Chapitre 63

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Juliette s'assit à côté de moi avec une tasse de thé. Depuis que j'étais arrivée chez elle, j'avais l'impression de ne boire que ça.

— Lucile, je sais que ce n'est pas une situation très facile mais tu dois le faire, pour lui. Depuis que tu le vois, je te sens plus épanouie. Je suis conscience que tu ne le vois qu'en ami, et je ne te forcerai jamais à aller plus loin avec lui. En revanche, tu n'as pas d'autre choix que de lui venir en aide. Tu t'en voudrais si tu ne le faisais pas.

Je ne disais rien, j'étais trop dans mes pensées pour effectuer le moindre geste ou dire le moindre mot.

— Si tu veux, tu peux en parler avec Benoît pour lui demander un autre avis.

— Benoît ? Il était à moitié mort il y a 3 jours, je ne vais pas l'embêter avec mes problèmes.

— Tu sais, il y a ce petit quelque chose qui me turlupine toujours à différents sujets de ta vie, lâcha-t-elle, songeuse.

— Ah oui ? m'étonnai-je.

— Oui, sur certains sujets, tu te renfermes ou tu deviens une tout autre personne.

— Lesquels ?

— Sur ta vie d'avant, avant ton mariage, ta vie avec Gaston, ou même avec Bruno. Ça fait des années que tu ne l'as pas vu, tu viens tout juste de reprendre contact avec lui, et tu vis déjà en fonction de lui alors que tu ne l'as connu que quelques semaines. Je trouve ça assez perturbant. J'ai l'impression que tu te freines alors qu'il n'y a pas de raison.

— Oui mais...

— Écoute, je ne te juge pas, moi-même, j'ai fait des choix qui n'étaient pas très judicieux. J'aurais pu vivre une tout autre vie, peut-être me marier, avoir des enfants, mais non, j'ai choisi de rester dans la même ville que mon premier amour, alors qu'il était marié à une autre et qu'il avait des enfants. Sans te mentir, une partie de moi regrette amèrement de ne pas avoir croqué la vie à pleines dents. Ne fais pas les mêmes erreurs. Ne te prives pas, si tu as envie de faire certaines choses alors fais les avant qu'il ne soit trop tard, me réveilla Juliette.

— Mais tu ne sais même pas ce que j'ai vécu.

— C'est vrai, peut-être que si tu me racontais, je pourrais te donner des conseils plus judicieux pour te défaire de ce passé si abrasif. Mais personne ne pourra t'aider si tu ne le veux pas. C'est un pas qu'il faut que tu fasses toi-même. Et si ce n'est pas avec moi, ce n'est pas grave, ce sera avec une autre personne.

Je restai silencieuse, analysant de près ce qu'elle venait de me dire. Avait-elle raison ? Que ferais-je si Bruno ne rentrait pas? Pourquoi restais-je encore dans ce maudit moule dans lequel j'avais été élevée ? J'étais adulte, je pouvais prendre mes propres décisions, sans avoir peur des autres.

— Très bien, on commence par le début ? rétorquai-je décidée à faire un pas vers la libération de mes démons.

— Par ce qui te semble judicieux, répondit Juliette.

Mon premier traumatisme était la perte de ma sœur. Ça avait été l'élément déclencheur de ma peur, ou du moins, ce qui l'a renforcée.

FLASHBACK:

Cela faisait maintenant trois heures que nos parents étaient partis travailler. Avec ma sœur, nous étions en vacances. J'adorais cette période, où le soleil caressait notre peau laiteuse, où il brillait de mille feux. Tout le monde était joyeux, riait aux éclats, sortait dans la soirée pour profiter des couchers de soleil avec ses mille couleurs, accompagné de la bonne ambiance de Bussy. J'avais tenu ma parole. J'avais surveillé nuit et jour Suzanne pour éviter qu'elle ne fasse des bêtises. Ce jour-là, il devait être un peu plus de dix heures. Ma sœur avait toujours été une lève tard, tout le contraire de moi. J'avais décidé de moins la traquer, je pensais que les risques s'étaient envolés, que j'avais réussi à lui redonner goût à la vie.

Hélas, je me trompais lourdement.

Après avoir fini mon livre, je m'étais décidée à aller la voir. Nous avions pour objectif de ramasser toutes les bonnes pommes dans le verger pour faire une compote et les vendre sur le marché pour se faire un peu d'argent. Passé une certaine heure, la température était beaucoup trop chaude pour aller risquer une insolation. J'avais toujours été très prudente, peut-être même un peu trop.

Je m'étais donc levée de mon canapé et j'avais monté les marches deux par deux, pressée d'aller dans le jardin et de manger des fruits.

— Suzanne, réveilles toi. Il est dix heures passé, c'est pas comme ça que tu vas gagner de l'argent, avais-je grogné dans le couloir pour la réveiller.

J'avais continué mon chemin et j'avais frappé à la porte de sa chambre. Elle m'avait toujours ordonné de le faire. À chaque fois que j'oubliais, elle m'aboyait dessus comme un chien enragé. Sans réponse, j'avais actionné la poignée de sa porte.

— Allez Suzanne lève toi, tu as assez....

Je m'étais coupée en pleine phrase, les yeux bloqués sur la pire scène au monde. J'étais restée plantée à l'entrée de sa chambre sans pouvoir bouger.

Non, non, ce n'était pas possible.

Pas ma Suzanne.

Et puis, j'avais fini par reprendre mes esprits, j'avais compris que si, c'était bien ma Suzanne, pendue à une corde.

J'avais hurlé de toutes mes forces et mes larmes n'avaient pas tardé à se manifester non plus. J'avais hurlé, encore et encore, pleurant à chaudes larmes, le corps parcouru de spasmes.

— Suzanne ! Suzanne, avais-je crié comme si j'allais, comme par magie, pouvoir la réveiller.

Mais il était déjà trop tard, elle était déjà partie depuis bien longtemps.

J'avais perdu une des personnes que j'aimais le plus au monde.

J'avais perdu Suzanne.

J'avais perdu ma sœur.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now