Chapitre 71

117 11 0
                                    

Point de vue de Bruno:

À chaque fois, que nous sortions à découvert, ma gorge se serrait, mon estomac se retournait, mon souffle se raccourcissait et mon cœur battait la chamade. Avant toute attaque, je priais ou alors j'avais une pensée pour une personne chère à mon cœur, qui brûlait en moi à chaque instant : Lucile. 

Je me battais car c'était mon devoir. Une lourde tâche qui reposait sur mes épaules et qui m'écrasait. L'image de la jeune française était comme une bouffé d'oxygène, qui se faisait de plus en plus rare au fil des jours. Les jours étaient de plus en en plus durs. Il fallait constamment trouver une source de motivation pour continuer les combats. Le fait de vouloir la victoire de l'Allemagne en était une, mais elle s'estompait peu à peu. La volonté de retrouver ses proches et de reprendre le cours de sa vie était, maintenant, devenu trop dérisoire. 

Personne ne voulait s'abaisser à de tels souhaits. Ils nous faisaient plus souffrir qu'autre chose. Beaucoup de nos familles s'étaient décimées, moi la première. Tous mes frères étaient morts, ma sœur se retrouvait à présent veuve alors qu'elle n'avait que 21 ans, mon père s'était vu plongé dans l'alcoolisme pour tenter de réduire ses blessures. Non, je n'avais vraiment pas envie de retrouver ma maison, ma ville, mes proches. Je n'avais plus personne en mesure d'aller de l'avant. Ma femme avait dû se retrouver quelqu'un. A vrai dire, je m'en fichais. Elle pouvait être la plus heureuse ou même la plus malheureuse, cela m'était égal. J'avais fait le deuil de mon mariage. 

Mon seul but, aujourd'hui, était Lucile, pouvoir la retrouver, la serrer dans mes bras, sentir son odeur de rose, toucher sa peau de velours et tout le reste. Je la voyais avant chaque sommeil, je rêvais d'elle, et je me réveillais avec elle dans mes pensées. Elle me suivait partout où que j'aille. Après tout, j'avais de la chance, je pouvais me rattacher à quelque chose. Bon nombre de mes hommes n'avaient pas cette opportunité.

Je sentais bien que pour eux, les jours se faisaient longues. On n'avait aucun moment de répit, celui qu'on méritait depuis des années. Notre vie était rythmée par le bruit des obus qui éclataient encore plus proches les uns que les autres.

 Cela faisait cinq ans et demi qu'on nous promettait la victoire prochaine de l'Allemagne, qu'on tenait la France du bout des doigts et qu'il suffisait d'un rien pour qu'elle tombe dans nos bras. J'avais tellement envie d'y croire à ce moment précis. 

Mais d'un côté, je savais que si la France perdait, elle subirait encore plus la fureur de mon pays après avoir combattu depuis tant d'années. Les gens d'ici avaient la rancune tenace, comme les Français. Depuis la Première Guerre Mondiale, ces deux pays se haïssaient. Si la France tombait, ce serait fatal pour elle et pour tous ses citoyens. Mon côté patriote, qui s'estompait de fil en aiguille, voulait cette victoire, profondément, mais mon côté humain et mon cœur la refusaient. Je souhaitais juste que chacun reprenne sa place pour le meilleur, que la guerre s'arrête et que la vie reprenne le contrôle.

Hélas, la guerre avait fait trop de dégâts pour que je puisse fermer les yeux et faire comme si de rien n'était. Tout le monde avait été touché, de près ou de loin. Pour la mémoire de chacun, il fallait un point de non-retour pour marquer la fin des combats et empêcher d'autres conflits mondiaux. Mais rien ne présageait à ce moment-ci la moindre conciliation entre ses deux monstres de guerre, bien au contraire, puisque d'autres puissances allaient s'y ajouter pour nous terrasser. Je soufflai un bon coup et me repris. Je n'allai pas aider mes hommes avec ces réflexions philosophiques, mais en tirant bien.

Allez Lucile, donnez-moi un peu de courage !

Les balles partirent dans tous les sens. Des sons épouvantables s'accaparèrent de la totalité de mon ouïe. C'était des bruits assourdissants et je priais pour qu'aucun de mes hommes ne tombe sous leurs coups.

On essayait, non sans mal, d'avancer, de braver les blocus que nos ennemis s'affairaient à toujours constituer. On pataugeait dans la boue de jour en jour parfois en avançant, parfois en reculant, mais la victoire ne se faisait jamais sentir. C'était comme si on était de simples pantins. On nous donnait des ordres, simples pour certains, mais pour moi, c'était constamment une épreuve. En aucun cas tuer n'avait été dans mes habitudes ou même m'était venu lorsque j'étais dans un état second d'énervement. Je me rappelais sans cesse, ces corps qui étaient tombés sous les balles tirées par mon pistolet. 

Ma main dirigeait mécaniquement ces actions sans que ma tête ne puisse décider. Mon supérieur hiérarchique, lorsque j'apprenais à être un vrai soldat, m'avait sans cesse dit qu'un homme n'avait pas de faiblesse. Il devait se montrer fort, insensible et surtout, ne devait jamais perdre en tête sa mission. Il avait presque réussi à faire de moi un joli pantin, à une chose près. À l'heure actuelle, j'avais deux faiblesses, tuer, je n'aimais toujours pas ça et Lucile, qui avait pris possession de mon cœur au moment où je m'y attendais le moins.

SUITE ALLEMANDEOnde histórias criam vida. Descubra agora