Chapitre 83

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Ça y est la victoire était enfin là. Après autant d'attente, elle était enfin là. Tout le village était en fête, tout le monde dansait, buvait, se prenait dans les bras sans aucune retenue. La joie venait de signer son grand retour. Lorsque le message nous a été envoyé, on attendait le signal pour crier, hurler la fin de cette fichue guerre qui nous avait empoisonnée la vie pendant des années. On avait retenu notre souffle des heures avant de laisser éclater notre joie. 

On allait enfin, pouvoir reprendre une vie normale, enfin, reprendre celle que nous avions laissée avant. Bien sûr, rien ne sera totalement comme avant, la guerre avait laissé ses traces, des traces indélébiles. Mais il fallait réapprendre à vivre, sans trop penser à toutes nos pertes. Il fallait bien sûr garder une pensée pour tous ceux qui nous avaient laissés, mais nous étions encore sur terre, nous en avions la chance, comparé à d'autres. Notre devoir était d'honorer ceux partis en vivant une vie riche d'expériences et de ravissements. Il ne fallait pas avoir de regret, plus maintenant. 

On avait vécu comme des lapins cachés dans des terriers pendant les 52 mois qu'avait duré la guerre. On les avait bien sentis.

— Allez Lucile, ne reste pas sur cette maudite chaise. On va commencer une nouvelle vie sans se soucier de rien, me poussa Juliette ivre de bonheur.

Je la suivis, amusée par cette nouvelle femme devant moi. Elle se lâchait complément, sans réserve, Les autres aussi étaient dans le même état. Clémentine et Jean dansaient à en perdre haleine. Benoît, lui aussi essayait d'apprendre au bras de Maryse qui ne cessait de rire aux faux-pas de son père. Les voir à nouveau réunis me convainquait dans mes choix qu'était de me jeter aux bras de l'ennemi pour le sauver. Bien sûr cette tête brûlée de Labarie m'avait remercié pour mon dévouement, mais dès qu'il était à nouveau sur pied, il avait repris son activité de résistant. Au moins, on ne pouvait pas dire qu'il était peureux. 

Le village était à présent transformé en une jolie fête, entourée de fleur, de musique, de pas de danse et de rires sincères. On ne faisait plus semblant de bien aller pour ne pas alerter l'autre, non, on laissait sortir nos sentiments. On ne se cachait plus. Bien sûr, il restait les nombreuses blessures, des pertes d'êtres chers. Beaucoup de famille n'avaient pas pu retrouver leurs membres courageux qui avaient donné leur vie pour la patrie. D'autres étaient revenus, bien amochés certes, mais ils reprenaient goût à la vie petit à petit. Certains n'arrivaient pas à oublier leur vie dans les camps ou dans les tranchées alors on essayait au mieux de leur faire oublier. Malheureusement, quelques-uns se bloquèrent et faisaient des crises plus ou moins effrayantes, qui tyrannisaient les enfants. 

De ce fait, quand ils étaient conscients de leur actes, ils préféraient en finir. Nous avions essayé de les aider mais il semblait qu'ils ne voyaient pas d'autre choix. La mort était leur porte de sortie. On ne pouvait pas les blâmer. Ils avaient tellement donné pour nous tout au long de ces années.

Je me re-concentrai de nouveau sur la foule, tapant dans les mains au rythme du tempo de la danse. Les femmes accrochées à leurs partenaires se risquaient à des mouvements plus complexes les uns que les autres, pour charmer le reste du public qui clamait leur performance. Un homme d'une trentaine d'années s'approcha de moi et me tendit la main.

— Oh, je ne crois, commençai-je.

— Si, si elle est intéressée, me bouscula Juliette pour que je me tape contre le torse de cet inconnu aux yeux turquoise. Je m'excusai et jetai un regard noir à cette traîtresse, qui elle avait un sourire victorieux.

Cet homme m'entraîna dans sa valse d'une lenteur extrême. Je n'aimais pas ces danses dans lesquelles il fallait se concentrer pour ne pas écraser les pieds de son partenaire. Cette fois-ci n'allait pas faire défaut, puisque j'écrasai à deux-trois reprises ses pieds. Bien heureusement, il ne m'en tenu pas rigueur, grâce à l'unique raison qu'était le fait que les femmes n'avaient pas pu s'entrainer ou pratiquer pendant le temps de la guerre, avec tous les hommes au front. Je ne répondis pas et re-baissai la tête pour vérifier que mes pieds étaient à une distance raisonnable. Soudain, Juliette vint me prendre le bras et me tira d'un coup. Je me laissai faire, bien trop surprise pour lui demander des explications. Elle m'attira dans la maison et surveilla les fenêtres.

— Mais qu'est-ce que tu as ? Un coup tu me pousses dans les bras d'un inconnu pour danser et un autre, tu viens m'enfermer dans ta maison, la questionnai-je.

— Un homme s'est présenté aux portes du village.

— Et ?

— Et tu le connais.

— Et donc ?

— C'est ton mari, c'est Gaston, m'informa-t-elle.

Je lâchai le verre que je tenais dans la main, secouée par cette annonce. Gaston était ici. Pourquoi diable était-il dans ce petit coin paumé ? Une seule explication me vint à l'esprit et je la redoutais. Il était revenu à Bussy et sa mère lui avait tout raconté. J'étais dans de beaux draps maintenant.

— Il ne faut pas qu'il aille dans le bourg. Les gens vont lui dire où je vis, ce que je fais, non, c'est pas possible. Il faut qu'il reparte, criai-je

— Je crois qu'il est trop tard Lucile.

Juliette m'invita à la rejoindre vers la fenêtre, ce que je fis rapidement. Il était bien trop tard, Gaston, suivis par Jean et deux autres hommes s'approchèrent de la maison. Puis, trois coups furent tapés à la porte. Juliette me regarda apeurée, je secouai la tête pour ne pas qu'elle ouvre, mais d'autres coups furent à nouveau portés, ils savaient où on se trouvait. On était piégées. Juliette prit une grande inspiration et ouvrit doucement, ne laissant apercevoir que sa tête.

— Oui ?

— Bonjour, je viens voir Lucile. On m'a dit qu'elle habitait ici.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now