Chapitre 76

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Je me retournai, surprise par cette soudaine question. Jamais Benoît ne me parlait de Bruno ou de notre relation, ou alors très occasionnellement. Puis, voyant son air très sérieux, je compris que c'était une réelle interrogation qui le taraudait.

— Je ne sais pas. C'est si compliqué comme situation. Il y a peut-être trop de facteur contre nous pour qu'on soit un jour à nouveau ensemble et amoureux.

— Je ne pense pas, se confia-t-il.

— Enfin, soyons réaliste. Il est allemand, officier de surcroît.

Ce serait un miracle s'il survivait, et quand bien même, s'il rentrait sain et sauf, il ne faut pas oublier que je suis française et que lui représente l'ennemi pour les autres.

Ce serait impossible de vivre heureux. Les rancunes sont tenaces ici. On ne nous laisserait jamais en paix. Il faudrait aller à l'étranger, là ou l'Allemagne n'est pas un pays abominable.

— C'est vrai, tout semble bien compliqué, mais, s'il revient vers toi avec le même aplomb qu'à Bussy, tu peux te dire que c'est un signe du destin et que la route qui a été dessiné pour vous est de finir votre vie ensemble.

— Depuis quand es tu aussi sage? plaisantai-je.

— Depuis que la vie m'a appris à ne pas penser que tout était acquis ou que le hasard était une probabilité importante.

Je me tue face à ces paroles si sages. Il y avait tellement de sens dans ses mots. Il me surprenait réellement. Mon regard se jeta à nouveau dans la foule et s'arrêta sur Juliette, dansant avec une vitalité que je ne lui connaissais pas. Elle avait l'air si différente ce soir. Je ne l'avais jamais vu comme ça. Cela faisait plaisir à voir. 

J'aimais la voir aussi heureuse, après toutes les déceptions qu'elle avait connues jadis. Mais, mes pensées se stoppèrent quand je la vis être prise dans les bras de Michel pour une valse viennoise. Je les regardai, tout comme Benoît, éberlué, par cet événement inattendu. Ils tournoyaient sur eux-mêmes avec une synchronisation parfaite, comme si cette danse avait été créée pour eux. C'était si beau. J'aperçus Clémentine assise sur sa chaise à l'écart des danseurs effrénés, attendant certainement que son mari vienne lui demander de danser, mais vu comment Jean était avachi sur une chaise à rire grassement avec d'autres hommes, ce n'était pas prêt d'arriver.

Depuis quelques temps, surtout depuis l'arrivée des américains dans le combat, les allemands tentèrent de frapper encore plus. Les combats se multiplièrent de jour en jour. Benoît et Jean, ainsi que les autres résistants étaient partis après l'alerte de Londres. Juste avant de quitter le village, ils avaient passé pratiquement tout leur temps à écouter la radio. Lorsque le signal avait enfin été donné par la BBC, à savoir, « Les sanglots longs des violons de l'automne » le jeudi 1er juin, puis de l'indice « Blessent mon cœur d'une langueur monotone » du lundi 5 juin. Ils s'étaient envolés avec une telle dextérité que personne n'aurait pu les dissuader. Ils avaient filé au beau milieu de la nuit, sans en avertir les villageois. En même temps, ils auraient été suicidèrent de le faire, sachant que certains d'entre eux étaient des collabos. 

Lorsque Clémentine était venue frapper à notre porte nous annoncer la nouvelle, nous avions tout de suite compris. Depuis cet instant, on vivait dans la peur, la peur de ne pas les revoir vivants, d'apprendre qu'ils avaient été démasqué et qu'ils étaient tombés dans les mains des allemands. Par chance, le lendemain, on avait appris que le débarquement tant attendu des américains avaient bien eu lieu grâce à l'annonce. Bien sûr, on était tous soulagés car c'était une belle avancée pour la France, mais on continuait à vivre dans la peur. Juliette tenait de le cacher, mais je voyais qu'elle était inquiète pour Jean. Un vrai amour ne s'oublie jamais. 

Clémentine venait souvent à la maison avec ses enfants pour se changer les idées, et également pour occuper Maryse. Depuis le départ de son père, elle ne parlait pas de lui. Mais ses silences en disaient long sur ses pensées. Elle savait juste que je ne pouvais pas répondre à ses questions, je n'en connaissais pas les réponses. 

Quelque part, j'aurais aimé les accompagner, me rendre utile, les aider. Hélas, je savais que je n'allais être qu'un fardeau. Benoît m'avait raconté qu'ils faisaient de plus en plus de trafic de train, qu'ils provoquaient directement les allemands sous leur nez. Il me racontait aussi que c'était encore plus dangereux, car il fallait courir le plus vite possible pour pouvoir y échapper. Généralement, lui supervisait les missions ou se tenait près dans la voiture à partir dans la seconde près. Je n'avais donc vraiment pas ma place à leur coté. 

En règle générale, ces résistants s'en sortaient plutôt bien, ils revenaient presque tous. Certains n'eurent malheureusement pas cette chance, mais c'étaient les risques. Une villageoise avait perdu son mari dans ces conditions. Elle avait été inconsolable. Il lui avait fallu plusieurs mois pour refaire surface. En même temps comment lui en vouloir ?

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now