Chapitre 61

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Je le regardai ébahie, sans vraiment savoir quoi lui répondre. Je n'avais pas pensé à cette possibilité. Je n'avais jamais pu évoquer cette partie de ma vie qui avait forgé mon caractère et ma façon de me comporter. Antoine, lui, avait tout compris, c'était d'ailleurs le premier à me percer à jour. Son regard était si vif que cela ne m'étonnait même pas.

— Écoutez, c'est très gentil, mais je ne me sens pas prête à évoquer mon passé, en tout cas pas tout de suite.

— C'est à vous de voir. Si vous changez d'avis, vous savez où me trouver. Je ne risque pas de bouger avant un moment, rit-il.

Nous parlâmes, par la suite, de tout et de rien. Il avait d'ailleurs essayé à de nombreuses reprises de rafraîchir l'ambiance avec des petites blagues dont lui seul avait le secret, mais rien n'y faisait. Une part de moi pensait toujours à ces paroles si fortes échangées quelques minutes plus tôt. Cependant, je faisais tout pour ne pas qu'il remarque mes moments de faiblesses en lui jetant des regards et des sourires, sans trop en faire non plus. Je ne voulais pas qu'il se fasse des idées.

— Eh bien Lucile, vous ai-je dit que ma mère m'avait écrit et qu'elle voulait me rendre visite ? m'annonça-t-il d'un ton léger.

— Oh vous m'en voyez ravie.

— Elle doit venir dans trois jours. Je suis heureux bien sûr, mais il y a quelque chose qui me chagrine.

— Oui ?

— Et bien, je ne m'attendais pas à ce qu'elle décide de venir, sinon, je n'aurai jamais inventé cette supercherie. Dans tous les cas, c'est trop tard pour faire marche arrière et elle est déterminée à rencontrer l'élue de mon cœur, dit-il mal à l'aise.

— L'élue de votre cœur ? C'est une position bien difficile à tenir, ris-je.

— Oui sans doute, mais comme vous devez bien me connaître, vous avez dû comprendre que vu ma position, je ne reçois que très rarement des visites de jolies femmes à part une. Ne comptez pas les infirmières, elles sont aussi revêches qu'un vieux édenté.

— Pourquoi êtes-vous si penaud, ce n'est pas un drame. Dites à cette jeune fille de venir dans trois jours et tout ira bien, le rassurai-je.

— C'est sûr mais je ne crois pas que la fille en question soit véritablement au fait de mes sentiments à son égard. Je lui ai peut-être omis cette précision.

— Reste-t-elle longtemps à vos côtés quand elle vient ?

— Oui c'est d'ailleurs fort agréable.

— Écoutez, je connais toutes les femmes qui ont le même travail que moi et je suis la seule à m'attarder auprès des soldats, ça ne peut donc pas être une d'entre elle. C'est forcément une personne extérieure, peut-être une habitante du village voisin qui fait le déplacement exprès pour vous. C'est une évidence, elle est intéressée par vous aussi, souriais-je.

— Vous ne comprenez donc pas, murmura-t-il.

— Bien sur que si, c'est seulement vous qui ne voyez pas la simplicité....

— C'est vous, me coupa-t-il.

—Pardon ? lui répondis-je sans vraiment comprendre ce qu'il se passait.

— C'est vous la femme dont je suis tombé amoureux, depuis votre première visite. De jours en jours, mes sentiments pour vous ont décuplés de manière si brutale, que je n'en revenais pas. J'ai essayé de me restreindre, de faire abstraction de mes battements de cœur qui s'emballaient quand vous étiez assise au bord de mon lit. J'ai tout essayé, mais rien n'y fait. Je ne peux que m'y résoudre.

J'écoutais sa déclaration sans vraiment la comprendre. Je n'en revenais pas. Jamais, je n'aurai pu penser que cet homme puisse tomber sous mon charme.

Il ne devait pas voir mon état, puisqu'il continuait à toute vitesse à déclarer son amour, comme s'il avait peur que je ne le coupe. Mais c'était plus fort que moi, je ne pouvais le laisser continuer. Je ne pouvais pas profiter de lui à ce point.

—Antoine, s'il vous plaît, arrêtez-vous. Je...

— Non, il faut que ça sorte. J'ai rêvé tellement de fois de vous l'annoncer. Certes, ce n'est pas la meilleure des manières, mais je n'en pouvais plus. S'il vous plaît, comprenez-moi, m'implora-t-il.

— Je suis affreusement gênée. Je ne pensais pas que cette situation allait se passer. Si j'avais su, je n'aurais pas continué. Sachez que je n'ai jamais voulu vous donner ce mal.

— Mais ce n'est pas une souffrance de vous aimer. Au contraire, c'est le meilleur traitement au monde. Cet amour m'a permis d'aller de l'avant, de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour aller mieux et guérir. Vous avez participé à ce rétablissement. Quand bien même ces sentiments ne sont pas réciproques, jamais je ne les regretterai. Même si on ne finit pas ensemble, je ne vous en voudrai pas, loin de là, je ne vous haïrai pas non plus.

— Je suis touchée par cette annonce, mais, vous savez, j'ai...

— Vous avez Bruno, oui je sais et je comprends. C'est d'ailleurs ça qui m'a plu chez vous, vous êtes fidèle, loyale, emphatique, avec un grand sens du devoir. Mais, au vu des évènements, vous devez comprendre que j'aurai besoin d'un service.

— Quel est-il ?

— Pour ma mère, dans trois jours, j'ai terriblement besoin de vous.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Lui faire croire ce genre de chose ce n'est pas bien.

— Oui c'est vrai, mais elle sera doublement peinée si elle apprend que je lui ai menti. On trouvera une solution pour lui dire que c'est fini. Que nous ne nous aimons plus, ou quelque chose comme cela. Ne me lâchez pas s'il vous plaît. Après, je vous laisserai partir, c'est promis.

Bien sûr, j'étais tiraillée entre mon envie de l'aider, mais d'un autre j'étais très mal à l'aise de devoir mentir et participer à ce genre chose auprès de sa mère. Elle devait être si heureuse de le savoir en vie et amoureux qui plus est.

— Je vais y réfléchir, donnez-moi 24 heures et je vous donnerai ma réponse. J'ai besoin de prendre l'air. Je reviendrai demain, bonne journée.

Je partis sans lui laisser la moindre de chance d'en placer une. J'avais surtout peur qu'il me fasse prendre une décision que je regretterai plus tard. J'avais grandement besoin des conseils de Juliette.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now