Chapitre 30

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Je fus rentrée très rapidement avec Benoît chez Juliette. J'avais préféré choisir ce lieu pour éviter une autre confrontation avec Jean.

Je n'avais pas réussi à oublier notre altercation. Cela m'était resté en travers de la gorge. Autrefois, je l'avais admiré pour son courage, sa force de caractère mais maintenant, il n'était plus qu'un être insignifiant.

Sa façon de traiter Juliette, de la tromper, de l'humilier me révulsait . Bien que cet événement s'était passé il y a très longtemps, j'avais vu dans les yeux de mon amie, toute la peine et la détresse. Elle s'était privée d'aimer à nouveau de peur de revivre un tel cauchemar.

À la fin de notre conversation, elle m'avait lâché que son plus grand rêve était d'avoir des enfants, de déployer l'amour maternel qu'elle pouvait avoir en elle et qui ne demandait que d'éclore.

La vie est parfois curieuse, certaines femmes donneraient tout pour ne pas tomber enceintes mais le vivent alors que d'autres en sont privées. Quelle ironie !

Benoît me tira de mes pensées en toussant. Je voyais dans son regard qu'il voulait à tout prix que je lui raconte mon voyage, que je lui parle de Madeleine et de ses enfants.

Je lui fis donc part de mon séjour, non sans tristesse mais avec aussi de l'appréhension.

Il était du genre spontané, la moindre émotion en lui pouvait provoquer un naufrage.

Il m'écoutait, buvait même mes paroles. Le fait de ne pas avoir été voir sa femme lui en avait coûté et ce bien plus que je ne l'avais imaginé.

— Merci Lucile ! Tu as été d'un très grande aide. Sans toi, je pense que Madeleine aurait pu faire une bêtise, sourit-il tristement.

— Tu sais, c'est normal, je la considère comme une amie, j'aurais fait n'importe quoi pour elle.

— Ce que tu m'as dit sur Anna ne m'étonne pas. Je ne sais pas de qui elle tient, mais elle est très mature pour son âge. Je sais que la guerre n'arrange rien et a sans doute poussé de nombreux enfants à grandir plus vite que prévu mais elle, c'est comme si elle connaissait tout de la vie du haut de son jeune âge, me disait-il l'air songeur.

— J'ai quelque chose qui me préoccupe beaucoup et je me dis que ça bouleverserait beaucoup de choses mais ce n'est peut être pas plus mal, me prononçais-je.

— Je t'écoute.

— Et bien, à force de vivre dans ta ferme, j'ai découvert qu'Anna était dotée d'une très grande perspicacité et ouverture d'esprit. Elle est à la fois intelligente et spontanée, mais aussi très têtue, ris-je.

— Oui, elle le tient de sa mère, me suivit-il.

— Je pense qu'elle pourrait encore plus développer son sens de l'observation et s'en servir, avec un peu de travail, pour mener de grandes choses. Elle peut devenir une grande personne mais il lui faut un environnement propice. Sauf que je doute que votre ferme fasse l'affaire.

— Pardon ?

— Écoute, ne le prends pas mal, mais Anna mérite encore plus que les autres enfants d'avoir une bonne éducation. Elle a des capacités et même des facilités qui pourront l'amener au sommet. De nos jours, on ne peut plus compter sur un mari pour avoir un bon avenir. Ceux partis ne sont pas assurés de revenir et ceux qui auront cette chance ne seront plus jamais les mêmes. Je ne veux pas qu'Anna devienne une femme éteinte alors qu'elle pourrait être indépendante et autonome.

— Qu'est ce que tu proposes ?

— Que tu la fasse venir ici. Lorsque j'étais petite, un instituteur est venu me faire mes leçons à la maison. J'ai progressé beaucoup plus rapidement que les enfants qui allaient à l'école du village. De plus, j'ai déjà donné des cours, je saurai m'en occuper afin de lui apporter du savoir.

— Tu veux que je lui fasse quitter Bussy pour...

— Je veux lui procurer une bonne éducation. Tu n'as qu'une ferme, tu ne peux pas promettre à tous tes enfants une bonne vie. De plus, tu ne peux pas la leur léguer à tous. Ce qui ne pourront l'avoir seront sans rien. Je te propose en tant qu'amie de prendre ta fille en charge pour qu'elle ait le meilleur avenir possible. Si cela marche bien, je pourrai m'occuper des autres.

— Mais et Madeleine ? Elle n'acceptera jamais de laisser partir sa fille.

— Madeleine a une montagne de choses à faire la journée. Quand elle rentre à la maison, elle est envahie par une ordre d'enfant qui la réclame. Elle n'a ni l'énergie, ni la santé pour s'occuper de chacun. Ce que je te propose, c'est juste pour vous aider.

— Je n'aurais jamais pensé qu'un bourrin comme moi puisse faire une enfant aussi érudite, disait-il incrédule.

— Tu n'es pas obligé de me donner ta réponse maintenant. Il faut que tu réfléchisse et que tu en parles avec Madeleine. Je sais que c'est une grande décision mais je pense que ça en vaut la peine.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now