Chapitre 75

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Je vis des couples se former, des disputes, des rancœurs exploser par la simple cause de l'alcool, des rapprochements, des mains sur les genoux, des bras enlaçant la bien aimée. Mais ce qui m'attirait le plus, c'était les nouveaux mariés qui ne se lâchaient pas d'un instant, s'embrassant, se câlinant, s'entourant de tendresse. Oui, ils donnaient vraiment envie. Ils étaient heureux eux, des époux heureux et surtout amoureux. Beaucoup n'avaient pas la chance de, ne serait-ce vivre le quart de leur passion.

Je les regardai tous, un par un, assise sur ce rocher. Ils avaient l'air tellement heureux, tellement épanouis. J'espérai l'être aussi. Néanmoins, trop de choses me rappellerait la réalité, ce qui nous attendait une fois l'excitation redescendue. Je m'en voulais de ne pas partager totalement leur état d'esprit, mais je n'arrivais pas à me contrôler. Mon esprit ne se reposait jamais malheureusement. 

Je repensais à toutes ces années, passées ici, qui ont à la fois gonflé mon cœur de bonheur, et également englouties dans la profondeur des abîmes que la guerre nous procurait. Maintenant qu'Antoine m'avait quitté, j'avais l'impression de revenir au point de départ. Cela m'arrivait à chaque départ d'une personne que j'appréciais. Il me fallait juste un temps pour que je m'en remette et après, je reprendrai le cours de ma vie.

— Que fais-tu toute seule ? Pourquoi n'es-tu pas avec les autres ? Me surprit Benoît.

— J'avais besoin d'espace.

— Tout cet élan d'amour me donne la nausée, ronchonna-t-il.

— Je me disais aussi que tu étais trop ours pour te joindre à eux, me moquai-je.

— Peut-être après tout, on ne peut pas dire que je sois le plus romantique des hommes.

— Tu ne l'es peut-être pas mais ça convient à Madeleine, alors c'est l'essentiel, le rassurai-je.

— J'ai voulu retrouver Maryse pour l'éloigner de ce gamin, mais il semble que je suis arrivée trop tard. Ils étaient déjà en train de roucouler. Je vais les laisser pour ce soir. Demain est un autre jour et j'en profiterai pour le remettre en place.

— Ce ne sont que des enfants, ils ne feront rien de mal.

— C'est ce que tu dis, disait-il en fronçant le front.

— Ne pervertis pas tout. Ils ne sont pas adolescents. Quand ils le seront, là tu pourra t'inquiéter.

— Oh merci, grâce à toi, je viens de repousser de quelques années la remontée de bretelle que je réserve à ce petit, siffla-t-il entre ses dents.

On resta comme ça pendant de longues minutes, à ne pas savoir comment appréhender les choses, quoi penser, que faire.

— Ça ne nous rajeunit pas d'assister à de tels mariage. On a juste l'impression d'être des vieux croutons qui délaissent l'autre pour des broutilles, se lamenta Benoît.

— C'est très joyeux !

— Je ne rigole pas. Regarde-nous, nous sommes tous les deux mariés vivant à des centaines voir des milliers de kilomètres d'écart de celui et celle qui sont censés partager le reste de nos vies, jusqu'à ce que la mort nous sépare. C'est des conneries. Moi, je suis séparé de Madeleine depuis plus de deux ans et toi, depuis le début de la guerre. Comment veux-tu te satisfaire de la claque que les mariages nous donnent ? Ce n'est pas possible.

— Tu ne peux pas voir la vie tout en noir ou tout en blanc. Ce n'est pas aussi catégorique. Tu es parti de Bussy car ta vie était en jeu, si tu restais, tu signais ton arrêt de mort. Je suis sûre que Madeleine aurait voulu t'accompagner et l'aurait certainement fait si elle n'avait pas à gérer la ferme et les enfants. Ce n'est pas une fatalité. Quand la guerre s'arrêtera, tu la retrouveras et vous serez à nouveau heureux. Mais moi...

— Mais toi, c'est différent, me coupa-t-il.

— Entre Gaston et moi, il n'y avait pas d'amour, même pas un soupçon. On ne peut pas comparer un mariage d'amour et un autre de raison. On était trop différent pour s'entendre et pour tomber amoureux. Cela n'aurait jamais marché de toute façon.

— Que comptes-tu faire quand tu rentreras et si lui aussi ?

— Je ne sais pas si je rentrerai un jour à Bussy, rien ne m'y rattache. Je n'y ai plus ma place. Et puis, pour Gaston, on devra prendre nos dispositions. On divorcera. Enfin, il faudra d'abord qu'il soit encore vivant pour ça.

— Et Bruno ?

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now