Chapitre 32

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Mon père me prit par le bras et me fit descendre par les escaliers. Mon regard parcourut les murs de chaque pièce dans lesquelles je passais, en me remémorant chaque souvenir dont les cris des enfants, les rires cristallins, les mots d'amours lâchés avec tendresse.

Puis, nous passâmes par l'embrasure de la porte, pour moi, le coeur serré, redoutant le futur.

J'avais la chance d'habiter proche de l'église, à quelques minutes à peine.

Dehors, des villageois attendaient ma venue et faisaient une sorte de haie d'honneur. Ils me regardaient avancer au bras de mon père avec fierté.

Les mariages se déroulaient la plupart du temps comme cela. Tous les habitants venaient nous saluer de près ou de loin. C'était une sorte de coutume.

De plus, je me mariais avec un Angellier, célèbre propriétaire terrien qui possédait bon nombre de fermes et autres bâtisses. Par conséquent, tout le monde essayait de s'attirer ses bonnes grâce afin d'être un peu privilégié.

Quand ils ont appris nos fiançailles, certains ont d'ailleurs été très déçus, car ils espéraient secrètement conclure un pacte avec une de leurs filles.

Mes pas m'emmenèrent devant l'église sans que je ne les contrôlent véritablement. Celle-ci avait été décorée avec beaucoup de goût. C'était simple et épuré.

Le chemin pour l'autel m'a paru durer une éternité. Je regardais, voir même fixais, les personnes présentes revêtues de leurs plus belles parures, l'air hautain et nonchalant.

Ma famille, que disais-je, ce qu'il m'en restait, n'avait pas fait le déplacement, soit par manque de temps soit par refus. En effet, beaucoup d'entre eux ont participé à la Première Guerre Mondiale. À cause de certaines histoires, nous avions dû couper les ponts.

Ainsi, assise sur les bancs, seule la lignée de Gaston s'y trouvait. Ils me jugeaient et en prenaient un malin plaisir.

Madame Angellier, elle aussi, me considéra. Cependant, je sentais également une certaine fierté dans son regard, mais seulement lorsque celui-ci se posait sur son fils, la chair de sa chair.

— Voilà ma puce, tu y es, je suis si fier de toi. N'oublie pas de sourire, c'est ton mariage, tu ne vivras ce jour qu'une fois, me murmura mon père, les yeux embués de larmes.

— Merci père, tentai-je de sourire.

Il me laissa près de mon futur époux. J'essayai d'ailleurs de capter son regard pour me rassurer, mais en vain. Celui-ci l'évita du mieux qu'il pu.

La cérémonie commença solennellement. Le prêtre fit si rapidement sa messe de mariage que j'avais eu l'impression qu'à peine quelques secondes après, les vœux furent prononcés. Oui, j'avais réussi à me perdre dans mes pensées le jour de mon mariage. C'était un comble.

L'échange des alliances fut bref, sans émotion de part et d'autre. Nous ne nous regardions pas, pressés d'en être sorti. De même pour le baiser, sans réelle passion, ni sentiment, tout cela n'était qu'illusoire, que du paraître pour les bonnes moeurs. En même temps, comment embrasser amoureusement lorsqu'on ne connaît pas la personne avec qui on va passer le reste de sa vie. C'est vrai, on ne s'était vu que trois jours avant ce fameux mariage.

Nous descendions les marches du lieu-saint, faisions mine de nager dans le bonheur. Des pétales de fleurs furent jetées à notre sortie et nous fûmes acclamés par des hurlements joie.

Gaston me prit la main autoritairement et me la serra fort. Sa poigne puissante et féroce ne me laissant aucun éventuel mouvement. À chaque fois que je faisais un pas de plus que lui, il me ramenait brusquement en arrière, mais toujours discrètement pour ne pas attirer l'oeil. Il me le fit une bonne dizaine de fois et me pressa pour que je sourisse plus.

Cela ce voyait-il tellement que je n'étais pas heureuse ?

Une fois rentrée dans ma nouvelle demeure, les domestiques servirent le champagne aux seuls membres présents dans le foyer, ma belle-mère, mon mari et moi-même.

Les autres membres n'avaient pas eu l'invitation.

— Bien Lucille, comme la cérémonie est terminée, vous pouvez vous changer. Une telle robe n'est pas faite pour être porter plus que de raison. Assurez-vous de bien la pendre, votre femme de chambre ira la ranger au coffre. Dépêchez-vous, nous avons beaucoup de choses à traiter par la suite. Une nouvelle vie s'offre à vous. Gaston s'occupe des affaires familiales, mais je veux que vous soyez au courant de la situation, même si elles ne vous concernent en aucun cas.

Elle me l'avait dit sur ton si tranchant et dictatorial, que ma peau s'était recouverte de frissons.

Même le jour de mon mariage, je n'allais pas avoir le droit à des fantaisies.


***


Je me réveillai en sursaut, trempée de sueur. J'avais fait un cauchemar.

Oui, le souvenir de mon mariage était un mauvais rêve.

Je me levai et me dirigeai dans la salle de bain. Je me passai un coup de d'eau sur le visage, essayant de remettre mes idées en place. Je me regardai dans la glace. Mon visage était pâle, sans couleur, et triste.

D'autres souvenirs me revinrent en tête. Ma main se rapprocha du dessous de ma poitrine, ressassant ce coup porté, et qui avait encore sa trace sur ma peau.

Je n'osais relevé ma chemise de nuit pour regarder, je savais qu'elle était encore là, bien présente, encore rosée.

De toutes les manières, elle sera présente. Physiquement comme mentalement, elle ne cessera jamais d'exister.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now