Chapitre 14

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La vue du sang ne me dérangeait pas mais ce n'était pas le cas de Juliette alors nous nous étions rabattues sur une sorte d'aide portée envers les demandeurs. Nos journées n'étaient pas épuisantes.

La matinée était réservée aux écritures de lettres et à l'envoi de colis aux soldats sans famille. Ensuite, l'après-midi, nous étions à l'hôpital. Notre rôle n'était pas de soigner les blessés, nous n'étions pas infirmières, mais plus de tenir compagnie à ceux en rétablissement, nous les aidions à accepter leurs corps et parfois, même souvent, leurs handicaps.

Effectivement, ils subissaient des amputations de membres ou de la perte de la vue, de l'ouïe, ... Ce n'était pas facile comme travail car il était vrai que nous nous attachions à ces hommes et quelques fois, le lendemain, nous ne les revoyions plus.

Plus le temps passait et plus je savais que j'avais pris la bonne décision concernant la résistance, tuer n'était vraiment pas une chose que je concevais.

Depuis quelques temps, nous parlions de l'arrivée des américains sur notre territoire. Certains criaient déjà « Libération », d'autres étaient plus modérés dans leurs paroles. Moi, je voulais juste que la guerre se finisse au plus vite. N'y avait–il pas eu assez de morts ? Pas assez de deuils ? Ces hommes si intelligents mais si barbares... Pourquoi faire une guerre ? Notre territoire n'était-il pas assez étendu ? Non, juste pour des fiertés mal placées et des envies de revanches si grandes que cela dépassait la raison.

Il était bientôt 14 heures et je me préparais pour ma visite à l'hôpital. Quand je fus arrivée à l'entrée, je me dirigeai vers le 3ème. J'avais pris l'habitude depuis quelques semaines d'aller directement à cet étage.

Je m'étais liée d'amitié avec Eloi, un jeune soldat d'à peine 18 ans qui m'avait touché par sa détermination et son histoire. En effet, il venait d'une famille nombreuse de 11 enfants. Ses parents possédaient une ferme. Son père partait toute la journée dans les champs pour permettre à sa famille de survivre et sa mère était épuisée par toute ses grossesses difficiles et répétées.

Eloi était le 8eme de la fratrie. Il était jugé d'incapable et de bêta. Il ne parvenait pas à lire ni à écrire et manquait sérieusement de confiance en lui. Il s'était réfugié dans le banditisme. Il volait, mentait et manquait de respect aux autres. Beaucoup le jugeaient comme trop insolent et ne voulaient l'engager.

Mais comment lui en vouloir quand on connaissait toute son histoire ? Pour se racheter de sa conduite, il s'était enrôlé dans la guerre, pensant qu'elle serait courte et sans réel danger. Hélas, 2 ans après son départ, elle persistait et qui plus est, lui avait coûté ses deux jambes.

Quand j'arrivai vers son lit, il ouvrit les yeux et me scruta. J'avais mis beaucoup de temps à gagner sa confiance. C'était un jeune homme craintif mais surtout traumatisé par la guerre. Je m'approchai doucement de lui et lui souris.

— Bonjour, comment vas-tu aujourd'hui ?

—Comme si j'avais perdu mes jambes.

—As-tu bien dormi ?

—Oui assez grâce aux somnifères.

—Je t'ai ramené une part de gâteau que Juliette a fait. Elle passera en fin d'après-midi.

— Merci

Je lui donnai le bout et partis vers le premier pour commencer ma visite. Je passai entre 20 et 30 minutes voir plus pour certains blessés, cela dépendait de leurs besoins. Je passais de lits en lits jusqu'à ce que je me fis interrompre par un médecin.

—Lucille vous voilà je vous cherchais. Depuis vos débuts vous faîtes un travail remarquable, vous arrivez à faire redonner goût à la vie à ces blessés.

—Merci monsieur, mais je ne vois pas où vous voulez en venir.

—Et bien, un homme est arrivé depuis peu et je m'inquiète autant de son état physique que mental. Comme vous le savez ces deux-là peuvent être étroitement liés et donc j'aurai besoin de vous pour l'aider. Il refuse de dire un mot.

— Bien sûr monsieur.

—Je savais que je pouvais compter sur vous, si vous voulez bien me suivre.

Je quittai mon poste et suivis le médecin. Nous serpentâmes les lits et arrivâmes vers une couchette un peu reculée des autres. Un homme était étendu, le visage drapé d'un linge immaculé. Je ne distinguais pas nettement ses traits. Le médecin me donna quelques précisions sur ses blessures et partit. Je m'approchai de lui doucement et lui parlai pour ne pas le surprendre et lui indiquer ma présence.

— Bonjour, je suis venue vous tenir compagnie. Vous ne risquez rien avec moi. Je ne suis ni médecin, ni infirmière. Je m'appelle Lucile.

À ces mots, le soldat ouvrit les yeux brusquement. Je sursautai, surprise pas cette soudaine action. Rapidement, je lui souris. Ses yeux m'analysèrent . Mal à l'aise, je tentai une approche.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant