Chapitre 20

262 15 2
                                    

Arrivée devant le lieu-dit, mon coeur tambourinait fortement dans ma poitrine. Je ne savais quoi lui dire.

A vrai dire, je n'avais pas vraiment réfléchi à la manière dont j'allais aborder les choses, ni comment me comporter face à elle. Je pris mon courage à deux mains et tapai trois coups forts à la porte.

Mon père m'avait appris à m'annoncer comme ça, c'était une manière à lui de me reconnaître. Je n'avais jamais perdu cette habitude. C'était ma façon à moi de me souvenir de lui.

La porte finit par s'ouvrir et enfin je l'aperçus depuis de longs mois, Madeleine.

Je pris le temps de l'analyser, tout comme elle d'ailleurs. Je regardai ses cheveux, toujours aussi courts, ses yeux pers, son nez aquilin. Rien en elle n'avait changé, du moins ce n'était pas apparent aux premiers abords.

— Bonsoir, lançai-je sur la réserve.

— Bonsoir, ça fait longtemps. Je ne m'attendais pas à avoir de la visite aussi tard, surtout venant de vous.

— Je sais, je suis désolée de vous importuner.

— Ce n'est rien. Les enfants sont déjà couché. J'ai l'habitude veiller tard. Voulez vous entrer ?

Elle se décala et me laissa pénétrer dans l'habitation. L'intérieur n'avait pas changé non plus. J'avais l'impression de remonter le temps et de n'être jamais partie.

Madeleine m'invita à m'asseoir et me servit une tisane.

— Pourquoi êtes-vous là ? La dernière fois c'était il y a deux ans non ? Avec Benoît.

— Oui nous sommes partis vers la zone libre, le temps que cela se calme. Nous devions rentrer jusqu'à ce que les autorités allemandes oublient un peu Benoît mais nous nous sommes liés d'affection pour les gens du village où nous étions et nous sommes restés, le temps aussi que la guerre se finisse.

— Vous pensez que la guerre va se finir ? J'ai l'impression qu'elle a débuté il y a déjà une éternité. Si vous voulez mon avis, elle est loin d'être finie. Certes les américains viennent en renfort mais cela est-il assez ? La fureur des allemands est tellement forte qu'ils ne vont pas lâcher si facilement qu'importe les pertes. Et ne vous en faites pas, je sais ce que vous faisiez là-bas. J'ai des nouvelles régulières de Benoît, on s'envoie quelques lettres de temps à autre, histoire de se tenir au courant.

— Je n'en savais rien. Benoît ne parle pas beaucoup et c'est vrai qu'il y a quelques temps, nous avons pris des chemins différents. Mais vous deviez le savoir aussi.

— Oui. Je paris que vous êtes au courant de ce qu'il m'est arrivé. Sinon vous ne seriez pas là. Qui vous l'a dit ? Une personne du village, le nouveau maire ?

— Non je l'ai appris de Benoît.

Benoît ?

— Oui il a reçu une lettre anonyme et le fermier qui le loge est venu me trouver et m'a tout révélé. Mais sachez que ce n'est pas lui qui m'envoie, je suis venue seule, de mon libre arbitre. Je pensais qu'il vous fallait peut être de l'aide ou du réconfort. Bien sur je ne vous oblige en rien. Si ma présence vous importune, je peux repartir.

— Non, ne vous inquiétez pas, au contraire. Avoir un peu de présence ne me fera pas de mal, surtout si elle est féminine. Comment Benoît a réagit ?

— Il...

— Non ne me dites rien. Je ne suis pas encore prête à entendre ça. Allons nous coucher. Vous devez être exténuée de votre voyage. Voulez vous dormir aussi ou avez vous prévu de dormir chez votre belle-mère ? Celle-ci a d'ailleurs bien changé.

— Ma belle-mère n'est pas au courant de ma venue. Je crois d'ailleurs qu'elle m'a définitivement rayé de sa vie.

Elle me montra ma chambre et partit se coucher. Une certaine distance s'était imposée entre nous. Une distance qui n'existait pas avant, avant tout.

Elle essayait d'être forte mais était, comme toutes ces femmes ayant reçu le même sort, brisée par les allemands, par les hommes et par la vie. Comment les aider, comment les faire reprendre goût à la vie ?

Demain est un autre jour, la nuit porte conseil.

Le lendemain, quand je descendis, Madeleine était déjà réveillée et s'attelait à sa tâche auprès des bêtes. On voyait qu'elle s'y mettait corps et âme. Son corps était sculpté et musclé grâce ou à cause de sa charge de travail quotidienne.

Il y a deux ans, elle n'était pas comme ça. Elle venait de mettre au monde un énième enfant, et son corps subissait les conséquences d'une grossesse de plus.

Mais il est vrai qu'être une femme seule tenant une ferme et devant assurer ses besoins et ceux de ses enfants n'était pas chose facile. Son corps avait pris du muscle et perdu toutes les traces d'une précédente grossesse.

Labourer les champs devait être la cause de sa transformation. Benoît se chargeait de ces tâches avant et malheureusement, cela devait avoir attiré cette ordure d'allemand.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now