Chapitre 44

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Point de vue Lucile

Benoît partit aussi vite qu'il était arrivé, en un coup de vent. Il me laissa Maryse, plus occupée à observer l'intérieur de la maison qu'autre chose. Elle franchit le pas de la porte lentement, jetant des coups d'oeil de droit à gauche, sans en laisser une miette. Je la suivis de près, prête à répondre à la moindre de ses questions. Cependant, aucune ne franchit ses petites lèvres charnues. Juliette apparu, s'essuyant les mains sur son tablier, le regard émerveillé devant la beauté de cet enfant.

— Maryse, je suis si contente de te voir. Lucile m'a beaucoup parlé de toi. Je m'appelle Juliette, se présenta-t-elle

— Enchantée, je suis très heureuse de vous rencontrer, sourit-elle de toutes ses dents

Juliette rit de son naturel si expressif. Elle la prit par la main et l'entraîna dans les autres pièces de la demeure. Une fois les filles disparues de mon champ de vision, je me précipitai dans la rue, espérant voir encore Benoît. Avec un peu de chance, il ne devait pas être loin. Je sillonnai rapidement la route, mais aucune silhouette masculine ne vint briser la tranquillité de l'horizon. Cependant, une forme attira mon attention, un bout de vieille chaussure usée dépassait de quelques centimètres d'un un buisson bien touffu. Je m'avançai espérant tomber sur Benoît et non un ivrogne en quête de plaisir. Finalement, cette paire de chaussure me rassura, elle appartenait bien au seul homme de mon entourage proche en qui j'avais confiance.

— Je suis un con, j'ai tout gâché. Ça fait des longs mois que j'attends cette arrivée et je n'ai rien réussi à faire que de te la donner, se lamenta-t-il.

— Ne sois pas aussi dur avec toi-même ! Tu es simplement perdu, tu ne savais pas comment réagir. Quand tu l'as quittée, elle n'était qu'une enfant de 6 ans, et là elle n'a que 8 ans, mais elle se comporte comme une jeune adulte. C'est normal que tu...

— Arrête de vouloir expliquer mon comportement. Je suis censé être son père, une figure paternelle. Quand je suis en face d'elle, j'ai l'impression d'être un moins que rien qui a abandonné sa famille pour rien. J'ai toujours promis à Madeleine de la protéger coûte que coûte, et dis-moi ce que j'ai réussi à faire ? Tout le contraire, je l'ai laissée seule avec tout le travail, frêle devant les allemands qui n'ont pas hésité à la faire...

— Tu n'es pas parti pour rien, tu as permis d'arrêter des dizaines d'attaques qui auraient coûté la vie à des milliers d'innocents. Madeleine est fière de toi, elle me l'a dit plus d'une fois. Tu seras à jamais l'homme qu'elle a aimé et qu'elle aime plus que tout. Ne te fais pas de mal comme ça, ça ne sert à rien. Ta fille non plus, ne te vois pas comme un moins que rien, elle t'aime.

Il baissa sa tête, les bras entourant ses genoux. Il ressemblait à un petit enfant sans protection. Il me faisait tellement de peine. Je voyais qu'il souffrait et que seule Maryse pouvait le sortir de cet état végétatif.

— Tu sais, ta fille est forte et combative. Elle tient ça de toi. Quand tu es parti, tu as laissé cette image d'homme fort qui ferait tout pour sa famille. Maintenant, elle te voit comme quelqu'un peu sûr de lui, méfiant envers tout le monde, isolé et solitaire. Si tu veux, qu'elle vienne vers toi, il faut que tu te reprennes en main, que tu redeviennes cet homme qu'elle a toujours connu. Fais-le pour elle, pour tes autres enfants, pour Madeleine, mais surtout pour toi, tentai-je de le secouer.

Il me regarda de ses grands yeux impénétrables et secoua la tête, permettant de se remettre les idées en place. Il se leva d'un bon, épousseta son pantalon recouvert de poussière et me lança d'un ton contrôlé et plein d'intention.

— Bien, alors je te la laisse ce soir, pour qu'elle prenne ses marques rapidement et je viendrai la chercher demain pour qu'elle passe une journée rien qu'avec moi, comme au bon vieux temps. Merci Lucile, merci pour tout, me dit-il en me serrant dans ses bras.

Je répondis à cette étreinte non sans surprise par cet élan de complicité, mais heureuse d'avoir pu le remotiver. Sur le chemin du retour, mon regard se braqua vers une silhouette que je reconnus sans difficulté, cette lâche de Claude, la seule personne que je détestais plus que Satan. Mon sang ne fit qu'un tour et je me précipitai vers elle dans le seul but de lui arracher les yeux. Mon pas se fit plus rapide, mon souffle, plus saccadé mais mon ardeur plus forte. J'allai lui balancer ses quatre vérités quand Juliette et Maryse crièrent mon prénom à l'unisson pour goûter le gâteau. Grâce à elle, je venais d'éviter le pire. Qui sait de quoi j'étais capable lorsque je me trouvais dans cet état second ? Un simple rappel à l'ordre m'avait fait sortir de ma torpeur, cette fois, j'avais eu de la chance de ne pas me ridiculiser comme une sotte. Il en avait fallu de peu pour que je me perde dans un élan de colère, mais un jour où l'autre une altercation beaucoup plus violente allait avoir lieu et la gentille Lucile se transformera en une folle hystérique voulant venger un être qui n'avait en aucun cas mérité son sort.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant