Chapitre 60

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J'étais maintenant avachie sur mon lit, fatiguée par cette soudaine crise. J'étais exténuée. Ma seule envie à cet instant était de dormir.

— Tu es sûre que tu ne veux pas me parler de ce qu'il s'est passé ? Ce n'est pas bon de tout garder pour soi et puis, Maryse est avec son père, on est tranquilles pour un moment, prononça-t-elle.

— Non, je veux juste dormir avant de reprendre mes activités cet après-midi. Ne t'en fais pas ce n'était rien.

— Comme tu voudras, mais n'oublies pas que je serai toujours là pour toi.

Elle m'embrassa le sommet de mon crâne, me remonta la couverture, comme une mère l'aurait fait et s'en alla me laissant avec pour seule compagnie mes pensées sombres. Je fis une petite sieste d'à peine trois quart d'heure. J'avais été magnifiquement réveillé par les cris surexcités de Maryse, toute heureuse de voir son père reprendre du poil de la bête. Je me levai à contre cœur, encore secouée par ma crise. Je me pinçai les joues pour me donner bonne mine et me convainquis que tout allait bien et que j'étais prête à reprendre le cours de ma vie.

Dans la cuisine, les éclats de rire de Maryse me firent retrouver ma bonne humeur. Elle avait retrouvé son entrain habituel. Cela faisait du bien de la revoir comme ça.

— Lucile tu es réveillée. Juliette vient de me dire que tu avais eu un coup de fatigue, tu vas mieux ?

— Oui, je suis à nouveau opérationnelle, donc si tu veux reprendre un coup de tricot ou de couture, c'est quand tu veux, proposai-je le sourire aux lèvres

— C'est une belle proposition, mais tu me sembles encore un peu patraque, tu dois te reposer, refusa-t-elle.

Peu surprise de sa réponse, je lui caressai les cheveux.

— Quand pars-tu pour l'hôpital ? me demanda Juliette

— Je pensais partir tout de suite.

Le chemin jusqu'à l'hôpital fut si long que j'avais l'impression qu'il durait plus longtemps que la normale. Mon esprit ne cessait de ressasser les dernières heures. Une fois arrivée à l'hôpital, je fis mon tour en m'arrêtant à presque tous les lits et m'enquis de l'état des blessés. Certains étaient plus joyeux que d'autres et lançaient des sourires qui donnaient du baume au cœur. Puis, vint le tour d'Antoine, son éternel sourire collé sur son visage. Je devais avouer que cela faisait du bien de voir un soldat joyeux, surtout après les épreuves qu'ils avaient dû traverser. Quelque part, cela donnait encore plus envie de vivre, ou alors était-ce lui qui me donnait ces soudaines bouffées d'air frais lorsque je le voyais.

— Lucile, vous voilà enfin ! J'ai pensé un instant que vous n'alliez pas venir. Même si votre amie a tenté de me rassurer, cette peur ne voulait pas me quitter, surjoua-t-il.

— Oh je vois, vous allez mieux maintenant, je suppose, ris-je.

— Oui merci. Tout cela est grâce à vous et à votre sourire qui gonfle mon cœur de bonheur.

— Votre cœur doit être dans un piteux état à force de passer d'un sentiment à un autre aussi rapidement.

— Il tient encore, signe qu'il est costaud. Il est prêt à supporter d'autres de vos surprises, me taquina-t-il.

Je secouai la tête, résolue à ne pas continuer sur ce chemin ardu. Mais, d'un côté, ça me faisait du bien d'être à ce point flattée.

— Alors comment se passe cette convalescence ? demandai-je pour changer de sujet.

— Toujours bien quand je vous vois, me charma-t-il.

— Je vois que votre côté dragueur n'est pas parti.

— Tant que je respirai, je ne cesserai jamais de flatter de jolies filles lorsque j'ai la chance d'en croiser, qui plus est lorsque je les vois régulièrement.

— Vous allez donc briser des cœurs.

— Je n'espère pas. En tout cas, ce ne serait pas intentionnel. Pourquoi fuyez-vous mon regard Lucile ?

— Je ne vous fuis pas du regard, m'empressai-je de répondre

— Vous avez les yeux gonflés et d'affreuses cernes. Tout se passe bien chez vous ?

— Oh, vous avez un don pour dire qu'une femme est moche, souris-je pour dissimuler mon malaise.

— Non, non vraiment, je suis sérieux. Vous avez les yeux tout gonflés, comme...comme si vous aviez pleuré.

Je détestais ça, le fait d'être percée à jour. Rien ne pouvait donc lui échapper, ou alors était-ce moi qui ne savais pas cacher mes émotions.

— Lucile, arrêtez de vous cacher derrière un joli sourire. On a tous des moments avec une baisse de moral. C'est humain, ce n'est pas une faiblesse. Dites-moi ce qu'il se passe.

Je lui racontais tout, toute ma vie, depuis le début. D'ailleurs, je m'étais livrée avec tellement de facilité que je n'en revenais pas. Il me regarda, les yeux écarquillés, la bouche ouverte. Plusieurs minutes passèrent dans le plus grand des silences, seul le bruit des gémissements et des chuchotements brisèrent cette tranquillité inquiétante.

— Vous vous êtes entichée d'un allemand ? dit-il sans y revenir.

— En quelque sorte, murmurai-je gênée.

— Je me doutais bien que nous n'étiez plus un cœur à prendre, mais de là à penser que c'était un allemand, c'est quand même très fort.

— S'il vous plaît, ne me jugez pas. J'en ai assez des regards réprobateurs. J'en ai eu beaucoup trop de la part de ma belle-mère pour des décennies.

— Je ne vous juge pas. L'amour est complexe, personne ne choisit de qui on tombe amoureux, ce serait bien trop ennuyant, me rassura-t-il.

— Merci.

— Mais, ce n'est pas ça qui me dérange. Vous vivez avec des chaînes de forçat aux pieds. Vous traînez un passé bien trop douloureux pour rester dans ce silence. Il faut en parler. Vous vous êtes forgée avec ce traumatisme, il est temps de le laisser s'en allait pour croquer la vie à pleines dents. La vie est beaucoup trop courte pour se laisser dicter par des facteurs extérieurs. Je pourrai vous aider. En revanche, je ne peux rien faire si vous ne voulez pas et si vous ne vous déchargez pas un minimum.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now