Chapitre 45

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Point de vue de Bruno

5 ans auparavant :

Une fois installé sur mon tabouret de piano, je laissai mes doigts virevolter avec mon esprit. Les notes se suivirent, créant une douce mélodie pure. J'aimais ne pas contrôler la musique, la laisser me guider sans forcer les passages, sans m'arrêter pour écrire les notes. Juste les imaginer. Ma mère m'avait donné le don de faire chanter la musique, comme elle disait. Je me rappelais qu'elle m'avait enseigné à ne jamais la prendre brusquement, mais avec douceur, comme si c'était la chose la plus précieuse au monde. Je fermai les yeux, me faisant emporter par cette musicalité si tendre à mes oreilles. Ces moments là étaient chéris par tout mon être. Je pouvais partir très loin tout en restant physiquement présent.

Ma femme, que j'avais jadis épousée me poussait constamment à m'enfermer dans mon bureau. Elle m'insupportait tellement que, respirer, ne serait-ce le même air qu'elle me rendait fou. Ce monde parallèle était mon refuge. Depuis notre mariage, les choses avaient évolué et malheureusement pas dans le bon sens. Elle était devenue aigrie et agressive. Jamais elle ne se contentait de ce qu'elle avait, il lui fallait toujours plus. Elle n'avait pas toujours été comme cela. A notre rencontre, c'était la femme la plus merveilleuse que j'avais connue. Elle était la bonté incarnée. Elle pensait aux autres avant sa propre personne. J'étais tombé amoureux d'elle dès le premier regard. J'avais eu beaucoup de mal à la séduire, toute une troupe d'hommes lui couraient après. Mais ma musique avait réussi à m'extirper de cette communauté plus que présente.

Il y a sept mois, nous avions perdu le fruit de notre amour. Notre bébé s'en était allé, quelques semaines après avoir appris à l'aimer de toutes nos forces. Amelia n'avait pas supporté cette perte et depuis, une autre femme que je haïssais partageait ma vie.

Elle passait ses journées affalée sur le sofa, à critiquer les autres et à se morfondre. Bien sûr, j'étais son sujet de prédilection. Elle me faisait souvent des reproches sur la vie que je menais. Mon manque d'ambition concernant la politique la heurtait grandement. Elle voulait que j'abandonne mon art pour rentrer dans ce monde hypocrite qu'était la politique. Elle rêvait de pavaner dans des robes plus que luxueuses, à arborer des bijoux plus chers les uns que les autres.

Malheureusement avec la vie que je lui faisais vivre, tout cela était impossible. Les compositions que je vendais et les représentations que je faisais arrivaient à peine à nous faire vivre correctement. Amelia devait donc se contenter de robes qu'elle portait habituellement.

J'avais longtemps pensé à faire un autre enfant pour combler le vide que l'autre nous avait procuré, mais encore fallait-il avoir de l'intimité et avoir envie de se toucher. Cette envie nous avait quitté tous les deux depuis bien longtemps.

— Bruno, arrête avec cette musique, elle me scie les oreilles, tu as vraiment perdu la main. Qu'est ce que je fais encore avec toi, tu peux me le dire ?

— C'est mon travail Amelia. Tu n'as qu'a changé de pièce.

— J'aimerais bien et je pris tous les jours pour que ce son disparaisse de la terre. Mais, vois-tu, d'où je suis, j'ai une belle vue sur le magasin d'en face. Sache que Gunter a pris du muscle. Sa chemise devient presque trop étroite, mais je ne vais pas me gêner pour le voir contracter ses bras pour porter ses sacs. J'adore les corps virils. Tu devrais t'y mettre, ta chemise te boudine aussi mais pas pour les mêmes raisons, me lança-t-elle fière de sa pique.

Je soufflais de colère mais ne disais rien. Je me replongeais, une fois de plus dans ma musique. Elle me permettait de me contenir et d'éviter de faire sortir ma colère et ma rancœur envers ma femme. Une fois hors de contrôle, je n'arrivais généralement plus à me retenir. Une fois plongé dans mon travail, rien ne pouvait m'en faire sortir. Cela faisait un peu plus de quatre heures que je m'acharnais sur un passage complexe. Je devais multiplier les changements de rythme et cela n'était pas une mince affaire. Je soufflais d'exaspération, n'arrivant pas à enchaîner les parties. Cette partition allait finir par me rendre fou. Je réessayais une nouvelle fois lorsqu'un tapotement vint briser ma concentration. Je relevai la tête prêt à aboyer de m'avoir dérangé, mais me retint lorsque je reconnus le visage crispé de mon frère aîné.

— Nikolaus? Que fais-tu ici ? demandais-je plus que surpris.

— J'ai une nouvelle à t'apprendre, nous devrions aller dans le salon pour parler, insista—t-il.

Je le suivais, le cerveau embrouillé par la surprise de le voir et la volonté de trouver un moyen de finir ce morceau.

— Je ne vais pas aller par quatre chemins. La guerre est déclarée avec la France. Nous devons partir demain à la première heure pour prendre le train jusqu'à Berlin pour rejoindre nos troupes.

— Quoi ?! hurlais-je.

— Père a fait en sorte que nous soyons au premier poste pour diriger les troupes. Chacun doit gérer ses soldats. Je pars pour le nord de la France dans trois jours et toi pour l'est dans cinq jours.

— Mais comment est-ce possible ?

— Père a fait jouer ses relations et vu notre passé militaire, cela n'a pas été si compliqué. Tu devrais faire tes bagages au plus vite dire au revoir à ta femme. Cette guerre s'annonce pire que la précédente.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now