Chapitre 16

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Elle me sourit et alla chercher du papier. Quand elle revint, son sourire ne l'avait toujours pas lâché. Elle me tendit ce qu'elle avait dans les mains, impatiente que je m'y mette.

— Comment vas-tu commencer ?

— Je ne sais même pas ce que je vais lui dire.

—C'est pourtant simple. D'abord, ne lui dit pas que c'est toi explicitement. Les allemands doivent filtrer le courrier, je ne pense pas que ça leur plaise de savoir qu'un de leur soldat envoie des lettres à leurs ennemis. Mais en même temps, essaye de le lui faire comprendre. Explique ensuite la vie que tu mènes sans bien sûr parler de la résistance mais déjà, faire lui comprendre que c'est toi, et puis pour le reste, tu verras.

Cher Bruno,

Vous souvenez—vous encore de moi ? Cela fait bien longtemps. Comme vous le savez, j'ai quitté mon village pour partir chez une de mes amies pour être plus en sécurité. Cette vie d'avant me pesait. Je l'ai d'ailleurs changé, je ne suis plus celle que vous avez connu et que vous avez jadis peut être aimé. Je me suis affirmée, je ne suis plus sous l'emprise de ma belle-mère. A l'heure qu'il est, elle doit me détester. Je ne me berce plus d'illusions quant à mon cher époux. Je n'ai d'ailleurs plus de nouvelles de lui. A la fin de la guerre, des décisions seront dans l'obligation d'être prises. Enfin, j'espère sincèrement que vous allez bien. Peut-être qu'à la fin de la guerre, nous nous retrouverons.

Vous me manquez tellement.

L.A.

— Bon, c'est pas ce qu'on appelle une déclaration mais c'est un bon début, commenta-t-elle par dessus mon épaule.

—Penses-tu qu'il me reconnaîtra ?

— On peut difficilement faire plus sans dire ton nom. Si ce n'est pas le cas, ton soldat a perdu toute intelligence.

Je la sermonnai du regard. Je refermai la lettre et la glissai dans une enveloppe.

— Ne te tracasses pas, je la porterai dès la première heure demain matin.

— Merci Juliette. Veux-tu que je t'aide pour la soupe ?

— Non, pas ce soir, remets-toi d'abord de tes émotions. Ce n'est pas tous les jours que son prince charmant jadis enterré revient à la vie.

Juliette avait sa méthode pour remonter le moral mais il fallait croire que sur moi, cela fonctionnait. Je lui souris et montai dans ma chambre, il était vrai que ma journée avait été éprouvante.

Le lendemain, je vaquais à mes occupations quotidiennes. Je m'efforçais de ne pas penser à Bruno, je n'étais toujours pas sûre qu'il veuille me répondre. Ma lettre était peut-être sans retour.

À l'hôpital, rien de spécial ne se passa, hormis que je priais régulièrement pour que la guerre ne cesse et que tous ces malheureux se remettent. Cela était tellement dur de les voir souffrir ainsi sans pouvoir réellement les soulager. Je me dirigeai comme de coutume vers le lit d'Eloi et m'assurai de son état puis allait pressement rejoindre Erich. Quand il me reconnut, son visage s'illumina.

— Bonjour, comment allez-vous aujourd'hui ?

— Bien.

Pendant de longues minutes, nous parlâmes. Nous découvrîmes que nous avions de nombreuses choses en commun. Nous discutâmes de nos vies d'avant et de nos projets d'après-guerre. Car oui, on pensait à l'après, c'était ce qui nous permettait de rester en vie. Une petite flamme dans un décor obscur. Depuis des centaines d'années, la guerre avait fait parti de la vie des hommes, ces batailles avaient débutées puis s'étaient achevées et ainsi de suite, devenant un cercle infernal.

Erich me raconta qu'il avait une femme et un fils qu'il n'avait pas pu voir depuis sa mobilisation. Quand il était parti, son fils Viktor n'avait que quelques mois. Il avait aujourd'hui plus de 3 ans. C'était un déchirement pour l'homme de ne pas voir sa famille et ses proches. Bien sûr, nombre de ses amis périrent soit pour leurs idées, pour leurs origines, ou tout simplement pris par la guerre. En effet celle-ci ne faisait pas de cadeau. Chacun la subissait à son échelle.

Le soldat parlait aussi de Bruno, de son amitié avec lui, de leur rencontre. Il me contait que malgré les horreurs que la guerre avait dû lui faire commettre, un semblant d'humanité était resté ancré en lui. La guerre peut changer un homme mais ne peut le dénuer complètement de sens, en tout cas pas Bruno.

La semaine se passa sans encombre. À l'extérieur, ma vie continuait même si à l'intérieur, je bouillonnais d'attendre la possible lettre de Bruno. Juliette essayait de me faire penser à autre chose mais mon esprit était aussi libre qu'un volatile. Il papillonnait à droite à gauche. Je continuais mes tâches quotidiennes mais je devais avouer que de voir Erich tous les jours et de parler de Bruno ne m'aidait pas.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant