Chapitre 74

105 9 0
                                    

Je marchai, la tête pleine de pensées. Une page s'était tournée dans ma vie. Antoine était parti et il allait me manquer. Mais c'était un mal pour un bien, car on n'aurait pas pu vivre l'un à côté de l'autre sachant ses réels sentiments à mon égard. Ce n'était pas juste pour lui. Il devait faire sa vie, trouver une femme qui puisse l'aimer comme il le méritait, chose dont j'étais incapable.

Mon cœur se sentit vraiment seul, lorsque que je fus enfin consciente de son départ. Je me rendis compte que j'éprouvais une réelle affection pour lui. Antoine m'avait marqué, jamais je ne pourrais l'oublier. Une fois arrivée à la maison, les deux habitantes étaient dans un bel état. Juliette était rouge avec les cheveux en bataille, des gouttes de sueurs lui coulaient dans la nuque et Maryse, quant à elle, n'était pas mieux, ses cheveux n'étaient coiffés que par une unique couette bien trop sur le côté, sa robe était déjà tachée par du jus de groseille, mais cela ne semblait pas la gêner, au contraire.

— Oh Lucile, te voilà enfin, je t'attends depuis des lustres ! Il faut que tu ailles te changer, faire ta toilette, te coiffer et m'aider à faire faire la même chose à Maryse. Cette enfant est une porcine. Je vais lui trouver une autre robe, celle-ci est bonne pour le recyclage. Sa tâche ne partira jamais au lavage, râlait-elle

— Respire un peu, le mariage ne commence pas avant des heures, tentai-je de la rassurer sans réelle victoire.

— Pardon ? J'espère que tu ne comptes pas te préparer cinq minutes avant. Suis-je vraiment la seule raisonnable sur cette terre ?

Juliette était vraiment intenable et surtout inarrêtable. J'avais beau lui dire qu'il était beaucoup trop tôt pour commencer à se préparer, elle ne m'écoutait pas. J'étais vraiment face à un mur. Finalement, les heures qui nous séparaient de la cérémonie s'estompèrent en un rien de temps. Sous les ordres autoritaires de Juliette, nous étions fin prêtes, avec de belles tenues. Rien ne faisait tâche à part peut-être, Maryse qui s'essayait aux grimaces avec le fils du charpentier. D'ailleurs, je voyais très bien que Benoît les surveillait de très près. Il n'était pas encore apte à concevoir que sa fille puisse lui être volé par un jeune garçon surtout à cet âge. Parfois même, il bougonnait sur place ne pouvant pas se jeter sur cet enfant qui, je dois l'admettre, avait une bouille à croquer.

La cérémonie solennelle commença. La mariée arriva au bras de son père dans une robe magnifiquement bien coupée qui lui donnait un air de femme distinguée. Elle était d'une beauté à couper le souffle. D'ailleurs, le futur époux la regardait avec des étoiles dans les yeux. Je croyais même apercevoir une larme qu'il s'empressa d'essuyer. Ils respiraient l'amour ces deux là, à se jeter des regards pleins d'affection, des mots doux chuchotés à l'oreille pour que personne ne puisse les entendre. Ils donnèrent presque envie de franchir le pas et de se marier. Je crois bien que plus d'un d'entre nous se faisait la même réflexion à en croire leurs regards si rêveurs.

— Ils sont bien mignons, tu ne trouves pas ? me lança Juliette.

— Oui.

— Moi aussi, un jour je me marierai avec Jacques, répliqua Maryse sur un ton enjoué.

— Certainement pas, gronda Benoît d'un ton bourru.

— Si et il faudra t'y accommoder. C'est mon amoureux.

— Oh seigneur, venez moi en aide, pria-t-il en nous visant d'un regard suppliant.

Juliette gloussa suivie de près par moi par le visage confus de Benoît qui ne savait pas comment gérer cette nouvelle situation. La petite fille sage et tranquille allait bientôt se transformer en bourreau des cœurs et ce n'était que le début d'un long périple qui allait sûrement faire tomber les cheveux de mon cher ami. Nous n'étions d'ailleurs, pas les seuls à être amusés par sa réaction car même Jean et Clémentine se laissèrent aller à quelques rictus.

Après l'échange des vœux qui furent, une fois de plus émouvants, s'ensuit le fameux moment de « vous pouvez embrasser la mariée ». L'époux ne se fit pas prier et se jeta littéralement sur les lèvres de sa bien aimée. Des tonnerres d'applaudissement vinrent briser le silence de l'église, remplacé par un doux bruit si rare en ces temps de guerre, de la joie. Puis, on se dirigea vers le centre du village pour profiter du véritable festin dont chacun avait apporté un petit quelque chose, du vin, de la viande, des légumes, des fruits de saisons et pleins d'autres mets délicieux. Tout cet ensemble me donna rapidement l'eau à la bouche.

Des discussions volèrent dans tout le bourg, il en était même parfois difficile d'entendre son voisin. Le mien se plaignait par exemple de sa femme qui ronflait lorsqu'elle buvait trop, chose qui devait arriver bien plus souvent qu'il ne le laissait croire à en voir la quantité de vin qu'elle ingurgitait sans en ressentir le moindre effet. Au moins, elle avait l'avantage d'avoir une bonne résistance, tout le contraire de moi, au point même où je dus prendre l'air pour ne pas me laisser vomir sur ce charmant voisin qui sentait le camembert à plein nez.

Je pris donc mes distances afin de chercher un coin tranquille ou mon taux d'alcool pourrait réduire avec le bon air frais. Je tournais de rue en en rue, tombant nez à nez avec des ivrognes ou simplement dans le même état que moi. Je perçus même Maryse et son amoureux en retrait, sûrement en train d'échanger leur premier baiser, si j'avais bien compris leurs messes basses. Je trouvai enfin un petit rocher qui donnait pile sur le centre du village, là où le banquet avait lieu, mais tout en étant protégée de leurs regards. J'avais vraiment la place parfaite pour en même temps être tranquille tout en les surveillant et ne rien rater.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant