Chapitre 54

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Clémentine se ramena avec tout un tas de bandages et d'alcool. Elle me prit les mains et commença à me les nettoyer. Je grimaçai à plusieurs reprises gênée par les sensations de brûlures causée par cette eau-de-vie.

— Comment avez-vous appris à soigner de cette manière ? Généralement, on est plus hésitant, m'étonnai-je.

— Vous êtes une fille de la ville ça se voit, rit-elle. Quand on a une ferme, les petites blessures sont courantes. Ça fait partie de notre métier. Encore plus quand on a des enfants aussi casse-cous que les miens. Il ne se passe pas un jour sans qu'ils n'aient un bobo. Parfois, c'est juste des égratignures et d'autres fois, c'est plus profond.

— Vos doigts sont faits pour soigner. Pourquoi ne pas venir travailler au campement de soin ? On a toujours besoin d'infirmières, vous seriez très utile, proposai-je

— C'est très gentil, mais je ne peux pas. On a besoin de moi à la ferme. Je ne peux pas laisser tout le travail à Jean, c'est trop. Et puis, il y a les enfants. Ce serait de la folie.

— Non, c'est plus que ça, vous me cachez autre chose, fronçai-je les sourcils remarquant son regard fuyant.

— Non, ce n'est simplement pas pour moi, c'est tout.

— Clémentine, ce n'est que moi. Vous pouvez me parler. De toute façon, on risque d'être ensemble encore quelques heures.

— Il faut que je sois à la maison, toute la journée, que je sois présente pour tout le monde, mes enfants, ma ferme, mon mari.

— Jean est un grand garçon. Il sait s'occuper de lui. Je l'ai déjà vu se faire à manger, souris-je.

— Il arrive à Jean de partir des journées, des matinées, des après-midi, je ne sais où. Il revient parfois dans un sale état. Il peut rentrer n'importe quand avec des blessures plus où moins importantes. S'il recommence ses absences et qu'il revient blessé sans que je sois là, il pourrait y passer. Je ne pourrai pas supporter ça. Je ne peux pas vivre sans lui, me raconta-t-elle les larmes aux yeux.

Je lui pris la main, en signe de soutien et de compréhension. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Elle était dévouée à son mari. Elle se tamponna les joues pour se les rougir et me regarda intensément.

— Vous avez dû apprendre l'histoire entre Jean et Juliette ?

— Oui, on me l'a rapporté.

— Ça doit être Juliette, Jean ne parle jamais de ce genre d'histoire. Il faut que je vous raconte ce qu'il s'est passé entre nous, ce qui nous a conduit à nous marier aussi vite, mais surtout ce qui a conduit Jean à briser sa promesse.

— Vous n'êtes pas obligée. Je sais que c'est une histoire douloureuse.

— Écoutez, on n'arrivera jamais à finir cette soupe alors autant s'occuper comme on peut et puis, vous devez savoir la vérité. Vous habitez chez Juliette, vous êtes quelque peu touchée par cette histoire.

— Elle la connaît‌ ?

— Juliette ? Non, elle a toujours refusé de nous écouter, lui comme moi. J'ai voulu, dès son retour, m'expliquer, m'excuser d'avoir pris sa place mais j'ai eu en face de moi un mur. C'était la même chose à chaque fois. Même les voisins ont voulu lui révéler le fond, elle n'a jamais voulu entendre le moindre son. Je pense qu'elle se mure dans une carapace lorsqu'on évoque ce sujet.

Elle nous fit nous asseoir sur le canapé et se mis en face de moi, le visage impassible.

— Jean et moi, nous nous sommes rencontrés peu après le départ de Juliette. On ne s'était jamais réellement parlé avant. Nos pères étaient amis mais rien de plus. Un jour, il est arrivé dans la ferme de mes parents à l'entrée du village. Il était en sang, le visage tuméfié. Il était au bout de ses forces. Grâce à Dieu, il a réussi à venir ici mais il n'aurait jamais pu aller jusqu'à chez lui. Lorsqu'il a frappé, ma mère a ouvert. Quand, elle l'a vu, elle a hurlé de toutes ses forces. C'était atroce. Mon père est arrivé en courant et l'a installé sur la table de la cuisine pour commencer à le soigner. On ne pouvait attendre l'arrivée du médecin, il se serait vidé de son sang. On l'a soigné du mieux qu'on a pu. On a désinfecté, refermé, cousu ses plaies, enfin, tout ce qu'il fallait. Il a perdu connaissance au moment au moment où on a versé de l'alcool sur ses blessures. On a su qu'à ce moment-là, c'était quitte ou double. Pour cela, je l'ai veillé nuit et jour, priant à chaque instant qu'il se réveille.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now