Chapitre 57

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Juliette dodelina de la tête et repartit dans la cuisine. Ne pouvant avaler ne serait-ce qu'un petit bout, je partis vers la ferme. Lorsque je franchis la porte de la cuisine, je trouvai Clémentine, préparant le petit déjeuner. La plupart de ses enfants étaient déjà assis et fixaient les nervures du bois de la table.

— Ah Lucile, j'allais envoyer un des garçons chez toi. Jean doit aller travailler, peux-tu veiller sur Benoît‌ ?

— Comment va-t-il ?

— Pour l'instant, il ne s'est pas réveillé, mais il a eu une nuit calme. Va voir Jean, il te dira mieux que moi.

Une fois arrivée dans la chambre de Benoît, je vis Jean, toujours assis, le regard dans le vide. Je m'annonçai, mal-à-l'aise. C'était toujours tendu entre moi et lui.

—Bonjour Lucile. Clémentine a dû te dire que je devais le laisser. Je ne serai pas long, juste deux-trois heures, histoire que les bêtes soient nourries. Les garçons ont dû le faire, mais tel que je les connais, ce n'est pas parfaitement fait ! s'exclama t-il.

— Comment s'est passée la nuit ?

—Bien, dit-il en se retournant.

Je vis ses yeux exténués, les cernes violacées par la fatigue. Il était à bout. Il se leva avec difficulté. La fatigue et l'attente désespérée devaient être les raisons principales à son état plus que douteux. Et il partit. Il me laissa face au silence le plus lugubre. Vivre avec une mort sur la conscience était une des plus grosses difficultés que la vie pouvait nous réserver, mais l'attente l'était encore plus. L'envie de voir se réveiller une personne si chère à notre cœur dépassait l'entendement. Je m'approchai, intimidée par cette tranquillité acerbe. Benoît était là, couché sur un drap blanc. Il me donnait l'impression de dormir. Son visage était détendu, dépourvu de toute crainte. C'était comme s'il était plongé dans un sommeil, un sommeil éternel. Enfin assise sur cette chaise, je pris la main de Benoît. Elle était chaude et râpeuse, mais de surcroît, bien plus grande que la mienne. Je la portai à ma bouche et mes larmes que j'avais réussi à retenir tombèrent en pluie. Une averse de perles salées prirent possession de mon corps. Mon âme, aussi, hurlait de douleur.

— S'il-te-plaît Benoît, tu ne peux pas mourir. Tu n'as pas le droit de me laisser. Pense à ta Maryse, à ta femme, à tes enfants. Tu dois te battre, murmurai-je entre deux sanglots.

Et là, sans que je puisse me contrôler, un douloureux souvenir revint.

Flashback :

Je frappai trois petits coups à la porte de la chambre de ma sœur pour lui indiquer ma présence, mais rien, pas un signe, pas une réponse, juste le bruit incessant des petits oiseaux qui chantonnaient.

— Suzanne, c'est moi. Ouvre la porte. Les parents sont partis. Il faut que je te vois, c'est important, me justifiai-je.

Toujours rien. Je finis par baisser la poignée et sans résistance, elle s'ouvrit. Ma sœur était allongé sur son lit, en chemise de nuit. La pièce était dans une obscurité glaciale. Une odeur nauséabonde vint chatouiller mon odorat et me donna un haut le cœur. Ne pouvant supporter cette vue, je parcourus la chambre et ouvrit les rideaux et la fenêtre pour aérer. Ce n'était plus vivable à l'intérieur. Je me retournai et vis Suzanne, les yeux rougis. Son corps était en boule, ses bras encerclaient ses jambes. Cela me brisait encore plus. Je m'assis sur le lit doucement, voulant créer un contact.

— Suzanne, parle-moi, dis-moi quelque chose. Que veux-tu que je fasse ? Tu te terres dans le silence depuis des heures. Tu peux me faire confiance, la rassurai-je comme je pouvais.

— Je veux mourir Lucile. Je veux arrêter de ressentir cette douleur. Elle ne veut pas partir, elle ne partira qu'avec moi. Je n'en peux plus, geignit-elle pour approuver ses dires.

Sa déclaration me laissa sans voix. Ma sœur voulait mourir. Je savais que ce qu'elle disait, elle le pensait vraiment. Elle n'avait jamais été du genre à mentir sur ses sentiments ou ses pensées, elle était entière. Et c'était bien ça qui m'inquiétais.

— Suzanne, ne dis pas ça, tu vas t'en sortir. Je serai là pour t'épauler et les parents aussi. Ça va aller. Ce moins que rien ne va pas s'en sortir comme ça. Il va être puni.

— Mais tu ne comprends pas. Jamais justice ne sera faite. C'est sa parole contre la mienne. Personne ne me croira. Je ne suis qu'une fille. Et puis, son père est influent dans le village, il ne laissera personne ruiner la réputation de son fils. Dans tous les cas, je suis perdue. Toute cette histoire va finir par se savoir et la honte nous tombera dessus, pleura-t-elle.

— Non, il y a une justice dans ce monde. Je crois en elle.

—Mais que tu peux être naïve, Lucile. Tu ne crois que ce qui est bon et loyal sur cette terre, mais il n'en ait rien. Le mal vit en nous, il fait partie de nous, si on se soumet à lui, il nous transforme. Depuis cette soirée, la violence vit en moi. Je suis comme marquée au fer rouge. Je suis perdue, Lucile.

— Tu n'es que la victime. Tu ne peux pas t'accuser.

—Qu'est-ce que tu peux être idiote. Un homme m'a brutalisé, il m'a volé ce que j'avais de plus cher au monde pour assouvir ses pulsions. Comment veux-tu que je garde confiance envers les hommes ? C'est fichu. Je ne pourrais jamais en regarder un dans les yeux, sans penser aux mains que Paul avait sur moi, sans me souvenir de ses lèvres perforer ma peau. Je ne pourrais jamais me marier. Je suis perdue. Qui voudrait de moi? Une fille qui a perdu sa virginité dans un acte de violence. Je finirai seule, recluse dans mon coin car j'aurais honte. Je ne veux pas de cette vie-là.

— Mais...

— Je donnerais tout pour effacer ce moment-là et retourner en arrière. Mais je ne peux pas alors il ne me reste qu'une possibilité pour retrouver la paix, conclut-elle.

— Non, tu ne peux pas, je t'en empêcherai. Je ferai tout pour te sauver. Tu es ma sœur et je t'aime du plus profond de mon âme. Je ne te laisserai pas faire, vociférai-je.

Elle me regarda avec des yeux qui n'exprimaient que de la tristesse et elle me prit la main.

— Ma douce Lucile, je ne pourrais jamais vivre avec ça. Tu es la seule que je peux toucher de cette manière et encore, je ne peux toucher que ta main sans que des flashs ne me reviennent. Je veux garder en mémoire que les meilleurs moments que la vie m'ait offert. Je ne pourrais pas continuer ainsi.

— Non, tu ne peux pas me laisser. J'ai besoin de toi. J'ai besoin de ma sœur. Tu...Tu... pleurai-je à mon tour.

— Chut, ma puce, ne t'en fais pas. Je veillerai sur toi, même de là-haut et je n'hésiterai pas à te faire comprendre que tes choix m'horripilent, sourit-elle pour la première fois.

Fin du flashback

Ce moment me hantera toute ma vie, encore plus si je perds une autre personne chère à mon cœur.

SUITE ALLEMANDEWhere stories live. Discover now