Chapitre 48

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Avec Antoine, nous parlâmes de tout et de rien. Je lui racontai les quelques potins du village sans trop savoir si ça l'intéressait vraiment mais à en juger ses hochements de tête, il m'écoutait. Il me conta des anecdotes sur sa famille, majoritairement drôles pour alléger l'ambiance qui n'était pas au beau fixe avec toutes ses nouvelles arrivées de blessés.

— Je dois vraiment changer de place. Mon voisin, celui qui est à gauche, a des poils dans les oreilles plus grands que ceux de mes jambes et ronfle la nuit, c'est une horreur. Entre ceux qui respirent comme des locomotives, ceux qui recrachent leurs poumons et ceux qui hurlent de douleur, je vous jure que mes nuits sont plus agitées que mes journées. Même les gosses sont moins bruyants, râla-t-il.

— Oh, vous essayez de me faire comprendre que vous, vous êtes aussi sage qu'un saint ? dis-je en soulevant un sourcil.

— Non, bien sûr que non, mais je n'empêche pas mes voisins de dormir, grogna-t-il plus fort pour que les autres entendent.

— Mais oui bien sûr, tu nous casses les pieds avec tes histoires de belle brunes généreuses. Penses à nous, on est estropiés. Tu crois que lorsqu'on sortira, des belles blondes nous attendrons pour assouvir nos besoins ? Non je ne crois pas alors ferme la un peu, protesta un homme sur le lit à droite.

Cette remarque nous fit taire, jetant une atmosphère froide dans la pièce.

— Vous n'allez pas vous laisser faire par un vieux quinquagénaire en manque de compagnie. Racontez-moi encore une de vos histoire avec votre sœur‌, me sollicita Antoine.

— Je vous ai déjà tellement parlé d'elle, je ne vois pas ce que je pourrai vous dire d'autre.

— Alors dites-moi pourquoi vous en parlez au passé.

Je me redressai, perturbée par sa demande si soudaine. Jamais, je n'avais peint cette partie de l'histoire que je gardais si bien cachée au plus profond de mon cœur.

— Ce n'est pas très gai, je ne voudrais pas gâcher l'après midi. Nous pouvons parler de mes jeunes années, tentai-je, espérant échapper aux explications.

— Comme vous le voulez, mais dites-vous qu'il faudra en parler un jour ou l'autre. Ce n'est pas bon de ruminer toute seule. Je crois être la mieux placée pour comprendre. Vous ne croyez pas ?

Après quelques instants à peser le pour et le contre, je me jetai à l'eau, non sans peur d'être noyée par mes émotions.

— Ma sœur s'appelait Suzanne. Elle avait cinq ans de plus que moi. Malgré cet écart, on était très proche. On était les deux seules filles de mon père alors on était bien gâtées. Physiquement, on était semblable, les mêmes cheveux blonds, les mêmes yeux. Mais mentalement, on était opposée. Elle était tellement solaire, les gens tombaient tous sous son charme en un rien de temps. Alors que moi, j'étais plutôt lunaire. Je ne parlais pas, je restais dans mon coin. J'étais jugée comme froide. Je me comportais comme ça parce que c'était la continuité de l'éducation que j'avais reçue, toujours être polie, toujours servir, mais ne jamais parler lorsqu'on ne me donnait pas l'autorisation. Suzanne avait été élevé de cette manière aussi, mais elle avait un goût très prononcé pour désobéir. Je l'ai toujours enviée, de près ou de loin. J'étais jalouse de sa facilité à aller vers les autres, à être autant appréciée, à être autant entourée alors que moi, j'étais seule. Mais un jour, tout a changé. Ce don qu'elle avait s'est transformé en cauchemar.

Flashback:

— Suzanne, je te l'ai répété sans fois, tu ne sors pas de cette maison. Il est déjà tard. Tu dois m'aider. On part pour aller voir ta tante, elle a besoin d'aide avec son bébé, s'impatienta ma mère.

— Je n'ai pas envie d'aller voir Simone. Elle me parle comme si, j'étais une cause perdue et tu sais très bien que je n'aime pas les enfants, vociféra-t-elle l'air menaçant.

— Oh Suzanne, tu me rends folle. Je ne vais certainement pas me laisser avoir cette fois. Tu as déjà annulé bon nombre de tes visites qu'on avait prévues pour aller gambader je ne sais où. Tu sais ce genre de comportement n'est pas tolérable pour une jeune fille de ton âge et de ta condition. Tu devrais être déjà mariée. Sais-tu à quel point les vieilles filles sont critiquées voire moquées ? Si ton père faisait un peu plus sa loi, nous ne serions pas ici, enragea ma mère.

— Si ça te dérange tant, je peux partir ce soir...

— Suzanne, ça suffit, tu viens avec moi un point c'est tout. Alors tu mets ton manteau et ton chapeau et tu arrêtes de faire l'enfant.

Ma sœur finit par capituler. Je fus d'ailleurs surprise par sa vitesse d'exécution. Mais au lieu de partir vers la voiture, elle partit dans le sens opposé vers le centre du village.

— Suzanne ! Suzanne, cria ma mère le souffle coupé.

Malgré les hurlements de ma mère, rien de fit revenir ma sœur, bien décidée à contrer l'autorité.

— Qu'ai-je fait pour avoir une fille pareille ? Je ne comprends pas. Pourquoi n'est-elle pas comme toi ? Tu es si sage, si réservée. Je suis fière de toi, de ne pas succomber à ces pulsions immorales de la jeunesse, me pinça-t-elle les joues affectueusement.

— Que vas -tu dire à ma tante. Elle s'attend à recevoir de l'aide, de toi pour la soutenir mais aussi d'une autre personne pour s'occuper du bébé, et s'il est aussi agité que le précédent, une autre personne ne sera pas de trop, expliquai-je.

— Tu as raison, va te couvrir, tu viens avec moi, répliqua-t-elle sur un ton résolu.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now