Chapitre 23

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Elle s'arrêta, le corps secoué de spasmes.

— Il a fini par partir, me laissant là, à terre, complément meurtrie, blessée et apeurée. Le lendemain, j'ai appris que tout le campement était parti. J'ai voulu oublier, faire comme si rien ne s'était passé mais j'y arrivais pas. A chaque fois que je fermais les yeux, les images apparaissaient. Chaque voiture arrivant dans la cour, chaque pas, et mon coeur s'emballait... Ce n'était pas vivable.

Ses pleurs et tressaillements reprirent de nouveau mais cessèrent au bout de quelques minutes. Je voyais qu'elle faisait tout pour se contrôler.

— Malgré ça j'ai continué. Je ne pouvais pas faire autrement. Je devais vivre pour mes enfants et pour la ferme. Benoît n'aurait jamais accepté qu'on la perde. Je pense que c'est Henri qui a envoyé cette lettre à Benoît. J'ai appris récemment que Lise avait subi le même sort que moi.

— Écoute, je sais qu'un simple désolé ne suffira pas, mais je compte rester là quelques jours, voir semaines pour que tu te rétablisses le mieux possible.

— Comment veux tu m'aider ? Tu es une fille de la ville. Et puis je ne vis pas dans un palace.

— Tu m'apprendras. Et puis je n'ai pas toujours vécu dans une belle maison, habillée avec de belles tenues. Mon oncle était jadis un agriculteur. J'adorais le voir et l'aider, surtout quand je voulais partir de chez moi. Je viens d'une famille de terriens, mon père a fait fortune et n'a pas voulu de cet héritage, pesant pour lui.

Elle acquiesçât. Nous parlâmes pendant de longues heures de ses enfants. Je voyais dans son regard tout son amour et sa fierté. C'était une maman exemplaire et surtout très aimante. Malgré tout son travail, elle trouvait du temps pour s'occuper d'eux. N'était-ce pas admirable ? Mais malheureusement sa santé en prenait un coup. Certes, elle était musclée mais avait perdu toute sa beauté d'autrefois. Ses cheveux étaient ternes et secs, ses lèvres gercés par le temps, ses yeux sans son brin de malice que j'avais jadis connu, ses joues creuses, son teint blafard,... Elle avait tellement changé.

Tout en continuant de me parler, je pensais aux conséquences de la guerre. Madeleine n'était surement pas la seule dans cet état, des milliers de femmes devaient l'être aussi, peut être même des hommes.

La journée se finit sans grande embuches, nous avions juste terminer de nous occuper des bêtes et nous nous sommes occupées des enfants, d'ailleurs, la jeune Anna ne semble pas me lâcher du regard.

Son regard est aussi expressif qu'un grand livre. Ma mère, avant qu'elle ne meure, m'avait appris à lire le regard des gens, à les analyser et parfois même à communiquer avec eux. Je voyais bien que dans celui de Maryse, se mêlait une grande bataille. Je percevais une grande sagesse, même du haut de ses 8 ans, une déterminisme de grande envergure, mais surtout d'une grande malice. Elle était assez curieuse tout en étant timide. Elle pouvait s'approcher mais se reculer de quelques pas, tel un félin.

Bien sur les autres avaient eux aussi une particularité mais Maryse m'impressionnait.

Il est vrai que cela doit faire bizarre, une femme d'une vingtaine d'années impressionnée par une enfant de 10 ans mais elle avait une telle prestance. J'avais connu des enfants plus extravagants, plus « sauvages »,plus dans l'excès. Elle semblait posée mais avec tout de même un caractère de feu. Elle me bouleversait. Comment un être aussi petit mais si pur pouvait avoir une telle attraction?

Le lendemain, tout s'était passé normalement. Madeleine avait tenue à ce qu'elle s'occupe seule de la ferme. Je devais donc m'occuper des enfants. Je respectais son choix même si je ne le partageais pas entièrement. Je savais qu'elle voulait être seule seulement pour laisser ses sentiments sortir.

— Vous devriez aller la voir. Elle ne va pas bien et je pense que parler pourra peut être l'aider, me parvint une petite voix.

Je regardai autour, surprise d'entendre de telles paroles. Maryse venait de s'approcher et regardait elle aussi par la fenêtre, sa mère assise sur une botte de foin.

— Vous savez, il faut la forcer à parler pour lui faire évacuer tout ça. C'est ce que mon père faisait, reprit-elle.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now