Chapitre 34

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Je sortis en trombe de la maison, bien décidée à demander des comptes aux fautifs. À ce moment là, je ne ressentais aucune tristesse, la colère avait envahi tout mon être. Je n'avais aucun pouvoir sur mon état. C'était comme si je n'étais devenue que spectatrice de ma vie.

Je me dirigeai machinalement vers cette harpie de Claude Villenoy. Cette femme était d'une méchanceté inouïe. Elle ne m'inspirait que haine et dégoût cet instant précis.

J'entrai dans son jardin, le pas déterminé. Ayant sans doute entendu des bruits de pas assurés, elle ouvrit la porte.

— Lucile, que me vaut ce plaisir soudain, me dit-elle ayant un sourire en coin.

— Ne faites pas votre minorée, je sais ce que vous avez fait. Comment, comment arrivez vous à vous regarder encore dans le miroir après la cruauté de vos faits, attaquai-je.

— Oh ! Vous voulez sans doute parler du moment où j'ai permis à de loyaux français de se débarrasser de l'ennemi qui se pavanait dans les lits de l'hôpital, alors qu'ils sont fait pour sauver des bons soldats français.

— Alors vous êtes fière d'être à l'origine d'un assassinat de sang froid.

— Le défendez-vous Lucile ? Dois-je vous rappelez que nous sommes en guerre contre des monstres sans coeurs qui tuent nos fidèles soldats ? Mais de quel côté êtes vous réellement?

— Ces monstres comme vous dites, se sont avant tout des hommes qui n'obéissent qu'à des ordres donnés certes par un être cruel mais...

— Oh ! Vous voulez nous faire croire, qu'ils sont tous des saints, qu'ils sont nos égaux. Allez dire ça à des familles qui ont perdu leurs maris, leurs enfants, leurs proches. Vous vous n'avez perdu personne, ça se voit.

— Au lieu de me faire des leçons de morales, croyez-vous que le camp adverse ne souffre pas, des familles ne pleurent pas des êtres chers ? Vous supposez réellement que nous sommes les seuls à subir des pertes ?

— Vous savez, Lucile, je vous plaignais énormément, mais juste pendant un temps car je présumais que vous aviez perdu un mari et que sa perte avait été si dure que vous vouliez vous battre pour libérer la France, pour sa mémoire. Mais il n'en est rien. J'ai fait des recherches sur vous et sur Benoît. J'ai appris des choses très intéressantes, comme par exemple le fait que vous étiez une pute à Bosch, que vous fricotiez avec l'ennemi dans la maison de votre mari, que la femme de Benoît s'est faite violée par un allemand. Excusez-moi mais quand je vois ce genre de situation, ça me conforte dans l'idée que le monde est peuplé de raclures en tout genre. Vous faites la fille de bonne famille, qui essaye d'aider tout le monde, mais vous n'êtes rien qu'une sale...

— Si j'étais vous, je ne continuerais pas sur cette voie-ci. Elle n'apporte rien de bon, à part salir un langage d'une femme, la coupe Benoît.

Il nous regarda le regard sévère, nous jugeant toute les deux. Je vis derrière lui Juliette, se faisant toute petite.

Bien sûr, elle avait dû le prévenir pour m'empêcher de faire une bêtise, une belle bêtise.

— En tant qu'homme, je me dois d'arrêter cette conversation qui n'a ni queue ni tête. Cela nous vous apportera rien de vous crêper le chignon. Lucile, je te ramène chez toi.

Il m'empoigna par le bras avec une telle force que je ne pus me rebeller.

Nous fîmes quelques pas, cherchant à être le plus naturel possible mais avec un certain empressement. Le trajet fut court et malaisant. Je savais que des montagnes de questions se créaient dans l'esprit de Benoît mais il ne parlait pas. Il se contentait d'avancer. Juliette marchait elle aussi, essayant de suivre le pas rapide du résistant.

Une fois attablée à la cuisine, Benoît posa pour la première fois son regard sur moi. Je pouvais y lire de la déception, de la rancoeur, du jugement et tout un tas d'autre sentiments bien négatifs.

— Qu'est-ce qu'il t'a pris d'aller lui parler ? Me demande t-il.

— Je voulais régler mes comptes.

— Ah oui ? Et ne t'a-t-on jamais appris qu'il valait mieux le faire dans un endroit à l'abris des regards, pour éviter que les gens parlent après et qu'il y a un monceau de rumeurs à ton sujet ?

— Je le voulais mais la colère à pris le dessus sur moi, je n'ai pas pu me contenir.

— Je te reconnais plus Lucile. Il y a quelques jours, tu me disais que tu pouvais apporter à ma fille une vie meilleure avec une bonne éducation et là tu me prouves juste qu'elle est mieux avec sa mère qui est peut être absente mais elle ne lui apprend pas qu'on peut régler ses comptes en pleine rue en tenant de tels propos.

— Tu m'as entendue ?

— Évidemment tout le bourg t'a entendu. Félicitations avec ton comportement tu viens de prouver à ce village que tu t'es entichée d'un allemand.

— Tu sais tout comme moi, que Bruno n'est pas un ennemi. Il nous a aidé à sortir de Bussy.

— C'est même pas ça le sujet, tu disjonctes complètement. Juliette tu devrais la ramener dans sa chambre, fais en sorte qu'elle se repose, commanda-t-il en se relevant.

Il nous laissa seules Juliette et moi. L'ambiance était froide. Le malaise était présent.

Je parie qu'elle ne savait pas quoi me dire car elle s'en voulait d'être aller chercher Benoît. Quant à moi je m'en voulais de m'être emportée de la sorte. Je devais avoir l'air d'une réelle folle.

Pour couper court à cette atmosphère solennelle, je me levai et allai la prendre dans mes bras en lui chuchotant un "excuse moi ».

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now