et rejoins Jeremy et Mathieu la tête haute.

Nous ne sommes que le deuxième jour, mais je me sens déjà pousser des ailes.

IdioteWhere stories live. Discover now